Vers la beauté, par David Foenkinos, éditions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 20 août 2018

David Foenkinos renoue avec le monde de la peinture pour son très beau roman, Vers la beauté. On y croise d’ailleurs Charlotte Salomon, sujet de son roman paru en 2014. Antoine Duris est professeur d’histoire de l’art aux Beaux-Arts de Lyon. Mais il décide de démissionner et se fait engager comme gardien au Musée d’Orsay où une rétrospective Modigliani s’ouvre justement. Ca tombe bien, Antoine a consacré sa thèse au peintre. A Paris, le nouveau gardien évite autant que faire se peut toute forme de socialisation. Il vit dans le souvenir de l’amour de Louise et dans un spleen dont le lecteur ne connaîtra la raison qu’en toute fin de roman. Dans l’exercice de sa nouvelle fonction, Antoine ne peut s’empêcher de compléter les commentaires du guide qui conduit les groupes à travers le musée. Sa première intervention lui vaut une remontrance de la pourtant bienveillante Mathilde, directrice des ressources humaines. La seconde incartade sera fatale. Mathilde, qui n’est pas insensible à la personnalité très réservée et un peu rêveuse d’Antoine, le ramène à Lyon. En arrivant dans sa ville, Antoine conduit Mathilde dans un cimetière, sur la tombe de Camille Perrotin, morte à l’âge de 18 ans. C’est dans…

La vie princière, par Marc Pautrel, éditions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 14 juin 2018

Un séminaire dans une vaste et riche propriété. Chaque participant est logé dans une maison individuelle et, chaque soir, un dîner rassemble les invités. C’est là que le narrateur rencontre L***, une belle et volubile Italienne. «C’était imprévisible, au début je n’étais pas attiré par toi, puis je me suis senti comme collé, comme tissé à toi […]». Le narrateur écrit à celle qui a déjà quitté le domaine et à qui il n’est pas parvenu à déclarer sa flamme. Il lui fait part, dans le détail, des sentiments et des émotions qui l’ont traversé lors de leurs dîners (elle était toujours assise à côté de lui) et de leurs promenades. Comment tombe-t-on amoureux? C’est sans doute un mystère propre à chacun. Mais en soixante-sept pages, Marc Pautrel nous en livre un des possibles agencements. Il nous fait ressentir, avec beaucoup de finesse, la montée en puissance de l’amour naissant. L’état amoureux s’installe, dissout la gêne, ouvre le champ des possibles, délie les langues et les gestes. Roman parfaitement contemporain (on y reçoit des appels de ses parents sur un téléphone portable), La vie princière provoque cependant chez le lecteur la sensation d’être projeté hors du temps. Le somptueux décor…

La Musica, par Marguerite Duras, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade
CRITIQUE , THEATRE / 4 décembre 2017

A l’origine, La Musica est une dramatique commandée par la BBC avant de devenir une pièce de théâtre créée le 8 octobre 1965 au Studio des Champs-Elysées, à Paris, puis d’être enfin adaptée au cinéma en 1967 par Marguerite Duras elle-même et Paul Seban. L’appareil critique proposé par La Bibliothèque de la Pléiade (Œuvres complètes, volume 2) donne à découvrir le synopsis de la dramatique commandée par la BBC, des extraits de son script, un texte de présentation de l’édition originale de la pièce (Gallimard, 1965), un synopsis du film ainsi que des notes pour ses deux interprètes, Delphine Seyrig et Robert Hossein. La trame de l’histoire ne varie que peu d’une version à l’autre. Seules les notes pour les deux acteurs donnent une idée plus précise du caractère des personnages. Nous sommes à Evreux, dans le hall d’un hôtel. Un homme et une femme qui viennent de divorcer s’y retrouvent et se racontent leur histoire. Il y est évidemment question de La Musica des mots et des sentiments, Musica à laquelle il faut éviter de succomber. Le hasard a voulu que je lise cette courte pièce de Marguerite Duras juste après Nos débuts dans la vie, de Patrick Modiano….

