[RENTRÉE AUTOMNE 2018] Il y a un peu plus d’un an, je vous parlais de ce presque roman incroyable, hors norme. Je regrettais alors qu’il ne soit pas possible de se le procurer en France, Suisse, Belgique, ni même de le trouver en ligne. J’avais reçu un exemplaire de son éditeur algérien, APIC éditions. Mais voici la bonne nouvelle du jour, les éditions Libertalia publient aujourd’hui même ce bijou absolu. Voici donc ce que j’en disais en septembre 2017. Après trois romans écrits en arabe, Sarah Haidar publie Virgules en trombe en 2013. Rédigé en français, ce «presque roman» reçoit le Prix des Escales littéraires d’Alger en 2013. Il donne surtout au lecteur à sentir, et presque à vivre, l’affrontement qui oppose sans trêve l’auteur aux mots, aux personnages, aux situations, à l’inspiration. Dédié «à la littérature, sublime salope sans scrupules…», Virgules en trombe change de narrateur, de sujet, de point de vue, à chacun de ses vingt-trois chapitres. Qui parle? L’auteur? L’un des personnages? Un autre narrateur? Qu’importe! Car ce qui compte dans cet OLNI (Objet littéraire non identifié), c’est la puissance des mots, l’extrême cruauté des situations. Ecrire est une torture, un viol subi, mais dont l’absence ou…
[RENTRÉE AUTOMNE 2018] C’est Lise qui a insisté pour qu’avec Franck, ils louent cette maison perdue au milieu de nulle part, sans téléphone et sans connexion à des kilomètres à la ronde.Elle a été actrice, il est producteur de cinéma. Elle ne tourne plus, elle préfère peindre, ou méditer. Il produit à l’ancienne des films qui ne marchent plus. Dès le premier soir dans la maison, un chien, un grand chien, un très grand chien, sans collier, s’impose à Franck, cherche à établir le contact avec lui. La maison n’a probablement jamais été louée auparavant. Dans une narration magistralement orchestrée, Serge Joncour nous dévoile parcimonieusement ce qui s’y est passé un siècle plus tôt exactement, en pleine Première Guerre mondiale. C’est alors un dompteur allemand, ironie du sort, qui s’installe sur les hauteurs avec ses huit fauves, tigres et lions. Wolfgang vit seul et nourrit ses bêtes, maégré les pénuries, grâce à un ingénieux dispositif caché dans la forêt. C’est en découvrant ce dispositif, un siècle plus tard, que l’instinct de survie de Franck se réveille, aiguillé par sa proximité avec le grand chien. Non, Franck ne laissera pas sa société de production être dépecée par ses deux jeunes et…
Même s’il a abandonné son deuxième prénom, je suis suffisamment avancé en âge pour me souvenir de la signature de Narcisse-René Praz dans La Pilule, Le Libre-penseur ou Le Crétin des Alpes, publications satiriques ou libertaires des années 70 et 80. J’ai également eu entre les mains Le Petit livre vert-de-gris, pamphlet antimilitariste qui avait fait couler pas mal d’encre dès sa sortie, en 1973. C’est donc avec intérêt et curiosité que je me suis plongé dans ce volumineux Luxure et Châtiment. Et, bonne surprise, j’y ai d’abord rencontré une écriture, une patte, un souffle. Narcisse Praz répète à l’envi les filiations, les appartenances, les fonctions, rappelle plus que nécessaire les tenants et aboutissants de l’intrigue, mais réussit la gageure de n’être jamais rébarbatif. Ces répétitions, littéraires, volontaires, sont un rosaire laïque et font écho aux dix-huit mille Ave Maria de Lucie Gall, mère de Martin Gall (il fallait oser comme il fallait, entre autres, oser appeler le psychiatre et psychanalyste de l’affaire Sigmund Lajoie), prêtre abuseur du juvénat de Beaulieu, en ville de Fribourg, établissement appartenant aux pères missionnaires de la congrégation de saint François d’Alès. Narcisse Praz nous raconte l’histoire de Théo Sornioz, garçon d’alpage valaisan, dont l’hypothétique…
[RENTREE AUTOMNE 2018] 1911, 1918, 2015. Trois zones. Trois épisodes, réels ou imaginaires, liés au passage de Guillaume Apollinaire à la prison de la Santé. Trois occasions de parler de l’enfermement: la prison, la guerre et l’adolescence. En 1911, Apollinaire est donc incarcéré à la Santé, sous sa véritable identité (Wilhelm Kostrowitzky) pour complicité de vol. Quelques jours plus tôt, La Joconde a disparu du mur qu’elle occupait au musée du Louvre. Une sombre affaire à laquelle sont liés Apollinaire bien sûr, mais aussi Picasso et un certain Géry Piéret. Apollinaire restera marqué par ce séjour derrière les barreaux. «Montrer ses mains. Les tremper dans l’encre noire. Doigt par doigt. Une signature. L’empreinte du poète. Poser ses doigts sur le papier. Là où on t’ordonne de poser. Ne cherche pas à comprendre. C’est là. Dans les cases qui enferment. Le poète signe. Il n’a jamais signé ainsi. Chèque en blanc. Pour de prochains poèmes. Il signe de ses phalanges. De ses digitales innocences. Il a confiance, Guillaume. Il aime assez l’idée d’être réduit à cette encre de mauvaise qualité et baveuse. Il aime exister autrement, par ses phalanges. C’est quoi la différence entre l’empreinte d’un poète et celle d’un criminel?»…
