Une toile large comme le monde, par Aude Seigne, éditions Zoé
CRITIQUE , ROMAN / 25 décembre 2017

Ils sont rares les romans qui se penchent sur Internet. Plus rares encore ceux qui imaginent sa disparition. Et lorsque c’est le cas, dans le Où la lumière s’effondre, de Guillaume Sire par exemple, il s’agit de constituer une armée de hackers pour parvenir à ses fins. Rien de tel chez Aude Seigne. Les hackers, en l’occurrence une hackeuse, ne sont que l’un des éléments du plan de la panne. Huit. Ils sont huit à vouloir débrancher Internet, au sens propre. Car si le réseau des réseaux est le royaume du virtuel, il a besoin pour fonctionner d’infrastructures bien réelles : data centers, matières premières, câbles. Le roman s’ouvre d’ailleurs avec l’un des personnages principaux de cette histoire, un câble transocéanique qui porte le joli nom de FLIN. Véritable gourmandise pour les requins, autres personnages récurrents du roman d’Aude Seigne, FLIN représente symboliquement les milliers de câbles qui passent sous nos pieds et qui transportent des millions de mails à travers le monde en un cinquième de seconde. Il y a donc Olivier, libraire qui voit sa clientèle diminuer, June, créatrice de produits cosmétiques et Evan community manager. Ces trois-là vivent en trouple. Pendant à ce trio, il y a la…

Mai 67, par Colombe Schneck, éditions Robert Laffont
CRITIQUE , ROMAN / 24 décembre 2017

Colombe Schneck se glisse dans la peau d’un garçon qui a trente-et-un ans lorsque Brigitte Bardot décide d’en faire son amant. A trente-deux ans, la star est une icône planétaire. Elle tourne, avec Alain Delon, l’un des sketches de l’adaptation des Histoires extraordinaires d’Edgar Alan Poe. Nous sommes en mai 67, à l’orée d’un été qui sera, plus tard, baptisé The Summer of Love. F., né à Oujda, au Maroc, est assistant costumier sur le film. Trente ans après les faits, il découvre que les deux mois passés avec la plus belle femme du monde tiennent en une phrase dans son autobiographie: «F., qui m’a consolée de mon mariage de pacotille.» Avec ce roman, Colombe Schneck imagine une impossible histoire d’amour (impossible, vraiment?) et décrit avec justesse et sensibilité une époque qui va ouvrir tous les possibles. Bardot en est l’une des pionnières. Prisonnière de son image, traquée par la presse, fourvoyée dans un mariage bancal, l’actrice ne supporte pourtant pas la solitude. «Comment peut-on aimer quand le monde entier vous désire?» interroge la quatrième de couverture. Habile manière de détourner l’attention de l’incessant questionnement qui hante Colombe Schneck, même si ce roman figure, en apparence, en marge du reste…

Un jour en ville, par Daniel Tschumy, Bernard Campiche éditeur
CRITIQUE , ROMAN / 21 décembre 2017

Un jour en ville est un beau roman d’amitié et de mémoire. Loïc, le narrateur, sort de l’hôpital où il a déjeuné avec Robin, son ami d’adolescence dont les cheveux ont désormais blanchi. Robin s’exprime avec difficulté et Loïc le trouve affaibli malgré la présence de ses filles qui lui apporte un peu de sérénité. Après sa visite, Loïc ne rentre pas immédiatement chez lui. Il a négocié ce bel après-midi d’automne avec sa femme. Parti de la station Fourmi du métro lausannois, Loïc va arpenter trente-cinq années de sa vie, passées avec ou sans Robin, à travers les rues de Lausanne, la ville étant sans conteste le personnage central de ce premier roman. Il y a l’itinéraire parcouru, jalonné de souvenirs, mais aussi ceux de la mémoire, ceux sur lesquels Robin a initié Loïc à la course à pied. Vingt années durant, ils ont rituellement couru ensemble, deux fois par semaine, jusqu’à ce que la maladie rattrape Robin, obligeant Loïc à mener le train. A l’époque, les deux amis se comparent à leurs idoles, Sebastian Coe et Steve Ovett dont la rivalité marque les Jeux Olympiques de Moscou, en 1980, et de Los Angles quatre ans plus tard. «Who…

Hannah, par Sarah Tschopp, éditions Encre Fraîche
CRITIQUE , ROMAN / 19 décembre 2017

