Averroès ou le secrétaire du diable, par Gilbert Sinoué, éditions Fayard
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 15 novembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Gilbert Sinoué se glisse dans la peau d’Averroès pour rédiger les mémoires de ce dernier grand penseur de l’islam des Lumières, voire de l’islam tout court. C’est de Marrakech, où il termine sa vie, qu’Averroès déroule son parcours. Petit-fils d’Abou al-Walid Mohammad, fils d’Abou al-Qasim Ahmad, qui lui donnera une solide éducation, Averroès étudie la jurisprudence, comme son père avant lui, puis la médecine sous la gouverne d’Abubacer puis d’Avenzoar. Mais, depuis son plus jeune âge, Averroès se passionne pour la pensée et ne cessera de se poser des questions, étudiant et commentant Aristote qui restera le compagnon de réflexion de toute sa vie. Obsédé par l’étude, Averroès refuse d’abord de prendre pour épouse celui que son père à choisie pour lui. Il découvre cependant la fièvre des corps auprès de Lobna, de dix-huit ans son aînée. La rupture avec Lobna conduira Averroès à accepter la proposition de son père. Il épouse sa jeune cousine Sarah. A travers la vie d’Averroès, Gilbert Sinoué nous fait découvrir la richesse, mais aussi les risques de la vie intellectuelle d’Al-Andalous. Averroès rédige des dizaines de livres, à commencer par sa réplique à L’Incohérence des philosophes d’Al-Ghazali, réplique qu’il intitule L’incohérence…

Sauver les meubles, par Céline Zufferey, éditions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 10 novembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Est-il possible d’échapper à la petite vie, celle de la solitude, du travail alimentaire, de l’intérieur standardisé et du couple sclérosé? C’est la bataille incessante du narrateur de Sauver les meubles, un photographe dont les ambitions artistiques n’ont rencontré que désintérêt. Il s’engage, contraint et forcé par le coût du séjour de son père malade en maison de retraite, comme photographe dans une entreprise de mobilier. Asocial, il peine à nouer des liens avec ses collègues, avec Assistant ou avec Sergueï-le-Styliste en tongs. Seule Nathalie, modèle qui pose dans les décors de meubles qu’il photographie, s’intéresse à lui. Il portera de l’intérêt à Miss KitKat, une fillette de neuf ans, elle aussi modèle pour les séances photo. L’entreprise pour laquelle travaille le narrateur aime les fêtes. C’est au cours de l’une de ces fêtes qu’il fait véritablement connaissance avec Nathalie. Il y rencontre également Christophe, dont le travail consiste à vérifier la résistance et la conformité aux normes des meubles vendus par l’entreprise. Le narrateur emménage chez Nathalie, mais presque tout de suite, le couple s’enlise dans les conventions et la routine. Comme dans sa vie privée, le narrateur ne décide rien dans son travail, ni le…

La fin de la solitude, par Benedict Wells, éditions Slatkine & Cie
CRITIQUE , ROMAN / 1 novembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] «Le souvenir. Un roman, composé de cinq récits. Tous sont liés et le sujet principal, c’est la façon dont les souvenirs nous déterminent et nous dirigent.» C’est Romanov qui explique à Jules ce sur quoi il travaille en ce moment. Il donne aussi une idée assez précise de La fin de la solitude, le roman de Benedict Wells, traduit par Juliette Aubert. Jules, sa sœur Liz et son frère Marty sont des enfants heureux entre un père inquiet, épris de photographie et une mère lumineuse qui chante Moon River en s’accompagnant à la guitare lors de chaque fête de Noël. Mais un 8 janvier, les parents de Jules, Liz et Marty quittent Munich pour aller rendre visite à des amis, à Montpellier. Leur voiture s’encastre dans celle d’une jeune avocate, laissant trois orphelins. C’est au pensionnat que les trois enfants poursuivent leur vie, à des étages séparés en raison des différences d’âge et de sexe: apprentissage de la solitude. Jules devient le meilleur ami d’Alva, une jolie rousse à lunettes qui, elle aussi, a subi un traumatisme: la disparition de sa sœur Joséphine, que tout le monde appelait Phine, et dont on n’a retrouvé que le blouson….

