C’est quelque chose, par Fabienne Radi, éditions d’autre part
CRITIQUE , ROMAN / 27 septembre 2017

Etrange impression que celle laissée par le C’est quelque chose de Fabienne Radi. C’est indiscutablement le livre d’un écrivain: une écriture, une voix, un souffle, un rythme. L’histoire, relativement banale, nous renvoie à la culture des années 70. En voyage professionnel de longue durée à Oslo, un couple loue sa maison, située en lisière de forêt, à un groupe de jeunes Suédois qui y ramènent de nombreuses conquêtes féminines (la chose aura son importance). En courts chapitres, Fabienne Radi parvient à nous faire sentir l’atmosphère de l’époque et du lieu. Son écriture, très factuelle, fait pourtant surgir des odeurs, des émotions, des matières. Très réussie aussi la narration parallèle, impressionniste, des notes en bas de page. Il reste pourtant un goût d’inachevé en refermant ce court roman, une suspension. Le lecteur reste sur une tension. Et il se dit, ce lecteur, que c’est effectivement quelque chose, quelque chose de pas négligeable, mais il ne sait pas très bien quoi. C’est quelque chose, par Fabienne Radi, éditions d’autre part, 2017, 90 pages. Prix littéraire chênois 2016. Enregistrer

De si rudes tendresses, par Tomaso Solari, éditions Encre Fraiche
CRITIQUE , EROTIQUE , NOUVELLES / 26 septembre 2017

Quatorze nouvelles habitées par deux thèmes récurrents: les secrets de famille et le pouvoir du désir. L’inspiration de Tomaso Solari est vive et ses nouvelles nous font voyager de l’Espagne au Portugal, de la Colombie à Genève. On sent chez l’auteur une forte tendance à l’empathie, un intérêt marqué pour les vies cabossées, la résilience. Le titre du recueil, De si rudes tendresses, dit bien la difficulté pour les hommes – et pour le Emiliano de la nouvelle intitulée EMS en particulier – d’exprimer leurs sentiments les plus profonds. La honte, la peur du jugement d’autrui sont parfois des obstacles insurmontables. Le désir, lui, est difficile à contourner et donne à certaines nouvelles une teinte érotique plaisante. Il y a de belles réussites dans ces quatorze nouvelles. Quelques naïvetés d’écriture aussi à l’occasion qui font trébucher d’autres histoires pourtant fort bien construites. L’auteur a cependant sa personnalité, elle sait interpeller le lecteur. C’est donc avec intérêt que nous suivrons ses prochaines publications. Parce que l’intelligence du cœur finit toujours par gagner. De si rudes tendresses, par Tomaso Solari, éditions Encre Fraîche, 2017, 196 pages.

Les contes défaits, par Oscar Lalo, éditions Belfond
CRITIQUE , ROMAN / 24 septembre 2017

Comment parler de ce livre sans l’abîmer, sans le trahir, sans être décalé? Pour son premier roman, Oscar Lalo saisit à pleines mains l’un des sujets les plus complexes, les plus sensibles qui soient. Comment dire l’indicible? A soixante-cinq ans, son personnage raconte enfin ce qui lui est arrivé dans ce home d’enfants dans lequel il a passé toutes ses vacances scolaires. Vacances parfaites aux yeux des parents rassurés par le dépliant publicitaire, avec son jus d’orange, ses croissants et son gentil chien. Vacances de l’horreur pour les enfants, dès la montée dans le train, puis au home, entre une directrice dictatoriale et son mari, l’homme d’enfants, l’abuseur, celui qui ne sera plus leur ami s’ils parlent. Pourtant, le narrateur avouera son adoration de ce lieu où on lui a volé son enfance et, partant, tout le reste de sa vie. Parce que lorsqu’on a deux ans et demi, puis quelques années de plus, on est persuadé que tout est notre faute, qu’on est entièrement responsable de ce qui nous arrive. Toute une vie foutue en l’air, à briser les élans de ceux qui vous aiment, à ne jamais rester inoccupé, de peur de penser. Même la méditation se limite…

Virgules en trombe, par Sarah Haidar, Apic éditions
CRITIQUE , ROMAN / 23 septembre 2017

