La terre tremblante, par Marie-Jeanne Urech, Hélice Hélas éditeur
CRITIQUE , ROMAN / 7 août 2018

La terre tremblante est un conte, une fable. Bartholomé de Ménibus quitte son petit village après l’enterrement de son père. Il veut savoir ce qu’il y a derrière la montagne. Il commence l’escalade encore vêtu de son costume de dimanchedeuil. Bartholomé découvre que derrière la montagne, il y a une autre montagne, puis une autre encore. Il parviendra pourtant à la mer. Derrière chaque verticalité, un monde nouveau: celui des vaches-hublot, celui des cimetières de déchets nucléaires, celui des champs de cheveux, celui de l’élevage de porcs à la verticale, d’autres encore. Au cours de son périple, Bartholomé exercera toutes sortes de métiers dont celui de nettoyeurs de déchets de satellites dans l’espace. Au village, on l’appelle l’ange boiteux en raison de sa claudication. Bartholomé n’a jamais répondu à son amour. Mais elle part pourtant sur ses traces, avec sa luge et ses livres. Dans une double narration savamment construite, Marie-Jeanne Urech nous raconte une histoire d’amour tout en pointant du doigt les travers d’un monde globalisé. Derrière chaque montagne, une société tente de survivre. L’occasion pour l’auteure de porter un regard critique et écologique sur la modeste condition humaine. Le voyage de Bartholomé s’achève sur un continent de déchets,…

Tina, par Christian Laborde, éditions du Rocher
CRITIQUE , ROMAN / 1 février 2018

Un nouveau roman de Christian Laborde en librairie, c’est la promesse d’une langue qui vous chuchote ou qui vous gueule à l’oreille. Avec Tina, elle chuchote. Elle chuchote dans la chambre où Léontine se donne à cet officier allemand. Elle chuchote dans ce train de marchandises qui conduit Tine à Toulouse pour échapper aux résistants. Elle chuchote dans ce couvent où elle est accueillie. Elle chuchote dans les bras de Viktor, son amant, son poète pour qui elle devient Tina à la lame du couteau. Pas d’histoire compliquée avec ce court roman. Tina, c’est un conte. Un conte en boucle, qui commence où il finit et se termine où il débute. Un conte qui swingue comme la pluie sur les tuiles roses des toits, comme le répertoire de Renato Hiès, comme la voix de Lola Tapioka lorsqu’elle chante Some of this days. C’est le soleil et c’est la lune, c’est la pluie et c’est le vent qui tous prennent soin de Tina et de sa tignasse. Car oui, les héros de ce roman à l’éros affleurant, ce sont les cheveux de Léontine, la mèche de Tine qui lui fend le visage, «cette mèche, cette flamme qui, sur ce visage sublime,…

Les fables de la joie, par Stéphane Blok, Bernard Campiche éditeur
CRITIQUE , ROMAN / 2 novembre 2017

Comment survivre? Comment survivre quand, après être sorti d’un tunnel dont il a forcé la porte à l’aide d’une barre de fer, le narrateur découvre un paysage de désolation. Tout est recouvert d’une suie blanchâtre, les cours d’eau sont asséchés, tout a disparu, arbres, maisons, repères. Ce narrateur se dit qu’il ne peut pas être le seul survivant, que, forcément, quelque part, il y a quelqu’un d’autre. Sentiment renforcé par le passage sonore et a basse altitude de deux avions de chasse au-dessus de sa tête. Il faut marcher. Marcher toujours dans la même direction, marcher jusqu’à rencontrer quelque chose ou quelqu’un. Le jour, tout est opaque. La nuit, le ciel prend des teintes orangées et mauves. Le marcheur finira par découvrir un repère et donc savoir où il se trouve, quelque part dans le Jura vaudois. Il survit grâce à la pluie, découvre une fourmi, preuve que la vie n’a pas totalement disparu. Puis une silhouette grise laisse supposer une agglomération à l’horizon. Marcher encore jusqu’à ce qui se révèle être les ruines d’un village. Exténué, le narrateur se couche sur le sol, s’endort, rêve en couleurs et sent la mort venir se blottir tout contre lui. Fin du…