Pour Le mage noir, Olivia Gerig renoue avec son personnage d’inspectrice. On avait laissé Aurore en piteux état à la fin de L’ogre du Salève, on la retrouve rétablie physiquement même si les séquelles psychologiques ne se sont pas résorbées. C’est à un réseau, une quasi secte apocalyptique, qu’est cette fois confrontée la sympathique inspectrice de la police judiciaire d’Annecy. Un réseau international qui a infiltré les milieux de la police, de la justice et de la politique. Difficile dans ces cas-là de savoir à qui faire confiance. Affaires classées, enquêtes bâclées, à Annecy, à Paris et à Genève, la secte semble intouchable. Mise à pied, Aurore va mener une enquête parallèle. Elle appelle à la rescousse son ancien patron, le commissaire Claude Rouiller, et sa compagne Justine, psychiatre et profileuse. Matteo, un collègue de la police suisse qui en pince pour Aurore, vient compléter l’équipe. L’enquête débouchera sur de nombreuses arrestations sur lesquelles l’auteure ne s’attarde pas. Mais le Mage, lui, n’a toujours pas été appréhendé. Voilà qui nous promet une suite à cette aventure haletante, suite d’ores et déjà annoncée sous le titre Ravines de sang. Olivia Gerig construit ses histoires avec habileté et ménage le suspens avec…
[RENTREE AUTOMNE 2018] Avec Le testament d’Allan Berg, Patrick Meadows signe un premier roman magistral, véritable thriller géopolitique, historique et philosophique. Alan Berg est professeur dans une université américaine. Sa carrière a souffert de ses positions politiquement incorrectes dans une société au bord du totalitarisme. Ses relations avec Anna, sa compagne, en souffrent également. A la fin de l’un de ses cours, Allan Berg est interpellé par un inconnu aux allures de clergyman négligé. L’homme remet au professeur un livre étrange, un gros volume qui ne ressemble à rien de ce que Berg connaît. Le don du livre s’accompagne d’une mise en garde: toute personne détenant l’ouvrage court un grave danger. Et effectivement, en rentrant chez lui, Berg trouve des agents du FBI devant sa porte. Après bien des tribulations, Allan Berg est arrêté. L’Amérique de cette fin des années 90 vient de signer un traité de coopération avec les Soviétiques, le Pact for Peaceful Prosperity, ou Triple P. De fait, les Soviétiques dominent le monde et leurs agents supervisent l’interrogatoire d’Allan Berg. Fin stratège, le professeur propose, pour sauver sa peau, de collaborer avec les autorités et d’infiltrer le réseau considéré comme terroriste et connu sous le nom de…
Il s’appelle Jacques Blanchot, est marié et père de Victor. Enfin père, rien n’est moins sûr. Sa femme souffre d’une étrange maladie: sa peau la brûle, elle perd ses cheveux et ses ongles jaunissent. Le docteur Zenger, un spécialiste, est parvenu à déterminer la cause de cette pathologie. Et la cause, c’est Jacques. La maladie s’appelle d’ailleurs la blanchoite aiguë. Jacques doit partir. Il s’installe à l’hôtel, après avoir acheté un chiot ainsi que tous les accessoires nécessaires au confort de son nouveau compagnon. Nouveau compagnon qui est écrasé par un bus dès la sortie de l’animalerie. A l’hôtel, Jacques se surprend très vite à dormir dans la niche en mousse du chiot trop tôt disparu. L’hôtel coûte cher et Jacques n’a déjà plus les moyens de payer. Il perd le jour-même le modeste emploi qu’il occupait dans un magasin de fournitures pour les beaux-arts. Dès lors, la métamorphose de Jacques s’accélère. Il devient un chien. Un chien moche, mais un chien quand même. Il est recueilli et adopté par le propriétaire de l’animalerie dans laquelle il avait acheté son chiot. Aux frontières de l’absurde, et avec un cynisme jamais tout à fait noir, Samuel Benchetrit jette sur la société…
[RENTREE AUTOMNE 2018] Ils sont trois, trois qui ont grandi dans le quartier de Molenbeek, cette commune de Bruxelles qui a fait les gros titres de la presse après les attentats de 2015. Il y a Rayan, Driss et Khalil. «Rayan, Driss et moi avions appris à tenir sur nos pattes sous le même toit et nous nous étions cassé la figure sur le même carrelage. Ma mère nous avait élevés comme des triplés. A trois ans, Rayan fut confié à une crèche, Driss et moi restâmes à la maison.» Rayan est celui qui a réussi, sa mère y a veillé, consacrant sa vie à son fils. Sans jugement sur le comportement des uns et des autres, Yasmina Khadra laisse entendre que l’éducation joue un rôle prépondérant dans l’évolution des jeunes hommes. De la place qu’ils occuperont dans la société dépendra le respect qu’on leur témoignera. Rayan est celui qui a réussi. Il occupe un emploi d’ingénieur en informatique dans une société de management. Driss a rapidement décroché et, lorsqu’il doit refaire sa seconde, Khalil lui emboîte le pas et brûle son cartable une bonne fois pour toutes. C’est Lyès qui change le destin de Khalil: «Il m’avait éveillé aux…