Fille du silence, par Carole Declercq, éditions Terra Nova
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 29 juin 2018

Rita Atria est née en Sicile, dans une famille mafieuse. Petite fille heureuse, elle grandit entre un père aimant, une mère sévère et silencieuse et un frère complice. Dans son dernier roman, Fille du silence, Carole Declercq s’est emparée du destin tragique de cette enfant devenue presque femme. Rita Atria est devenue Rina Abadia pour une fiction très proche de la réalité. Dans les remerciements de fin de volume, l’auteur rend d’ailleurs hommage à Petra Reski, dont le biographie de Rita Atria a été son fil d’Ariane. Carole Declercq a voulu donne le «contre-chant psychologique» à cette biographie. Et elle y parvient parfaitement. Si les noms de lieux et de personnes ont presque tous été modifiés, l’histoire racontée n’en reste pas moins tristement réelle. Le roman nous permet donc de suivre l’enfance de Rina, de comprendre comment Cosa Nostra imprègne le quotidien des familles siciliennes. La mafia n’est pas un vêtement dont on peut se débarrasser, c’est une peau qu’il faut arracher. Le père de Rina est le «parrain» du village. Il est respecté et sa parole à valeur de loi. Jusqu’au jour où il est assassiné dans son champ. Qui l’a tué? Probablement quelqu’un qu’il connaissait bien, un de…

La vie princière, par Marc Pautrel, éditions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 14 juin 2018

Un séminaire dans une vaste et riche propriété. Chaque participant est logé dans une maison individuelle et, chaque soir, un dîner rassemble les invités. C’est là que le narrateur rencontre L***, une belle et volubile Italienne. «C’était imprévisible, au début je n’étais pas attiré par toi, puis je me suis senti comme collé, comme tissé à toi […]». Le narrateur écrit à celle qui a déjà quitté le domaine et à qui il n’est pas parvenu à déclarer sa flamme. Il lui fait part, dans le détail, des sentiments et des émotions qui l’ont traversé lors de leurs dîners (elle était toujours assise à côté de lui) et de leurs promenades. Comment tombe-t-on amoureux? C’est sans doute un mystère propre à chacun. Mais en soixante-sept pages, Marc Pautrel nous en livre un des possibles agencements. Il nous fait ressentir, avec beaucoup de finesse, la montée en puissance de l’amour naissant. L’état amoureux s’installe, dissout la gêne, ouvre le champ des possibles, délie les langues et les gestes. Roman parfaitement contemporain (on y reçoit des appels de ses parents sur un téléphone portable), La vie princière provoque cependant chez le lecteur la sensation d’être projeté hors du temps. Le somptueux décor…

De purs hommes, par Mohamed Mbougar Sarr, éditions Philippe Rey et éditions Jimsaan
CRITIQUE , ROMAN / 12 juin 2018

Ndéné Gueye est professeur de lettres à Dakar. L’enthousiasme de ses premières années d’enseignement a laissé place à la résignation. Les étudiants subissent sans intérêt les cours qu’il donne sans plus de passion. «Je me suis souvent interrogé si l’enseignement actuel des lettres étrangères, françaises en particulier, dans nos universités était une bonne idée.» Le belle Rama et sa mystérieuse mais intouchable chevelure sont pour Ndéné un réconfort comme un refuge de plaisir. C’est Rama qui lui montre une vidéo devenue virale à Dakar. Elle montre l’exhumation du cadavre d’un homme jeté hors du cimetière musulman par une foule en furie. La réaction primaire et première de Ndéné est celle de la très grande majorité des musulmans pratiquants de sa communauté: il ne s’agit finalement que d’un góor-jigéen, un homme-femme, c’est-à-dire un homosexuel. Ndéné donne un cours sur la poésie de Verlaine, sans savoir que l’Académie a tout récemment déconseillé avec vigueur de donner en exemple des écrivains aux mœurs contraires à la morale. Les étudiants se rebiffent et accusent Ndéné de faire de la propagande gay. «Il [Verlaine] fait partie de la grande propagande européenne pour introduire l’homosexualité chez nous» argumentent-ils. Ndéné vit de plus en plus mal l’homophobie…

Les mots de la tribu, par Nicolas Tavaglione, éditions Labor et Fides
CRITIQUE , PHILOSOPHIE / 11 juin 2018