Demain les chats, par Bernard Werber, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 14 août 2017

Faut-il considérer ce roman comme une fable ou un conte? Probablement. Car en plus de nous raconter l’histoire des relations entre chats et hommes depuis les origines, il nous interroge sur le monde d’aujourd’hui et sur l’incapacité de l’homme à vivre en paix. Bastet est une chatte qui a pour vocation d’établir la communication entre les espèces vivantes, en particulier avec sa servante, Nathalie. Oui, pour les chats nous sommes des serviteurs et des servantes! Malgré ses tentatives désespérées de communication, Bastet ne comprend que quelques uns des mots prononcés par sa servante. Mais un beau jour, sur le balcon d’en face, apparaît Pythagore, un siamois aux yeux bleus, bien plus intéressant que Félix, le gros matou qui ne pense qu’à manger et à dormir, même s’il a engrossé Bastet. Pythagore possède un Troisième Œil, à savoir un logement de clé USB protégé par un couvercle violet et situé sur son front. Sa servante, une scientifique, l’a éduqué grâce à ce dispositif. Ce qui permet à Pythagore de transmettre son savoir à Bastet. Et l’on découvre, s’il en était encore besoin, que l’on est souvent plus malheureux dans la connaissance que dans l’ignorance. «Finalement, Félix est heureux car il est…

Amarres, par Marina Skalova, éditions L’âge d’homme
CRITIQUE , RECIT / 3 juillet 2017

Avant ce récit, Marina Skalova n’a publié qu’un recueil de poésie. Et ce nouveau texte en est tout imprégné. Ce qui frappe d’emblée, c’est le rythme et le souffle de chaque phrase. Un rythme qui se déstructure en fin de récit pour imposer plus violemment encore au lecteur les ultimes émotions. Ce récit est un conte. Il nous raconte l’histoire de ce navigateur qui débarque sur une île qui n’est jamais nommée, mais qui pourrait être la Suisse. Une île dont il  a étudié les coutumes et appris la langue. La méfiance est popurtant au rendez-vous et l’intégration difficile, quasi impossible. Un artisan pourtant lui cède son atelier-logis, désireux de prendre la mer et de partir découvrir le monde. Malgré tout, le narrateur ne trouve pas sa place dans la communauté, se marginalise, achète ses provisions presque clandestinement. Pourtant un jour, un habitant qui a voyagé, vu d’autres contrées, l’invite à partager un repas. Le narrateur le quittera pourtant avec un sentiment étrange, un malaise. La pluie tombe abondamment et la tempête fait rage. Puis certains autochtones tombent malade et meurent. Le narrateur de ce très beau récit est confronté au refus de l’altérité, à la méfiance, au rejet et…

Littoral, par Bertrand Belin, P.O.L éditeur
CRITIQUE , ROMAN / 19 janvier 2017

Sur la page de garde de Littoral, il est écrit: Roman. Mais c’est un conte que nous offre Bertrand Belin. Un conte où l’on retrouve la très belle écriture de ses chansons, sur une distance plus longue. Une écriture qui jubile à explorer le champ lexical des bateaux et de la pêche, des poissons et des oiseaux. Trois hommes en mer: l’autre en rouge, le plus jeune et le troisième homme. Tout commence avec la découverte d’un cormoran qui s’est pris dans le filet de pêche, y a laissé la vie. Avec talent, Bertrand Belin instille une peur sournoise dans la narration. Qui a pu apercevoir les trois hommes sur leur embarcation? Petit à petit, le lecteur se rend compte que les trois protagonistes vivent en dictature, une dictature où «l’armée d’un pays» fait régner l’ordre. Sur le bateau, le plus jeune s’endort à la barre. C’est la collision, heureusement sans dommage. Mais pour le punir, l’autre en rouge le dépose sur une bouée d’où le plus jeune devra lancer ses filets, et l’abandonne là, sans que le troisième homme ne s’y oppose. L’occasion pour le plus jeune d’éprouver la solitude, mais aussi la liberté et la conscience de son…