Mise en pièces, par Nina Leger, Editions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 30 janvier 2017

Le bandeau rouge qui barre le bas de la couverture annonce: ROMANCE. Mise en pièces, deuxième roman de Nina Leger, est la romance vécue par Jeanne avec le sexe des hommes. Jeanne feint le malaise, s’affaisse contre une surface de préférence froide, c’est important le sentiment de froid entre les omoplates, et attend qu’un inconnu lui offre son aide. Inconnu qu’elle emmène aussitôt dans le premier hôtel venu, miteux ou de luxe. De lui, elle ne garde rien d’autre que l’image de son sexe: «Qu’importent le visage, la taille, la carrure ou le ventre: elle ne leur accorde pas le moindre regard, car rien, dans la physionomie d’un homme, n’annonce jamais son sexe.» Avec les images de ces sexes, Jeanne se construit un «palais de mémoire». Un palais qu’elle arpente en pensées et où elle est en mesure de se remémorer très précisément chaque sexe connu. On ne sait rien de Jeanne, ni qui elle est, ni l’âge qu’elle a, ni la profession que, peut-être, elle exerce. Elle pourrait être enseignante suggère Nina Leger. Mais. «Le professeur est une facilité narrative autant qu’il est un risque aux conséquences potentiellement catastrophiques dans le cas d’un récit qui prend pour objet la…

La Légèreté, par Catherine Meurisse, Editions Dargaud
BD , CRITIQUE / 29 janvier 2017

«On dit des choses solides, lorsqu’on ne cherche pas à en dire d’extraordinaires.» La phrase d’Isidore Ducasse s’applique parfaitement à ce bel album de Catherine Meurisse, dessinatrice qui a échappé au massacre de Charlie Hebdo grâce à une panne de réveil. Comment se remet-on d’un tel traumatisme? Comment accepter, comprendre, intégrer la disparition de tous ces collègues, de tous ces amis? Catherine Meurisse raconte brièvement son entrée à Charlie Hebdo, dix ans avant l’horreur, sa soirée du 6 janvier et son arrivée tardive du 7. Elle narre beaucoup plus longuement, et c’est tout l’intérêt de l’album, ce qui s’est passé après: la dévastation, la dissociation, la perte des souvenirs, la protection rapprochée, la solitude et l’impossibilité d’être seule. Comment s’en sortir, comment continuer à vivre? Le syndrome de Stendhal semble être la seule planche de salut. Ce syndrome est une maladie psychosomatique qui provoque des accélérations du rythme cardiaque, des vertiges, des suffocations, voire des hallucinations chez certains individus exposés à une surcharge d’œuvres d’art, et donc à une surcharge de beauté. Dans son album autobiographique, Catherine Meurisse raconte sa résidence à la Villa Médicis où elle espère se confronter à cette surcharge de beauté. Mais dans un premier temps,…

Louis Calaferte mis en voix par Virginie Despentes
ACTUALITE / 28 janvier 2017

Ouverture du Festival Antigel hier soir à la Salle centrale Madeleine avec ce qui était annoncé comme une lecture musicale. Mais il ne s’agissait pas réellement d’une lecture, je parlerais plutôt d’une mise en voix du Requiem des innocents, de Louis Calafarte, par Virginie Despentes accompagnée par le groupe Zëro. Le texte de Calaferte, publié en 1952, a profondément marqué l’auteure de Vernon Subutex qui le restitue dans sa dureté et sa dimension révoltée. On regrettera une qualité de son pas tout à fait à la hauteur de la scansion hypnotique de Virginie Despentes. Pas de mise en scène, tout se passe au niveau du corps de la récitante, littéralement habitée par le texte qu’elle connaît quasiment par cœur. La gestuelle des mains, les balancements d’une jambe sur l’autre, d’avant en arrière, les regards en disent davantage que tous les artifices qu’aurait pu imaginer un metteur en scène. La diction est particulière, fait vivre les dernières syllabes longuement pour se marier au plus près à la musique subtile de Zëro. Pas de respiration dans ces 70 minutes de performance. Le texte vous prend et ne vous lâche plus, vous habite pour longtemps. Parce que finalement, la vraie star hier soir,…

Comme un enfant perdu, par Renaud Séchan, XO Editions
AUTOBIOGRAPHIE , CRITIQUE / 25 janvier 2017