Nos débuts dans la vie, par Patrick Modiano, éditions Gallimard
CRITIQUE , THEATRE / 3 décembre 2017

Patrick Modiano n’avait rien publié depuis son Prix Nobel de Littérature, en 2014. Et voilà qu’il nous offre simultanément un roman et une pièce de théâtre, intimement liés. Nos débuts dans la vie, la pièce de théâtre, a été écrite avant le roman, de l’aveu même de l’auteur, comme s’il fallait en passer par cette pièce pour retrouver le rythme romanesque. A tel point que Patrick Modiano déclare à l’hebdomadaire Les Inrockuptibles que la pièce aurait pu être un chapitre de son roman, Souvenirs dormants. Nos débuts dans la vie se déroule dans un théâtre. Mise en abîme à tiroirs. La pièce joue avec La Mouette, celle de Tchekhov que répète Dominique, vingt ans, alors que son amoureux, Jean, vingt ans lui aussi, se promène avec le manuscrit de son premier roman qu’il garde dans une mallette attachée à son poignet par des menottes. Il craint que le compagnon de sa mère ne lui dérobe ses écrits pour les détruire. Elvire, la mère de Jean, est comédienne (comme celle de Modiano), elle aussi. Elle jalouse Dominique qui, malgré son jeune âge, se voir proposer de jouer Tchekhov, alors qu’elle reste cantonnée à des rôles de boulevard. Comme c’est presque toujours…

Sauver les meubles, par Céline Zufferey, éditions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 10 novembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Est-il possible d’échapper à la petite vie, celle de la solitude, du travail alimentaire, de l’intérieur standardisé et du couple sclérosé? C’est la bataille incessante du narrateur de Sauver les meubles, un photographe dont les ambitions artistiques n’ont rencontré que désintérêt. Il s’engage, contraint et forcé par le coût du séjour de son père malade en maison de retraite, comme photographe dans une entreprise de mobilier. Asocial, il peine à nouer des liens avec ses collègues, avec Assistant ou avec Sergueï-le-Styliste en tongs. Seule Nathalie, modèle qui pose dans les décors de meubles qu’il photographie, s’intéresse à lui. Il portera de l’intérêt à Miss KitKat, une fillette de neuf ans, elle aussi modèle pour les séances photo. L’entreprise pour laquelle travaille le narrateur aime les fêtes. C’est au cours de l’une de ces fêtes qu’il fait véritablement connaissance avec Nathalie. Il y rencontre également Christophe, dont le travail consiste à vérifier la résistance et la conformité aux normes des meubles vendus par l’entreprise. Le narrateur emménage chez Nathalie, mais presque tout de suite, le couple s’enlise dans les conventions et la routine. Comme dans sa vie privée, le narrateur ne décide rien dans son travail, ni le…

L’Effroi, par François Garde, éditions Gallimard, Coup de cœur lettres frontière 2017
CRITIQUE , ROMAN / 3 novembre 2017

Lors de la première de Cosi fan tutte à l’Opéra Garnier, le chef d’orchestre Louis Craon, mondialement célèbre, effectue le salut nazi avant de commencer à diriger. Après quatre secondes de stupeur et d’effroi, Sébastien Armant, altiste au sein de l’orchestre, se lève et tourne le dos au chef. Les caméras de télévision sont présentes ce soir-là et ne manquent rien de l’événement. Elles filment aussi l’ensemble de l’orchestre qui se lève à son tour et Louis Craon, qui quitte la scène. Comme le veut la tradition, c’est le premier violon qui prend la baguette. Nous sommes le 20 avril, jour anniversaire de la naissance d’Adolf Hitler. Sébastien se retrouve sous les feux des projecteurs du jour au lendemain: journaux, radio, télévision, il est partout. Jean-Pierre Chomérac, président du conseil d’administration de l’Opéra, contesté pour son manque de connaissances musicales, voit en Sébastien l’occasion de conforter sa position, de mettre l’Opéra en lumière et de conquérir de nouveaux publics. Chaperonné par Anne-Sophie, la chargée de communication, Sébastien donne interview sur interview, rencontre des lycéens et participe même a un célèbre jeu télévisé. Là encore, il va dire non, mais du bout des lèvres, à la farce finale. Toute la vie…

Le tour du monde du roi Zibeline, par Jean-Christophe Rufin, éditions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 4 octobre 2017

