La vengeance du pardon, par Eric-Emmanuel Schmitt, éditions Albin Michel
CRITIQUE , NOUVELLES / 30 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Il est des livres dont vous savez, en les refermant, qu’ils ont modifié quelque chose en vous. La vengeance du pardon est de cette caste. Quatre histoires, quatre bijoux que l’on porte au cœur comme une décoration ou une fleur à la boutonnière. Il y a d’abord l’écriture. Les trois premières pages de la nouvelle qui ouvre le recueil, Les sœurs Barbarin, sont une promesse, la promesse fleurie des rues de Saint-Sorlin. Promesse tenue, sans jamais faiblir, jusqu’au jardin final de Werner von Breslau, personnage central, avec la divine Daphné, de Dessine-moi un avion. Eric-Emmanuel Schmitt surprend sans jamais désarçonner. Le conteur ne masque pas le philosophe et le dramaturge rivalise de virtuosité avec l’écrivain. Les quatre nouvelles soufflent le chaud et le froid sur l’âme humaine. Des jumelles Barbarin à l’aviateur allemand en retraite, en passant par la naïve Mandine (véritable Cio-Cio-San moderne), le puissant et riche William Golden, Sam Louis le tueur en série ou Elise Maurinier la traductrice, c’est la question du pardon qui sous-tend ‘ensemble de l’ouvrage. Comment pardonner à l’autre, fut-il le meurtrier de votre propre fille? Comment se pardonner à soi-même lorsqu’on a mis fin aux jours d’un génie? Peut-on pardonner…

Vous connaissez peut-être, par Joann Sfar, éditions Albin Michel
AUTOBIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 29 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Vous connaissez peut-être, c’est la phrase que vous impose régulièrement Facebook pour vous suggérer de nouvelles amitiés virtuelles. Dans ce roman autobiographique, Joann Sfar nous raconte sa rencontre virtuelle avec la jeune et jolie Lili, et celle, bien réelle par contre, avec Marvin, un bull-terrier extrêmement malin, mais tueur de chats. «Tout est vrai sinon ce n’est pas drôle» nous prévient l’auteur. Si tout est vrai, ce n’est pas drôle du tout. Car ce que le lecteur prend d’emblée en pleine face, c’est l’immense souffrance de l’auteur, sa peur panique de la solitude. S’il s’inscrit dans la continuité de Comment tu parles de ton père, ce roman est beaucoup plus violent. Et plus foutraque dans sa construction. Joann Sfar nous y dévoile sa vie sexuelle dans le détail, mais parle aussi de ses débuts de prof aux Beaux-Arts et fait régulièrement référence à Gainsbourg, évidemment. Mais la véritable question que pose ce roman dérangeant est celle de la création. Comment continuer à raconter des histoires à des gens qui passent trois heures par jour devant des écrans? Quelle part de vérité et quelle part de fiction dans ce que délivrent les réseaux sociaux? Joann Sfar prendra la…

Le grand mystère des règles, par Jack Parker, éditions Flammarion
CRITIQUE , ESSAI / 27 août 2017

Je vais finir par être incollable sur la question… Après l’excellent Ceci est mon sang d’Elise Thiébaut, je viens de terminer Le grand mystère des règles, de Jack Parker, déjà auteure du blog Passion Menstrues. Si les deux livrent abordent le même sujet, ils ne s’adressent pas au même public. Jack Parker s’adresse essentiellement à la jeune génération, celle qui fréquente assidument les réseaux sociaux, dont elle maîtrise parfaitement le vocabulaire et les codes. S’il est oins «scientifique» que celui d’Elise Thiébaut, le livre de Jack Parker ne manque cependant pas d’atouts. A commencer par le discours récurent de l’auteure: sentez-vous libre, cherchez ce qui vous convient, n’ayez pas honte, écoutez et apprenez à connaître votre corps. Liberté et respect sont ici les maîtres-mots. Pour gagner le jeune public à sa cause, Jack Parker à la très bonne idée de nous parler de la place des règles dans l’art. Elle est bien faible cette place au cinéma mais, comme souvent, l’art contemporain ouvre des voies et fait office de précurseur. Dans ce dernier domaine, l’auteure dresse même une liste d’artistes dont les œuvres peuvent éveiller la sensibilité et développer l’intérêt pour les menstrues. Davantage que militant, Jack Parker signe un…

