Plus tard, je serai un enfant, par Eric-Emmanuel Schmitt, entretiens avec Catherine Lalanne, Bayard éditions
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ENTRETIENS / 28 février 2017

Excellente idée que cette collection L’Atelier de l‘enfance publiée par Bayard Editions. De quoi s’agit-il ? Tenter de découvrir dans quel jardin pousse l’herbe d’un artiste. Eric-Emmanuel Schmitt répond aux questions de Catherine Lalanne, rédactrice en chef à l’hebdomadaire Pèlerin et directrice de la collection. Le romancier et dramaturge nous apprend dans la préface, qu’il na pas eu la même enfance toute sa vie et que ce volume nous donne à découvrir l’enfance de ses 50 ans. Et de conclure cette mise en bouche en nous révélant qu’aujourd’hui, il est devenu son propre enfant. Premier constat, Eric-Emmanuel Schmitt et Catherine Lalanne se connaissent bien et se font confiance. Au point que l’écrivain a confié à la directrice de collection quelques photos tirées directement de l’album de famille. Elles figurent en fin d’ouvrage. Le lecteur commence son voyage au pays de l’enfance d’Eric-Emmanuel Schmitt sur un balcon. Celui de l’appartement que ses parents habitent à Lyon et qui permet au bambin de prendre de la hauteur en embrassant le monde du regard. Il découvre aussi, ce lecteur, l’importance d’un grand-père capable de saupoudrer la vie de paillettes d’or. Très vite, le jeune Eric-Emmanuel est un lecteur insatiable. Il apprend quasiment à lire…

Le Voyage à Duino, par Eric Masserey, Bernard Campiche éditeur
CRITIQUE , ROMAN / 27 février 2017

Que dire de ce roman ? Qu’il laissera des traces, pour longtemps, dans l’esprit et dans le cœur du lecteur. Que l’auteur plonge sa plume dans l’indicible de l’amour. L’Amour de toute une vie peut-il durer trois jours ? Oui ! Sans aucun doute, à condition que ces trois journées se déroulent à Duino, là où Rilke a écrit ses fameuses Elégies dont Lou Andreas-Salomé affirmera qu’elles sont «l’inexprimable dit, élevé à la présence». Mais n’est-ce pas là la quête d’Eric Masserey qui prend la peine de nous avertir en préambule : «Le roman est inachevé. Je ne suis pas mort ; posthume, on aurait pardonné. Loin de mourir, j’ai porté ces mots par monts et par vaux. J’ai maudit et violemment désiré cette histoire. Je l’ai rejetée, retrouvée et quittée souvent au cours de plusieurs années d’écriture. Une histoire d’amour a le silence jaloux d’une alcôve, je ne sais pas tout de cet homme et de cette femme qui m’étaient proches, réunis quelques jours en un seul lieu. Je en les ai plus revus ensemble, c’était il y a longtemps.» Le défi littéraire est de taille : redonner vie aux thèmes des Elégies à travers un roman contemporain. Le Voyage à Duino possède en effet…

Le Garçon, par Marcus Malte, éditions Zulma, Prix Fémina
CRITIQUE , PRIX LITTERAIRES , ROMAN / 26 février 2017

Le phénomène est fréquent. L’envie de lire un livre, de retrouver un auteur, lorsqu’elle est, ne serait-ce que légèrement, disproportionnée, provoque une forme de déception à l’arrivée. C’est le cas avec Le Garçon de Marcus Malte, un roman qui ne manque pourtant pas de qualités. Vaste fresque qui enjambe le pont qui relie le 19è au 20è siècle, Le Garçon est une somme à plus d’un titre. Une somme romanesque avec ses plus de cinq cent pages et une somme de romans en quelque sorte. Chacune des parties du volume aurait pu donner lieu à un tome d’une grande saga : roman naturaliste, roman érotique, roman historique, roman d’aventure, roman d’amour. Le Garçon n’a pas de nom, même s’il deviendra Félix Mazeppa. Première liberté perdue ! Il ne parle pas, ce qui est à la fois une liberté et un enfermement. Tout au long du roman, le Garçon ne cessera de quitter un enfermement pour un autre. On le découvre à la mort de sa mère, un déchirement, mais une libération aussi. Le voilà errant, puis très vite enfermé dans un premier travail, valet de ferme, logé, nourri, mais pas payé. Un nouveau rebondissement le projette dans la roulotte de Brabek, l’Ogre…

Destruction d’un cœur, par Stefan Zweig, Le Livre de Poche
CRITIQUE , NOUVELLES / 16 février 2017