Ce sont Jan et Vera Michalski qui, il y a quelques années, ont fait découvrir à Jean-Christophe Rufin l’étonnant personnage d’Auguste Benjowski en publiant ses Mémoires et Voyages, écrits en français, aux éditions Noir sur Blanc dans un premier temps, puis aux éditions Phébus. Né au milieu du 18è siècle, Maurice Auguste Benjowski (ou Beniowski) est un comte hongrois, aventurier, voyageur, explorateur, colonisateur et écrivain. Il a été roi de Madagascar, colonel français, dirigeant militaire polonais, soldat autrichien. C’est aussi le premier européen à naviguer dans le Nord-Pacifique, avant James Cook et Jean-François de La Pérouse. On retrouve dans ce roman certains des thèmes chers à Jean-Christophe Rufin, en particulier dans Rouge Brésil, L’Abyssin ou Le Grand Cœur. A commencer par l’ouverture sur le monde. Dans ce roman, c’est Bachelet, le précepteur d’Auguste qui lui inculque les idées des Lumières. Le roman souligne l’opposition entre respect de l’altérité et volonté d’asservir, de faire ressembler l’autre à soi-même. Une dualité qui résonne avec la double éducation de Benjowski: «Cet incident acheva de me révéler que je sortais de l’enfance comme un être à deux faces: dans ‘une se lisait la bonté fraternelle que je tenais de mon précepteur, cette force du…

Marlène, par Philippe Djian, Editions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 7 mars 2017

Vétérans Comment retrouver une vie normale quand on a connu le pire. Dan et Richard sont deux anciens d’Afghanistan. Richard sort de prison et rejoint Nath, son épouse depuis dix-huit ans. Dan tente de se socialiser en emménageant dans un quartier bobo de la ville. Il y a les cauchemars, les pilules, la boisson, un job précaire au bowling du coin pour Dan, les affaires louches et le jeu pour Richard. Et pendant ce temps, Nath s’envoie en l’air avec Vincent. Marlène Marlène, la sœur de Nath, débarque dans la vie de tout ce petit monde. Elle travaille dans le salon de toilettage pour chiens de sa frangine. Marlène est une catastrophe ambulante. Elle défonce la moto de Dan, met le feu à l’une de ses couvertures, pulvérise son porte-manteau. Elle perd aussi ses lunettes, renverse tout et, pour compléter le tableau, souffre de narcolepsie. Marlène s’entend pourtant bien avec Mona, la fille de Nath et de Richard. Mais ce dernier n’aime pas l’influence qu’exerce sa belle-sœur sur sa progéniture. Djian Philippe Djian poursuit son exploration de la forme et du style. Ici, pas d’indication typographique pour les dialogues, et le lecteur passe parfois d’une scène à l’autre sans transition,…

Mise en pièces, par Nina Leger, Editions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 30 janvier 2017

Le bandeau rouge qui barre le bas de la couverture annonce: ROMANCE. Mise en pièces, deuxième roman de Nina Leger, est la romance vécue par Jeanne avec le sexe des hommes. Jeanne feint le malaise, s’affaisse contre une surface de préférence froide, c’est important le sentiment de froid entre les omoplates, et attend qu’un inconnu lui offre son aide. Inconnu qu’elle emmène aussitôt dans le premier hôtel venu, miteux ou de luxe. De lui, elle ne garde rien d’autre que l’image de son sexe: «Qu’importent le visage, la taille, la carrure ou le ventre: elle ne leur accorde pas le moindre regard, car rien, dans la physionomie d’un homme, n’annonce jamais son sexe.» Avec les images de ces sexes, Jeanne se construit un «palais de mémoire». Un palais qu’elle arpente en pensées et où elle est en mesure de se remémorer très précisément chaque sexe connu. On ne sait rien de Jeanne, ni qui elle est, ni l’âge qu’elle a, ni la profession que, peut-être, elle exerce. Elle pourrait être enseignante suggère Nina Leger. Mais. «Le professeur est une facilité narrative autant qu’il est un risque aux conséquences potentiellement catastrophiques dans le cas d’un récit qui prend pour objet la…