Premier constat, Renaud signe son livre de son nom complet, Renaud Séchan. Ce n’est pas le chanteur qui nous parle, c’est l’homme, ou plutôt l’enfant qu’il aurait tant aimé rester. Voilà qui nous amène directement au titre, Comme un enfant perdu. L’auteur aurait pu se passer du «comme». Renaud est un enfant perdu. Perdu dans un monde adulte qui foule aux pieds les idéaux de son enfance et de sa jeunesse, perdu dans un milieu où il a honte d’être célèbre et de gagner beaucoup d’argent, perdu dans un monde où les mensonges et les cachoteries découverts brisent à jamais la confiance, perdu dans un monde où, sans le vouloir, il étouffe de sa célébrité son propre père, écrivain, qu’il estime avoir privé d’un succès pourtant mérité. Les blessures de Renaud sont profondes, il les confie pourtant sans fard: cette honte de la réussite, la paranoïa développée à Moscou et qui ressurgit à Cuba pour ne plus le quitter, l’alcool pour rendre cette parano supportable. L’alcool qui l’emmène loin dans l’autodestruction et qui lui fait tutoyer la mort. Joliment écrit, grâce notamment à l’accompagnement pas à pas de Lionel Duroy, cette autobiographie éclaire le personnage de ses propres mots et…

Une activité respectable, par Julia Kerninon, Editions du Rouergue
AUTOBIOGRAPHIE , CRITIQUE / 24 janvier 2017

C’est Le Matricule des Anges qui avait attiré mon attention sur Buvard, le premier roman de Julia Kerninon, un hommage à la littérature et à l’acte d’écrire. C’est donc tout naturellement que je me suis penché sur Une activité respectable. Nouvelle ode à l’écriture et à la lecture, ce récit autobiographique retrace les vingt-cinq années d’écriture de l’auteure, qui n’a pourtant que trente ans. Elle a grandi avec un père et une mère hors normes, sa mère en particulier, accro aux livres, fine conseillère en écriture et, longtemps, meilleure amie de sa fille. Dans ces soixante pages, Julia Kerninon se livre, sans impudeur mais avec sincérité. Ce qu’elle nous fait comprendre, c’est que si elle écrit, c’est parce qu’elle ne peut pas faire autrement. Quitte à bosser six mois comme serveuse à un rythme endiablé pour pouvoir lire et écrire six autres mois durant. S’il ne s’agissait que de cela, ce livre serait purement anecdotique. Et, finalement, le parcours de Julia Kerninon importe peu. Ce qui compte, c’est son écriture où chaque mot est soigneusement choisi et tient une place précise dans des phrases souvent très longues, mais dans lesquelles le lecteur jamais ne se perd. Une écriture qui possède…

Le silence même n’est plus à toi, par Asli Erdogan, Editions Actes Sud
CHRONIQUES , CRITIQUE / 23 janvier 2017

«La liberté est un mot qui refuse de se taire.» C’est cette liberté qu’Asli Erdogan défend, pied à pied, dans Le silence même n’est plus à toi, recueil de ses chroniques publiées dans Özgür Gündem, journal pro-kurde, et qui lui ont valu d’être emprisonnée en août 2016. Le titre de la chronique donnant son nom au recueil est emprunté à un poème du Gymnopédie de Georges Séféris, poème qui commence ainsi: «A l’heure où les dés heuretent le sol, à l’heure où le glaive heurte l’armure, à l’heure où rencontrant ceux de l’étranger, les yeux des âmes expirantes s’emplissent d’amour… A l’heure où regardant alentour, tu ne vois que pieds arrachés, mains mortes, et ces yeux qui s’éteignent… A l’heure où désormais même mourir t’es refusé…» Ces quelques vers donnent la mesure de ce qui se dégage de ce recueil. Un sentiment de dépossession totale, de nuit tombée sur le monde et sur les hommes, de goût de cendre dans la bouche, de pluie incessante. Que reste-t-il à l’auteure, à la journaliste? Les mots bien sûrs, «l’écrasante pesanteur de vivre et d’écrire en ces jours où les hommes – dont des blessés, des enfants – sont brûlés vifs dans les…

Les six finalistes du Prix du Public de la RTS
ACTUALITE , PRIX LITTERAIRES , ROMAN / 22 janvier 2017