A l’heure où les éléments de langage ont pris le pas sur les éléments de pensée dans le discours public, Nicolas Tavaglione fait œuvre de salubrité en publiant Les mots de la tribu, son abécédaire philosophique. Il emprunte son titre à un poème de Stéphane Mallarmé: «Donner un sens plus pur aux mots de la tribu». Et il est vrai que l’auteur débarrasse nombre de mots de leurs scories. Amour est une belle entrée en matière. En bon philosophe, Nicolas Tavaglione s’interroge sur ce qu’est l’amour. Et se fondant sur la philosophie contemporaine, il en esquisse trois théories. Le lecteur pourra se reconnaître dans chacune d’elle. Et c’est là que ce livre utile atteint son but. Utile? Qu’est-ce qui est utile? Nicolas Tavaglione se penche également sur la question en nous exposant la science chiffrée du choix. Et pose la question du prix d’une vie humaine. Mais faut-il traiter l’être humain comme une marchandise? Le calcul se heurte à la morale et la conclusion de l’auteur nous enchante: «Nous terminons donc le voyage avec ce conseil de prudence: les mots, comme notre foie, doivent faire l’objet de tous nos soins.» Les mots de la tribu nous offre cinquante-cinq notules. Certaines…

Les mystères de l’eau, par Blaise Hofmann (texte) et Rémi Farnos (illustrations), éditions La Joie de Lire
JEUNESSE / 10 juin 2018

«La connaissance est un bien commun». «Il faut absolument apprendre à voir loin». «Comprendre pour ne plus avoir peur». Ces trois phrases figurent dans la lettre que le professeur Dubrochet adresse à la jeune Naïa aux dernières pages du splendide ouvrage de Blaise Hofmann illustré par Rémi Farnos, Les mystères de l’eau. Un livre qui prolonge Les mystères de l’Unil (Université de Lausanne), dont les journées grand public ont eu lieu les 2 et 3 juin derniers. Naïa, douze ans, doit préparer un exposé sur l’eau. Après avoir vu à la télévision le tout récent prix Nobel de chimie, le professeur Dubrochet, elle décide de suivre les rives du lac et le conseil du scientifique: aller à contre-courant! Elle décide donc de remonter sa petite rivière, La Chamberonne. Chemin faisant, elle croise d’éminents professeurs: Veinard pour la géographie, Roulis pour la biologie, Brumaire pour la théologie, Négevand pour la philosophie et, enfin, Gouttera pour la psychologie sociale. Car oui, toutes ces disciplines ont un rapport étroit avec l’eau. Blaise Hofman donne à comprendre des éléments complexes dans un langage simple, mais jamais simpliste. Le livre est celui de la rencontre d’un écrivain avec des scientifiques. Un écrivain qui a su…

200 mètres nage libre, par Pauline Desnuelles, éditions Emmanuelle Collas
CRITIQUE , ROMAN / 7 juin 2018

Liam est irlandais. C’est au Cap-Vert qu’il a choisi de se réfugier pour soigner un chagrin d’amour et pour donner libre cours à sa passion, le kitesurf. Autour du caisson dans lequel est rangé le matériel nécessaire aux cours donnés sur la plage, José s’affaire à préparer les voiles et Tina accueille les enfants venus apprendre à nager. Paradoxalement, la plupart des îliens ne savent pas nager et l’altruiste Irlandais s’est donné pour mission d’initier les plus jeunes, de leur apprendre à dompter la peur de cet océan pourtant nourricier. Elea, ravissante adolescente, presque femme déjà, est devenue une nageuse aguerrie. Mais le jours de la compétition organisée par Liam et sa bande, elle manque à l’appel. Très vite, l’inquiétude fait place au doute. Elea s’est-elle noyée? Les autochtones ne regardent plus Liam de la même manière. Et si les reproches ne sont pas directement formulés, les coups mettent les points sur les i. Dans ce court roman, Pauline Desnuelles organise sa narration en touches nuancées. La langue est technique lorsqu’il s’agit de nous faire comprendre le kitesurf, elle devient empathique pour dire le Cap-Vert, sa beauté et sa misère, elle se fait langoureuse lorsque Liam cède aux charmes de…