Je peux me passer de l’aube, par Isabelle Alonso, éditions Héloïse d’Ormesson
CRITIQUE , ROMAN / 28 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Avec Je mourrai une autre fois, Isabelle Alonso nous faisait partager la vie d’Angel Alcala Llach, dit Gelin, le double littéraire de son père dont elle avait recueilli les souvenirs avant son décès. Le lecteur suivait Gelin au cœur de l’émergence de la deuxième République espagnole et des espoirs qu’elle a fait naître. Gelin s’engage dans la guerre pour sauver la République. Il n’a que quinze ans. Le roman se refermait sur la détention du garçon dans un camp français. Je peux me passer de l’aube nous restitue Gelin au même moment, en 1939. Le 1er avril, à Burgos, Franco signe le communiqué annonçant la fin de la guerre. Avec ce beau roman, Isabelle Alonso nous rappelle que si la guerre est terminée, elle n’est pas finie pour autant. Elle va même durer encore plus de trente ans, jusqu’à la mort du Caudillo en 1975. L’histoire se façonne aux récits des vainqueurs. Dans le prologue à son roman, Isabelle Alonso s’insurge: «Dans les manuels scolaires des petits Espagnols d’aujourd’hui, on mentionne que Garcia Lorca mourut en Andalousie, pendant la guerre. Ce n’est pas faux. Juste incomplet.» Son odieux assassinat par les fascistes est en effet passé sous…

Légende d’un dormeur éveillé, par Gaëlle Nohant, éditions Héloïse d’Ormesson
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , POESIE , ROMAN / 23 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Il y a les livres qui vous plaisent, ceux après la lecture desquels vous n’êtes plus tout à fait pareil et ceux qui vous ébranlent, profondément, durablement. Légende d’un dormeur éveillé est de ceux-là! Quel torrent d’amour pour Robert Desnos a-t-il fallu à Gaëlle Nohant pour tisser ce subtil roman biographique, le surpiquer de citations qui font toujours sens et éclairent le récit? Desnos n’a jamais adhéré à aucune chapelle, ni celle du surréalisme corseté par un Breton dictatorial, ni celle du communisme, chère à Aragon et omniprésente dans les réseaux de la naissante Résistance. Le poète est d’un bloc, droit dans ses bottes, quoi qu’il advienne. Hors la poésie, amis et amours mobilisent toute son âme, toutes ses pensées. L’amitié fraternelle pour Jean-Louis Barrault, ou celle plus taquine qui l’unit à Prévert. Les amitiés poétiques aussi avec ses frères en mots et souvent en convictions: Pablo Neruda, Federico Garcia Lorca ou Paul Eluard. Il y a l’amour innaccesible de ses jeunes années, son adoration pour la chanteuse Yvonne Georges qui toujours se refusera à lui mais pour qui il acceptera même de fumer l’opium. Et puis, il y a Youki, que le peintre Foujita lui confiera…

Le Sans Dieu, par Virginie Caillé-Bastide, éditions Héloïse d’Ormesson
CRITIQUE , ROMAN / 10 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Il ne faut que quelques pages pour apprivoiser la langue de Virginie Caillé-Bastide, celle de l’époque à laquelle elle situe son roman, le début du 18è siècle. Arzhur de Kerloguen, modeste seigneur de Plouharnel, dans le Morbihan, voit mourir son petit Jehan, emporté par le froid et la famine de ce terrible janvier 1709. En perdant son septième et dernier enfant, Arzhur perd aussi la foi et sa femme, Gwenola, devenue folle. Six ans plus tard, dans les mers des Caraïbes, le modeste seigneur est devenu l’Ombre, capitaine du Sans Dieu, un navire de pirates sans foi ni loi. L’Ombre est d’une cruauté sans limite. Il écume les mers et attaque tout bâtiment passant à sa portée. En abordant un galion espagnol, il épargne la vie d’un père jésuite, Padre Anselme. Celui-ci se donne pour tâche de faire recouvrer la foi au sanguinaire Arzhur. Les parties d’échecs qu’ils partagent sont l’occasion d’argumenter sur l’existence de Dieu. Arzhur n’y croit plus depuis que ce Dieu d’amour et de bonté lui a enlevé ses sept enfants. Et son expérience de pirate n’a fait que renforcer cette conviction. Anselme, lui, y croit, sans pour autant être dogmatique. Virginie Caillé-Bastide nous…