La RTS a dévoilé hier les six ouvrages de la sélection finale du Prix du public 2017. Après lecture d’une soixantaine d’ouvrages, le jury dirigé par Patrick Ferla a donc désigné L’Ajar, pour Vivre près des tilleuls (Flammarion), Silvia Härri pour Je suis mort un soir d’été (Bernard Campiche), Jean-François Haas pour L’homme qui voulut acheter une ville (Seuil), Ralph Lutli pour Le dernier voyage de Soutine (Le bruit du temps), Pascale Kramer pour Autopsie d’un père (Flammarion) et Elisa Shua Dussapin pour Hiver à Sokcho (Zoé)

Bande originale d’«Arrête avec tes mensonges» de Philippe Besson
BANDE ORIGINALE , ROMAN / 21 janvier 2017

Philippe Besson nous raconte donc l’histoire de son premier amour. Nous sommes en 1984, l’auteur à 17 ans. Il décrit la période par touches savamment dosées, et notamment au travers de la musique. Première référence lors d’un voyage à Londres, page 45: «Je découvrirai Londres, une auberge de jeunesse à côté de la gare de Paddington, un concert de Bronski Beat, les boutiques de fripes, les harangueurs de Hyde Park, les soirs de bière, les jeux de fléchettes, quelques nuits fauves». C’est l’occasion pour Philippe Besson de nous dire comment est née son envie de bouger, «le goût pour le mouvement, l’impossibilité de tenir en place, la détestation de ce qui enracine». L’occasion aussi de citer une première fois Jean-Jacques Goldman, page 46: «aller n’importe où mais changer de paysage, ce sont les paroles d’une chanson». Jean-Jacques Goldman encore lorsque Thomas Andrieu, l’amoureux de Philippe Besson se rend chez l’auteur pour la première fois, pages 74 et 75: «Aux murs, des posters de Jean-Jacques Goldman. Il me dévisage avec un froncement de sourcils, comme pour se moquer de moi. Il affirme que c’est de la variété pour les filles Goldman. Vexé, je réponds qu’il se trompe, qu’il devrait écouter attentivement…

«Arrête avec tes mensonges», par Philippe Besson, Editions Julliard
AUTOBIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 20 janvier 2017

«Arrête avec tes mensonges». La mère de Philippe Besson disait «mensonges» plutôt qu’«histoires». Philippe Besson a en effet la capacité de forger des histoires qui savent nous séduire, roman après roman. Mais s’il est effectivement écrit «Roman» sur la page de garde d’«Arrête avec tes mensonges», c’est bien d’un récit dont il s’agit ici, un récit autobiographique. 1984, Philippe Besson a dix-sept ans. Bon élève, il est aussi souvent moqué par ses camarades en raison de son allure, de ses vêtements, de ses manières. C’est le temps également où il prend pleinement conscience de son orientation sexuelle. Pas si simple dans un petit village de Charente. C’est encore moins simple pour Thomas Andrieu, à qui le livre est dédié, fils de paysan appelé à reprendre l’exploitation familiale. C’est l’histoire d’un premier amour que nous raconte avec brio Philippe Besson, un grand amour qui couve sous le désir adolescent. Au sein de cette paire, qui ne peut pas être un couple, qui ne peut pas se vivre au grand jour, c’est Thomas qui fixe les règles: ne jamais se montrer, ne jamais en parler, à personne! Avec des mots parfois crus, Philippe Besson expose pourtant avec beaucoup de finesse l’apprentissage du…

Littoral, par Bertrand Belin, P.O.L éditeur
CRITIQUE , ROMAN / 19 janvier 2017

Sur la page de garde de Littoral, il est écrit: Roman. Mais c’est un conte que nous offre Bertrand Belin. Un conte où l’on retrouve la très belle écriture de ses chansons, sur une distance plus longue. Une écriture qui jubile à explorer le champ lexical des bateaux et de la pêche, des poissons et des oiseaux. Trois hommes en mer: l’autre en rouge, le plus jeune et le troisième homme. Tout commence avec la découverte d’un cormoran qui s’est pris dans le filet de pêche, y a laissé la vie. Avec talent, Bertrand Belin instille une peur sournoise dans la narration. Qui a pu apercevoir les trois hommes sur leur embarcation? Petit à petit, le lecteur se rend compte que les trois protagonistes vivent en dictature, une dictature où «l’armée d’un pays» fait régner l’ordre. Sur le bateau, le plus jeune s’endort à la barre. C’est la collision, heureusement sans dommage. Mais pour le punir, l’autre en rouge le dépose sur une bouée d’où le plus jeune devra lancer ses filets, et l’abandonne là, sans que le troisième homme ne s’y oppose. L’occasion pour le plus jeune d’éprouver la solitude, mais aussi la liberté et la conscience de son…