Après trois romans écrits en arabe, Sarah Haidar publie Virgules en trombe en 2013. Rédigé en français, ce «presque roman» reçoit le Prix des Escales littéraires d’Alger en 2013. Il donne surtout au lecteur à sentir, et presque à vivre, l’affrontement qui oppose sans trêve l’auteur aux mots, aux personnages, aux situations, à l’inspiration. Dédié «à la littérature, sublime salope sans scrupules…», Virgules en trombe change de narrateur, de sujet, de point de vue, à chacun de ses vingt-trois chapitres. Qui parle? L’auteur? L’un des personnages? Un autre narrateur? Qu’importe! Car ce qui compte dans cet OLNI (Objet littéraire non identifié), c’est la puissance des mots, l’extrême cruauté des situations. Ecrire est une torture, un viol subi, mais dont l’absence ou le retrait sont plus violents encore. Il y a du sexe, il y a du sang, il y a de la sueur dans ce «presque roman» organique, orgasmique et mental. Car pour Sarah Haidar, journaliste et romancière algérienne, il n’y a rien de confortable, ni rien d’agréable dans l’acte d’écrire. Sa langue est pourtant foisonnante, véritable matière brute de la pensée: «On peut tout voir dans un livre mais sans jamais pouvoir le toucher.» Sarah Haidar rejoint Céline et…

chute et ravissement, par Brigitte Fontaine, éditions Actes Sud
CRITIQUE , POESIE / 17 septembre 2017

Il faut placer ce texte dans le contexte de la collection Le Souffle de l’esprit d’Actes Sud. «La collection Le Souffle de l’esprit se veut le reflet d’un ouverture des uns aux autres, à travers la prière, la réflexion, la méditation. Nous avons demandé à des personnalités religieuses ou laïques, croyantes, athées ou agnostiques, de nous faire part de leurs “prières”, qu’elle soient une invocation à Dieu ou une réflexion de sagesse sur l’humain et son devenir.» Alors? Ce chute et ravissement? Prière? Invocation au Dieu Rimbaud? Une chose est sûre, c’est bien à Rimbaud que s’adresse Brigitte Fontaine. Mais peut-être aussi et surtout à nous tous qui ne sommes pas sortis du Servage. Rimbaud qui «ne veut savoir rien/ des fashion weeks», mais Rimbaud qu’on implore: «Arthur/peux-tu nous aider à traverser la rue/nous sommes de vieilles dames vaincues/des vieillards surgelés.» Brigitte Fontaine ne lit plus Rimbaud, elle le porte dans son cœur, lui rend hommage, mais le rabroue aussi: «le bateau ivre, ouais ouais, mais un peu académique non?» Rimbaud qui n’est jamais aussi grand pour Brigitte Fontaine que quand il cesse d’écrire. «Il n’y a pas de secours/pas de recours/seul seule pour toujours/sans même l’amour/l’amour du plein/l’amour du…

La zone des murmures, par Natacha Nisic, Tohubohu éditions
CRITIQUE , ROMAN / 17 septembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] C’est à un voyage que nous convie Natacha Nisic. Un voyage dans les Alpes de Haute-Provence, dans le passé et dans les traumatismes de l’enfance. Franck décroche un poste dans une agence Web. Surpris par l’aspect vieillot des locaux et par l’accumulation de paperasse dans tous les coins, il s’installe pourtant au sous-sol avec ses nouveaux collègues: Lu, le développeur chinois, Othy, l’expert SEO marocain et la séduisante Lise, en charge des RS. On se parle peu au sein de l’agence, mais on travaille beaucoup sous les ordres de l’Autre, surnom du patron, véritable Big Brother qui scrute la vie professionnelle et intime de ses employés. Projet majeur de l’agence: la mémoire inversée. Un logiciel qui doit permettre de maintenir en vie virtuelle ces chers disparus. «La Web Agency était une vaste entreprise de spiritisme.» La pression est forte à l’agence. Les heures supplémentaires ne se comptent pas et ne sont naturellement pas rémunérées. Lise et Franck, qu’elle appelle désormais Frankie, décident de passer un week-end déconnecté dans les Alpes de Haute-Provence. Pas de téléphone, pas d’ordinateur, pas de GPS. De toute façon, ils seront en zone blanche. Deux narrateurs pour ce roman original. Lise nous détaille…

Les absents, levez le doigt!, par Pierre Bénichou, éditions Grasset
CRITIQUE , ESSAI , SOUVENIRS PERSONNELS / 15 septembre 2017

Une fois n’est pas coutume, je vais beaucoup vous parler de moi en parlant du magnifique livre de Pierre Bénichou, le premier qu’il publie, à l’âge de 78 ans. Pierre Bénichou a aujourd’hui une image de people, d’amuseur public. La faute aux Grosses Têtes dont il est l’un des piliers. Mais Pierre Bénichou a longtemps été rédacteur en chef du Nouvel Observateur. Et c’est dans les pages de l’hebdomadaire qu’il a initialement publié les textes ici rassemblés sous ce beau titre : Les absents, levez le doigt ! Vingt-six. Vingt-six doigts levés. Vingt-six textes pour dire adieu. La nécro, comme on dit dans les rédactions, est un exercice difficile, je n’en ai signées que fort peu en presque quarante ans de métier : Bob Marley (que je n’ai ni connu ni même rencontré), Bernard Grobet, patron emblématique du Griffin’s Club (j’aurais des dizaines d’histoires à raconter à son sujet) et Claude Richoz, mon père professionnel, inoubliable rédacteur en chef de feu le quotidien La Suisse. Pierre Bénichou signe donc vingt-six nécrologies de personnages, de personnalités qu’il a connues, fréquentées et dont la plupart étaient des amis. De A comme Aragon à V comme Ventura, il enterre avec affection et une plume superbe quelques…