Hannah est une petite fille partagée entre un papa et une maman séparés. Papa refait sa vie avec Ingrid, maman se bat contre un cancer et c’est Mia qui veille sur elle. Et il y a aussi la maman de Lena, la meilleure amie d’Hannah. Pour ce premier roman, Sarah Tschopp se glisse dans la peau et dans les mots de son personnage. C’est donc avec des mots et des pensées d’enfant que le lecteur découvre l’univers de cette famille décomposée, recomposée. Il n’y a rien de plus difficile que de parler (et donc d’écrire) avec des mots d’enfants lorsqu’on ne l’est plus. Sarah Tschopp y parvient la plupart du temps. Le changement de ville, le changement de langue d’Hannah sont fort bien décrits et le lecteur vit avec elle ce quasi exil. Il comprend aussi le dilemme du père d’Hannah, tiraillé entre sa nouvelle compagne et son ex-femme malade. C’est avec le personnage de Mia que les choses ne fonctionnent pas. Avec cette femme ambigue, Sarah Tschopp introduit une double histoire: celle qui unit visiblement Mia à la mère d’Hannah d’une part, et les rapports tendus entre Hannah et Mia en quasi manipulatrice perverse. Le lecteur n’y trouve pas…

Sciences de la vie, par Joy Sorman, éditions du Seuil
CRITIQUE , ROMAN / 12 décembre 2017

Roman singulier que ce Sciences de la vie. Ninon Moïse est frappée d’un mal étrange: la peau de ses bras provoque une insupportable douleur au moindre effleurement. Seulement les bras, des épaules aux poignets. Peut-on maîtriser la douleur en la nommant? Pas sûr. L’allodynie tactile dynamique dont souffre l’adolescente ne s’estompe pas après avoir été nommée. La peau et la douleur sont les motifs récurrents de ce roman construit comme une pièce musicale dont le refrain serai plus long, beaucoup plus long que les couplets. Le refrain, ce sont les visites de Ninon à une armée de spécialistes sensés lui venir en aide: dermatologues, radiologues, médecins, psychiatres, chamanes, hydrothérapeutes, kinés, cardiologues. Aucun ne parviendra à atténuer la douleur, à vaincre le mal. Seule une tatoueuse parviendra à détourner la douleur en noircissant les bras de la jeune fille. Ninon en a eu l’idée en voyant une photo de Daniel Darc, bras encrés fièrement brandis. Les couplets sont constitués des récits de maladies étranges, rares ou incongrues qui frappent l’ascendance de Ninon depuis des siècles. C’est sa mère qui les lui raconte, presque pieusement. Le roman foisonne de termes médicaux, d’énumérations anatomiques, ce qui lui donne une dimension poétique étonnante. Joy…

Mercy, Mary, Patty, par Lola Lafon, éditions Actes Sud
CRITIQUE , ROMAN / 26 novembre 2017

Cinquième roman de Lola Lafon, Mercy, Mary, Patty est un tournant dans le parcours littéraire de l’auteure. Pas de référence à la Roumanie ou à Nadia Comaneci dans cet ouvrage. Ce seraient notamment la photo de Patricia Hearst posant, arme à la main, devant le drapeau de l’Armée de libération symbionaise (ALS), et le Hey Joe de Jimi Hendrix (même si Lola Lafon préfère la version de Patti Smith) qui ont invité l’auteure à se pencher sur l’affaire Patricia Hearst. Fille et petite-fille de magnats de la presse, elle a dix-neuf ans lorsqu’elle est enlevée par l’ALS, le 4 février 1974. Mais il faudra attendre que Lola Lafon croise le destin de trois jeunes filles de Darfield lors d’une résidence au Smith College, dans le Massachusetts, pour que le roman s’écrive. Aux 17è et 18è siècles, Mercy Short, Mary Jemison et Mary Rowlandson sont enlevées par des Indiens. A l’instar de Patricia Hearst, elles préféreront rester avec leurs kidnappeurs plutôt que de retourner dans leurs familles. La figure centrale du roman de Lola Lafon n’est pas Patty Hearst, mais bien un personnage de fiction, Gene Neveva, Américaine arrivée à la mi-trentaine, professeur de littérature et d’histoire au Smith College, elle…

Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce, par Lola Lafon, Babel éditions
CRITIQUE , ROMAN / 20 novembre 2017

«Une société qui abolit toute aventure, fait de l’abolition de cette société la seule aventure possible.» Tout le roman de Lola Lafon tient dans cette phrase. Emilienne, que tout le monde appelle Emile, est dans le coma suite à un épisode de mort subite. La narratrice, son amie, s’efforce de la ramener à la vie, se calque sur le rythme de son réchauffement corporel et de son retour à la conscience, retour marqué par les trous d’une mémoire défaillante. La narratrice continue pourtant à se rendre à la Cinémathèque, sans Emile, et aperçoit la jeune femme qu’elle avaient déjà repérée en raison de son assiduité à suivre les projections. C’est à celle qu’elle appelle La Petite Fille au bout du chemin que la narratrice va raconter l’amitié qui la lie à Emile, leur rencontre dans un groupe de parole du mardi, groupe constitué de femmes victimes de viols. A ce titre, ce roman dit mieux que tout autre la dévastation, la souffrance, la peur de celle qui a été violée, abusée. Les trois femmes de cette histoire ont connu l’enfermement, ou la tentative d’enfermement. La narratrice, que La Petite Fille au bout du chemin appelle désormais Voltairine, a connu le…

