[RENTRÉE AUTOMNE 2018] C’est Lise qui a insisté pour qu’avec Franck, ils louent cette maison perdue au milieu de nulle part, sans téléphone et sans connexion à des kilomètres à la ronde.Elle a été actrice, il est producteur de cinéma. Elle ne tourne plus, elle préfère peindre, ou méditer. Il produit à l’ancienne des films qui ne marchent plus. Dès le premier soir dans la maison, un chien, un grand chien, un très grand chien, sans collier, s’impose à Franck, cherche à établir le contact avec lui.
La maison n’a probablement jamais été louée auparavant. Dans une narration magistralement orchestrée, Serge Joncour nous dévoile parcimonieusement ce qui s’y est passé un siècle plus tôt exactement, en pleine Première Guerre mondiale. C’est alors un dompteur allemand, ironie du sort, qui s’installe sur les hauteurs avec ses huit fauves, tigres et lions. Wolfgang vit seul et nourrit ses bêtes, maégré les pénuries, grâce à un ingénieux dispositif caché dans la forêt.
C’est en découvrant ce dispositif, un siècle plus tard, que l’instinct de survie de Franck se réveille, aiguillé par sa proximité avec le grand chien. Non, Franck ne laissera pas sa société de production être dépecée par ses deux jeunes et récents associés, Liem et Travis qui ne jurent que par Netflix et Amazon.
«Les lions ne s’entretuent pas pour une proie, tandis que les hommes le feraient» confie Wolfgang à la belle Joséphine, la jeune veuve du médecin du village. Et en effet, les hommes sont capables de le faire.
Avec le talent qu’on lui connaît, Serge Joncour plonge son lecteur au cœur de la forêt du Lot, une forêt sans fin, peuplée de bêtes, l’un des grands personnages de ce roman. L’auteur sait aussi parfaitement disséquer l’âme et le cœur de ses personnages. Si la sensualité embrase les rencontres de Wolfgang et Joséphine, elle a quitté le quotidien de Lise et Franck, au profit d’une connivence respectueuse. L’amour sans le faire en somme.
A pas de loup, avec beaucoup de finesse et d’une écriture précise et ferme, l’auteur parvient surtout à réveiller la part sauvage, animale qui sommeille en chacun de ses lecteurs. Il nous met en garde aussi: il vaut parfois mieux se méfier de son prochain que des chiens, fussent-ils très grands. Un formidable roman.
Chien-Loup, par Serge Joncour, éditions Flammarion, 2018, 476 pages. Prix Landerneau des lecteurs 2018.
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