Qu’apporte la lecture de Stefan Zweig au lecteur du 21è siècle ? La question est légitime une fois refermé ce recueil de trois nouvelles dont la première, Destruction d’un cœur, donne son nom à l’ensemble. Trois nouvelles de 1931, époque où Stefan Zweig n’a pas encore pris conscience des dangers de la montée du nazisme (il faudra attendre 1933 pour cela), nazisme contre lequel il ne prendra d’ailleurs jamais publiquement position (voir à ce propos le dossier de fin de volume établi par Isabelle Hausser). Au-delà de leur date de publication, les trois nouvelles de ce recueil ont d’autres points communs. Destruction d’un cœur raconte l’histoire d’un riche bourgeois en vacances. Respirant mal, il se lève nuitamment pour faire quelques pas dans le couloir de l’hôtel, sans allumer la lumière. Il surprend alors sa fille sortant de la chambre d’un homme avant de se faufiler discrètement dans la sienne. Le père en est profondément remué. Il se réfugie dans la colère et le ressentiment, peste contre sa fille et sa femme pour qui il a travaillé toute sa vie afin qu’elle ne manquent jamais de ce maudit argent nécessaire à leur confort et à leur vie mondaine. C’est le cœur de…

Louis Soutter, probablement, par Michel Layaz, Editions Zoé
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 14 février 2017

Il faut une sensibilité hors du commun pour réussir ce que Michel Layaz atteint à la perfection avec Louis Soutter, probablement. Et toute la finesse de l’exercice réside dans ce «probablement». Biographie romancée du peintre et violoniste suisse, l’ouvrage respecte scrupuleusement le parcours de vie de Louis Soutter. Violoniste de talent, marié à Madge, et vivant à Colorado Springs, Soutter est victime de troubles qui pourraient s’apparenter au syndrome de Stendhal lorsque son jeu de violon atteint un seuil d’émotion insupportable. «Les êtres singuliers et leurs actes asociaux sont le charme d’un monde pluriel qui les expulse». Ainsi Jean Cocteau définit-il ses Enfants terribles. La phrase sied à Louis Soutter aussi bien qu’un de ces costumes à la coupe impeccable qu’il affectionnait tant. Tellement expulsé Louis Soutter qu’il se retrouve à l’asile. Pas chez les aliénés, non, mais parmi ceux qui ne parviennent pas à subvenir à leur besoins, à survivre seuls dans la vie que l’on qualifie, souvent à tort, de normale. A l’asile de Ballaigues, Soutter renoue avec le dessin qu’il avait pratiqué et enseigné aux Etats-Unis. Mais son art prend une toute autre dimension dans la chambre de l’asile. Le lecteur suit Louis, vit avec Louis, marche…

L’Opium du ciel, par Jean-Noël Orengo, Editions Grasset
CRITIQUE , ROMAN / 12 février 2017

«La femme est l’avenir de l’homme» écrivait Aragon. Elle est aussi son passé, son fondement, si l’on en croit L’Opium du ciel, le deuxième roman de Jean-Noël Orengo. Jérusalem est un drone né de la fusion de deux de ses semblables, Lovecraft, aéronef civil, et CSNR108, d’origine militaire. Jérusalem est né d’un père et d’une mère d’adoption qui se sont rencontrés au «campement», un lieu hors du temps et de l’espace. Lovecraft était la propriété de la jeune S (comme fiché S), adolescente embrigadée par Daesh-Necronomicon. CSNR108 était piloté par Eurêka, une femme déterminée qui n’a pourtant pas réussi à actionner le dispositif d’autodestruction du drone alors qu’elle en a perdu le contrôle. S et Eurêka. Ce sont donc deux femmes qui sont à l’origine des parties constitutives de Jérusalem. Mais ceux qui vont lui donner son âme, sa faculté de penser, ses sentiments et son autonomie (y compris énergétique), ce sont ce père et cette mère d’adoption. Jean-Noël Orengo offre une mise en lumière à des personnages réels et un peu oubliés qui font ainsi leur entrée dans sa fiction. Raphael Patai est le père, Marija Gimbutas est la mère. Elle est l’une des plus grandes archéologues et anthropologues…

Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines, par Charles Bukowski, Editions Points
CRITIQUE , POESIE / 11 février 2017

Le 9 mars, il y aura 23 ans que Charles Bukowski nous a quittés. Tout le monde se souvient de son passage dans l’émission Apostrophe, le 22 septembre 1978, une émission mouvementée sur laquelle les versions divergent mais qui ont fait de l’Américain un écrivain-culte. L’un de ces écrivains dont on parle beaucoup, mais qu’on lit de moins en moins. Ses romans et nouvelles ont pourtant inspiré de nombreux réalisateurs. Les éditions Points publiaient en 2011 Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines, un recueil d’une petite centaine de poèmes qui retracent essentiellement les premières années d’écriture de l’auteur. Le recueil est dédié à Jane, sa compagne, rencontrée alors qu’il avait 26 ans, alcoolique et avec qui il vivra une vie mouvementée durant une dizaine d’années. C’est l’époque où Bukowski n’a pas encore été publié, qu’il s’engage à la poste pour survivre et où il découvre les courses hippiques, l’autre grande passion de sa vie. Les poèmes de ce recueil qui évoquent Jane sont splendides de profondeur et de désespérance. D’amour aussi. Se promener dans les poèmes de Bukowski, c’est accepter de descendre dans les profondeurs les plus noires, celles de la vie de bohème, d’alcool,…