Les cancres de Rousseau, par Insa Sané, éditions Sarbacane
CRITIQUE , JEUNESSE , ROMAN / 7 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Les cancres de Rousseau est la préquelle des quatre précédents romans d’Insa Sané (Sarcelles-Dakar, Du plomb dans le crâne, Gueule de bois et Daddy est mort) que les éditions Sarbacane ont la bonne idée de republier pour l’occasion dans la collection X‘ (Exprime). Il s’agit donc, chronologiquement, des premières aventures des protagonistes de la Comédie urbaine. Nous sommes en 1994, Djiraël, Sacha, Armand, Jazz, Rania, Doumam et les autres sont en terminale, le bac en ligne de mire. Djiraël est candidat au poste de délégué des délégués de classe du lycée. L’occasion de découvrir, à son échelle, les coups bas, mais aussi les avantages du pouvoir. Entre un prof d’histoire alcoolo et une prof de math sadique, un enseignant trouve grâce aux yeux des ados, Monsieur Fèvre, le seul qui s’intéresse à eux. La bande de Djiraël est considérée comme un ramassis de cancres, classée dans la catégorie racaille, ou pas loin. Pourtant, cette jeunesse-là a envie d’avenir, souhaite changer le monde, même si elle ne se fait pas beaucoup d’illusions: «Comment réussir à changer le monde quand Dumas et Césaire ont échoué?» Au lycée, Djiraël prend donc le pouvoir: «On était devenus des politiciens de la…

La zone des murmures, par Natacha Nisic, Tohubohu éditions
CRITIQUE , ROMAN / 17 septembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] C’est à un voyage que nous convie Natacha Nisic. Un voyage dans les Alpes de Haute-Provence, dans le passé et dans les traumatismes de l’enfance. Franck décroche un poste dans une agence Web. Surpris par l’aspect vieillot des locaux et par l’accumulation de paperasse dans tous les coins, il s’installe pourtant au sous-sol avec ses nouveaux collègues: Lu, le développeur chinois, Othy, l’expert SEO marocain et la séduisante Lise, en charge des RS. On se parle peu au sein de l’agence, mais on travaille beaucoup sous les ordres de l’Autre, surnom du patron, véritable Big Brother qui scrute la vie professionnelle et intime de ses employés. Projet majeur de l’agence: la mémoire inversée. Un logiciel qui doit permettre de maintenir en vie virtuelle ces chers disparus. «La Web Agency était une vaste entreprise de spiritisme.» La pression est forte à l’agence. Les heures supplémentaires ne se comptent pas et ne sont naturellement pas rémunérées. Lise et Franck, qu’elle appelle désormais Frankie, décident de passer un week-end déconnecté dans les Alpes de Haute-Provence. Pas de téléphone, pas d’ordinateur, pas de GPS. De toute façon, ils seront en zone blanche. Deux narrateurs pour ce roman original. Lise nous détaille…

Gazoline Tango, par Franck Balandier, Editions Le Castor Astral
CRITIQUE , ROMAN / 12 septembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] «L’humour est la politesse du désespoir» disait Boris Vian. «C’est qu’il évite d’en incommoder les autres. Il y a du tragique dans l’humour: mais c’est un tragique qui refuse de se prendre au sérieux. Il travaille sur nos espérances, pour en masquer les limites; sur nos déceptions, pour en rire; sur nos angoisses, pour les surmonter» ajoute André Comte-Sponville. Tout le roman de Franck Balandier tient dans ces deux définitions. Que nous est-il arrivé depuis le 11 juillet 1983, date de naissance de Benjamin Granger, son personnage? En reste-t-il des souvenirs, ou nous sommes-nous contentés d’en fabriquer, pour survivre? Il y a quelque chose du Vernon Subutex de Virginie Despentes chez Benjamin: cette façon d’être en marge tout en étant dedans. Gazoline Tango parcourt d’ailleurs, à peu de choses près, la même période que la trilogie Subutex, des années 80 à nos jours. Mais là où Virginie Despentes porte un regard sociologique sur la société, Franck Balandier plonge dans la matière organique de ces années sexe, drogue et pas forcément rock’n’roll. Il va chercher, creuser, fouiller au plus profond de l’humain. Benjamin, né contre son gré et contre celui de sa mère, Isabelle, batteuse dans un groupe…