Bande originale de Gazoline Tango, par Franck Balandier
BANDE ORIGINALE , ROMAN / 12 septembre 2017

Un roman qui se décline en partitions plutôt qu’en chapitres méritait bien que l’on se penche sur sa bande son. Ce d’autant plus que le sujet central du roman est… le silence. La critique est à lire aussi. Tout commence par une épigraphe de John Cage: «Jusqu’à ma mort, il y aura toujours du bruit et il continuera à me suivre même après.» Pas de chapitres donc, mais des partitions, chacune associée à une œuvre musicale. Partition 1: Prélude en do majeur, de Jean-Sébastien Bach, BWV 846 La première partition nous raconte la naissance de Benjamin Granger, le 11 juillet 1983. Sa mère, Isabelle, est batteuse dans un groupe de punk. Et l’auteur de faire référence au slogan des années punk, No future!, un slogan mis en musique à l’époque par les Sex Pistols. Le groupe d’Isabelle s’appelle The Naked Tits (traduction, les seins nus). Un groupe imaginaire bien sûr, même si un tel groupe a existé à la fin des année 70, The Ladybirds. Le titre du roman est assez rapidement explicité. Gazoline Tango est le morceau phare du répertoire de The Naked Tits. Après recherche, aucune chanson ne porte ce titre, mais nous avons trouvé un Gasoline interprété…

Gazoline Tango, par Franck Balandier, Editions Le Castor Astral
CRITIQUE , ROMAN / 12 septembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] «L’humour est la politesse du désespoir» disait Boris Vian. «C’est qu’il évite d’en incommoder les autres. Il y a du tragique dans l’humour: mais c’est un tragique qui refuse de se prendre au sérieux. Il travaille sur nos espérances, pour en masquer les limites; sur nos déceptions, pour en rire; sur nos angoisses, pour les surmonter» ajoute André Comte-Sponville. Tout le roman de Franck Balandier tient dans ces deux définitions. Que nous est-il arrivé depuis le 11 juillet 1983, date de naissance de Benjamin Granger, son personnage? En reste-t-il des souvenirs, ou nous sommes-nous contentés d’en fabriquer, pour survivre? Il y a quelque chose du Vernon Subutex de Virginie Despentes chez Benjamin: cette façon d’être en marge tout en étant dedans. Gazoline Tango parcourt d’ailleurs, à peu de choses près, la même période que la trilogie Subutex, des années 80 à nos jours. Mais là où Virginie Despentes porte un regard sociologique sur la société, Franck Balandier plonge dans la matière organique de ces années sexe, drogue et pas forcément rock’n’roll. Il va chercher, creuser, fouiller au plus profond de l’humain. Benjamin, né contre son gré et contre celui de sa mère, Isabelle, batteuse dans un groupe…

Bande originale d’Indocile, par Yves Bichet
BANDE ORIGINALE , ROMAN / 10 septembre 2017

La musique fait très vite son entrée dans le beau roman d’Yves Bichet dont vous pouvez aussi lire la critique. Théo est dans la chambre d’Antoine, inconscient sur son lit d’hôpital. Par la fenêtre, il entend une fanfare militaire qui joue La gloire immortelle de nos aïeux, non sans quelques couacs. Alors que les militaires jouent à l’extérieur, Théo décide de passer de la musique à Antoine. «On met Johnny?» lui propose-t-il. Passent alors Retiens la nuit et Souvenirs Souvenirs. Quelques pages plus loin, nous découvrons Mila, une fillette qui joue avec ses deux copines dans une roulotte alors que sa grand-mère prépare le goûter dans la maison toute proche. Au mur de la roulotte, une affiche des Doriss Girls dont Mila chantonnera l’air un peu plus tard. Mila a grandi et elle rencontre Théo. Ensemble, ils se rendent à la foire de Beaucroissant. Et devant le Palais des Délices, un haut-parleur fait jaillir La Belle de Cadix. On retrouve Johnny Hallyday dès le début du chapitre suivant (chapitre 5) qui commence avec la citation des paroles de Douce violence. Mila et Théo ont fait l’amour. Pour lui, c’est la première fois. De l’autre côté du lac au bord duquel…