Qui a tué Heidi?, par Marc Voltenauer, éditions Slatkine & Cie
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 25 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Vous avec aimé Le Dragon du Muveran? Vous allez adorer Qui a tué Heidi? Avec cette deuxième aventure de l’inspecteur Andreas Auer, Marc Voltenauer franchit un cap. Son intrigue est toujours aussi habilement menée, savamment construite, mais ses personnages gagnent en épaisseur. Andreas en particulier, dont le lecteur cerne mieux la personnalité, l’auteur levant un coin de voile sur sa part d’ombre. L’homosexualité d’Andreas Auer est également moins anecdotique que dans le premier roman, les réflexions d’un tueur à gages russe, Litso Ice (visage de glace) interpellant le lecteur sur sa propre perception du monde gay. Autre élément nouveau et subtilement amenée, la dimension ethnographique du roman. Gryon reste le lieu central de l’intrigue et c’est l’occasion pour Marc Voltenauer de familiariser le lecteur avec le folklore et les traditions suisses: concours de vaches, channe et jass font partie intégrante du tableau. Mais le roman ne se contente pas de rester à Gryon. Les affaires sérieuses commencent même à Berlin où un quadruple meurtre ouvre la voie à un projet immobilier d’envergure, à Gryon. Si l’on est confronté, comme dans Le Dragon du Muveran, à une affaire dictée par des ressorts psychologiques, s’y ajoute cette fois une…

La nuit des enfants qui dansent, par Franck Pavloff, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 24 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Zâl est un slackeur, il se promène trente mètre au-dessus du sol, sur une étroite sangle bleue. Zâl est proche des étoiles et il parle aux oiseaux, des oiseaux qui font partie intégrante de son spectacle. Avec La nuit des enfants qui dansent, Franck Pavloff nous emmène dans une double, une triple et même une quadruple quête. La quête de Zâl, qui poursuit son absolu mystique en solitaire. La quête d’Andras, exilé hongrois qui cherche à sortir de son passé. La quête de Téa, fugueuse abusée par son beau-père et qui voit dans la sangle de Zâl un moyen de prendre de la hauteur. Quête des réfugiés syriens ou afghans qui transitent par la Hongrie où Andras entraîne Zâl, le ramenant ainsi où tout a commencé. L’entreprise est facilitée par le Sziget, l’un des plus grands festivals d’Europe qui accueille sur une île du Danube des artistes tels que Robbie Williams, The Saints, Manu Chao ou Assaf Avidan. La musique, il en est beaucoup question dans ce beau roman. Andras est le dernier descendant d’une lignée de facteurs d’orgue et L’Estate Jubilate de Mozart ou une passacaille de Bach vont jouer un rôle important dans la trame…

Frappe-toi le cœur, par Amélie Nothomb, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 24 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] «Marie aimait son prénom». Ainsi commence le nouveau roman d’Amélie Nothomb. Première phrase, premier étonnement. Les personnages s’appellent ici Marie, Brigitte, Véronique, Nathalie, Karine, Célia, Elisabeth, Olivia ou Diane. On est loin des Hazel, Léopoldine, Fubuki, Pannonique, Plectrude et Astrolabe croisées dans les romans précédents. Idem pour les garçons. Olivier, Alain, Nicolas, Hugues et Hubert ont été préférés à Prétextat, Palamède, Textor, Epiphane ou Zoïle. Autre étonnement, ce roman nous raconte l’histoire de Diane sur une période de trente-cinq ans, du 15 janvier 1972 au 6 février 2007. Jamais Amélie Nothomb ne nous avait fait suivre un personnage sur une aussi longue période. Le titre ensuite. Frappe-toi le cœur, titre emprunté à Alfred de Musset et à l’un de ses premiers poèmes. C’est Diane qui confie à Olivia qu’elle a choisi d’embrasser la carrière de chirurgienne à cause de ce poème: «Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie». Le lecteur curieux ira découvrir la suite du poème. Elle éclaire singulièrement le roman d’Amélie Nothomb. «Ah! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie. C’est là qu’est la pitié, la souffrance et l’amour; C’est là qu’est le rocher du désert de la vie, D’où les flots d’harmonie,…

Jeux de dame, par Thierry Dancourt, éditions de La Table ronde
CRITIQUE , ROMAN / 23 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Paris. Berlin. Trieste. Nous sommes au début de l’année 1961, le mur de Berlin n’a pas encore été érigé, il le sera en août de la même année. A Paris, Pascal Clerville effectue une mission au Palais des colonies (devenu musée de l’histoire de l’immigration depuis 2007). Il rencontre Solange Darnal, une habituée du musée et, en particulier, de son Aquarium, situé en sous-sol. Alors qu’elle ne le connaît qu’à peine, Solange demande à Pascal s’il veut bien arroser régulièrement ses plantes vertes durant son absence, son appartement étant tout proche du Palais où il travaille. Il doit aussi démarrer régulièrement la voiture de Solange, une Volvo P1800, afin de maintenir la batterie en vie. En effectuant ces tâches, Pascal fait la connaissance de Madame Hutin, voisine de Solange et ancienne amie de la mère de Solange, Rose Darnal. Grâce à Madame Hutin, Pascal va en apprendre davantage sur cette Solange qu’il connaît si peu. Il va également découvrir, dans la boîte à gants de la Volvo, un passeport orné de la photo de Solange mais qui n’est pas établi à son nom… Solange, qui prétend travailler pour le Conseil économique et social, est à Berlin où…