Averroès ou le secrétaire du diable, par Gilbert Sinoué, éditions Fayard
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 15 novembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Gilbert Sinoué se glisse dans la peau d’Averroès pour rédiger les mémoires de ce dernier grand penseur de l’islam des Lumières, voire de l’islam tout court. C’est de Marrakech, où il termine sa vie, qu’Averroès déroule son parcours. Petit-fils d’Abou al-Walid Mohammad, fils d’Abou al-Qasim Ahmad, qui lui donnera une solide éducation, Averroès étudie la jurisprudence, comme son père avant lui, puis la médecine sous la gouverne d’Abubacer puis d’Avenzoar. Mais, depuis son plus jeune âge, Averroès se passionne pour la pensée et ne cessera de se poser des questions, étudiant et commentant Aristote qui restera le compagnon de réflexion de toute sa vie. Obsédé par l’étude, Averroès refuse d’abord de prendre pour épouse celui que son père à choisie pour lui. Il découvre cependant la fièvre des corps auprès de Lobna, de dix-huit ans son aînée. La rupture avec Lobna conduira Averroès à accepter la proposition de son père. Il épouse sa jeune cousine Sarah. A travers la vie d’Averroès, Gilbert Sinoué nous fait découvrir la richesse, mais aussi les risques de la vie intellectuelle d’Al-Andalous. Averroès rédige des dizaines de livres, à commencer par sa réplique à L’Incohérence des philosophes d’Al-Ghazali, réplique qu’il intitule L’incohérence…

Sauver les meubles, par Céline Zufferey, éditions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 10 novembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Est-il possible d’échapper à la petite vie, celle de la solitude, du travail alimentaire, de l’intérieur standardisé et du couple sclérosé? C’est la bataille incessante du narrateur de Sauver les meubles, un photographe dont les ambitions artistiques n’ont rencontré que désintérêt. Il s’engage, contraint et forcé par le coût du séjour de son père malade en maison de retraite, comme photographe dans une entreprise de mobilier. Asocial, il peine à nouer des liens avec ses collègues, avec Assistant ou avec Sergueï-le-Styliste en tongs. Seule Nathalie, modèle qui pose dans les décors de meubles qu’il photographie, s’intéresse à lui. Il portera de l’intérêt à Miss KitKat, une fillette de neuf ans, elle aussi modèle pour les séances photo. L’entreprise pour laquelle travaille le narrateur aime les fêtes. C’est au cours de l’une de ces fêtes qu’il fait véritablement connaissance avec Nathalie. Il y rencontre également Christophe, dont le travail consiste à vérifier la résistance et la conformité aux normes des meubles vendus par l’entreprise. Le narrateur emménage chez Nathalie, mais presque tout de suite, le couple s’enlise dans les conventions et la routine. Comme dans sa vie privée, le narrateur ne décide rien dans son travail, ni le…

Bande originale de Les cancres de Rousseau, par Insa Sané
BANDE ORIGINALE , JEUNESSE , ROMAN / 5 novembre 2017

Insa Sané a la bonne idée de nous proposer, avec chacun de ses romans, une bande originale, des titres à écouter avant, pendant ou après votre lecture de ses excellents romans. Les cancres de Rousseau ne fait pas exception à la règle. Voici donc la bande originale proposée par Insa Sané, mais j’y ajoute les titres rencontrés au fil des pages et qui ne figurent pas dans cette liste. La bande originale proposée par Insa Sané Bébé, Tu silencio Coolio, Gansta’s Paradise Hindi Zahra, Stand Up Mahalia Jackson, Motherless Child Outcast, Hey Ya! Bény Moré, Yiri yiri bon Expression Direkt, Pas moyen Sting, Fragile A.L.A.R.M.E., Paris Black Night Terence Trent d’Arby, Sign Your Name Tout Simplement Noir, J’suis F Buena Vista Social Club, Chan Chan Above The Law, Black Superman Ministère A.M.E.R., Au-dessus des lois Les titres croisés au fil des pages Le premier titre croisé est une vanne pour Jiraël (page 47). La danse des canards. Doumam et Rania ne seront pas les victimes cette fois et Jazz lance un autre titres sur la platine (page 49), Last Night A DJ Saved My Life. Page 51, on est toujours dans le set de Jazz, mais cette fois la soirée…