L’absente de Noël, par Karine Silla, éditions de L’Observatoire
CRITIQUE , ROMAN / 23 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Noël, ses rituels et ses obligations familiales. Sophie, vingt ans, doit rentrer de Dakar où elle est partie dans un orphelinat, comme bénévole, avec son amie Pamela. Mais seule Pamela a pris place dans l’avion du retour à Paris. Qu’est-il arrivé à Sophie? Pour le savoir, sa famille au grand complet part à sa recherche. Et ça fait du monde. Virginie d’abord, la mère de Sophie. Elle a conçu ce premier enfant avec Antoine, homme marié à Fanny, une bourgeoise qui n’a jamais accepté cette fille adultérine, sujet tabou dans sa famille. Gabriel, mari de Virginie, et donc beau-père de Sophie, est celui qui veut réconcilier tout le monde, qui a remplacé Antoine, père trop souvent absent,  auprès de Sophie. Chloé, fille de Virginie et Gabriel les suit à contrecœur au Sénégal, persuadée que sa sœur a simplement fugué. René, le père de Virginie, n’a pas voulu rester à Paris. Il est, comme souvent, «un grand-père a l’opposé du père qu’il a été». C’est à lui que les enfants font confiance, à lui qu’ils se confient. C’est aussi le cas de Paul, le fils d’Antoine et Fanny, à qui René plait tout de suite.Paul qui se découvre…

A Paris! mais avec…, par Nathalie Infante et Thierry Dancourt, Les éditions Marie-Louise
CRITIQUE , JEUNESSE / 22 août 2017

Très joli album jeunesse que celui proposé par Les éditions Marie-Louise, sous le pinceau de Nathalie Infante et la plume de Thierry Dancourt qui nous proposent de revisiter la capitale française, mais avec un regard neuf, poétique, curieux, cherchant le particulier sans tomber dans l’anecdotique. Une capitale sans ses contraintes, sans ses embouteillages et son bruit. Les lieux choisis sont paisibles, magnifiquement évoqués par le trait sensible de l’illustratrice. Les personnages aussi sont attachants et poétiques. Rémy Darcey qui s’est installé, venu d’Amiens, dans le quartier Seine Rive Gauche. C’est un solitaire qui a un penchant un peu trop prononcé pour les fleurs. Il fait la connaissance de Charles Montfort et de Lucien, le Prince des oiseaux. Darcey et Montfort vont rencontrer Modesty lors de l’une de leurs promenades et l’amour sera au rendez-vous. Le jeune lecteur découvrira quelques secrets de Paris (les ruches logées sur le toit de l’Opéra), enrichira son vocabulaire grâce au juxtapositions de synonymes chères à Monsieur Montfort, découvrira la force des lois, celles des hommes et celles de l’amour. Sans oublier les 81 chats qui se cachent dans les 53 pages de ce petit bijou. A Paris! mais avec…, par Nathalie Infante et Thierry Dancourt,…

Danser au bord de l’abîme, par Grégoire Delacourt, éditions JC Lattès
CRITIQUE , ROMAN / 21 août 2017

«Delacourt, c’est une sacrée bonne femme.» La déclaration est de l’auteur lui-même, référence à la Jocelyne de La liste de mes envies. Elle s’applique parfaitement à Emmanuelle, personnage central de Danser au bord de l’abîme. Ce roman tient à la fois de Madame Bovary (Emmanuelle est appelée Emma par tout le monde, sauf par sa mère) et de La Chèvre de Monsieur Seguin dont Grégoire Delacourt nous restitue le texte original (une lettre à Pierre Gringoire, poète lyrique parisien) en fin de roman. Danser au bord de l’abîme est le roman du désir, celui qui surprend Emma à la Brasserie André lorsqu’elle voit un homme s’essuyer la bouche avec une serviette de coton damassé. Un désir si fort, si vrai, si immédiat, si évident, qu’elle lui fera quitter Olivier, son mari, Manon, Louis et Léa ses enfants. Danser au bord de l’abîme n’est par le roman du désamour, mais bien celui du désir plus fort que tout. Grégoire Delacourt est obsédé par l’instant présent, celui qui permet de saisir sa chance, de faire basculer sa vie, de donner une chance au bonheur. Avec Emma, il brise aussi un tabou: il est moins facile de comprendre et d’accepter d’une femme qu’elle…