Puisque tout passe, par Claire Chazal, éditions Grasset
AUTOBIOGRAPHIE , CHRONIQUES , CRITIQUE / 30 juillet 2018

Après avoir présenté durant vingt-quatre ans les journaux du week-end sur TF1, Claire Chazal est brutalement écartée de l’antenne en 2015. «Sale année 2015, qui aura vu la mort de ma mère, le départ de mon fils du nid que nous occupions tous les deux, et l’arrêt de ma carrière. Tout ça est dans l’ordre des choses, peut-être, mais je ne m’y résous pas.» Trois ans plus tard, Claire Chazal publie Puisque tout passe. Ces fragments de vie, de courts chapitres qui tissent une toile impressionniste de la journaliste et de la femme, jettent un éclairage étonnant sur le personnage public. Le lecteur découvre effectivement une femme inquiète, fragile, parfois mélancolique, souvent solitaire. Malgré la pudeur des propos, les blessures sont perceptibles, compréhensibles, les blessures amoureuses en particulier. Claire Chazal s’interroge beaucoup, sur son métier, sur sa vie, sur le temps qui passe et qui l’effraye, sur la mort (celles de son père et de sa mère, mais sur la sienne propre aussi, qui laissera son fils François orphelin). L’auteur revient aussi sur son enfance, ses amies (dont l’une est une presque sœur), ses parents issus de milieu modeste et devenus enseignants tous les deux à force de détermination. Claire…

De rien, c’est-à-dire de tout, par Bertrand Baumann, éditions de L’Aire
CHRONIQUES , CRITIQUE / 20 janvier 2018

Enseignant à la retraite, Bertrand Baumann nous livre un deuxième volume de ses notules, instants éphémères, réflexions humanistes, impressions d’un monde qu’il aborde dans une perpétuelle double posture : à la fois dedans, et souvent dehors. Traversant les années 2010 à 2014, De rien, c’est-à-dire de tout n’est pas un journal intime. Bertrand Baumann n’est pas un diariste, il l’avoue volontiers à l’occasion : des jours, parfois des semaines sans écrire. Quant à l’intime, s’il affleure parfois, il ne prend jamais la première place. L’amitié amoureuse pour Mathilda en est le meilleur exemple. L’auteur évoque plutôt qu’il ne décrit. «Mes notules sont la petite monnaie du temps, la petite monnaie de ma vie. Depuis quelques années, je vide ma crousille. Mais ma vie actuelle y dépose quelques pépites.» Ce pépites, ce sont des rencontres avec des personnes réelles, à l’instar de Niki qui veut absolument passer son permis de conduire pour s’en sortir dans cette Suisse qui la rejette, ou imaginaires, comme ce poivrot suicidaire sauvé par l’auteur. Bertrand Baumann est aussi un lecteur et un traducteur. Il nous livre de fines réflexions sur ses traductions de Robert Walser ou des Aphorismes de Lichtenberg, s’interroge sur le pouvoir des mots, sur leurs…

People Bazaar, par Jean-Pierre de Lucovich, éditions Séguier
CHRONIQUES , CRITIQUE / 26 décembre 2017

Jean-Pierre de Lucovich a œuvré plus de cinquante années au sein des rédactions de Paris Match, Vogue Homme, Lui, Photo ou Harper’s Bazaar notamment. Que ce soit en France ou aux Etats-Unis, cet infiltré dans le beau monde nous offre donc en partage cinq décennies de rencontres avec le gratin de ce qu’on a d’abord appelé la jet set, puis, les peoples. Lorsqu’on exerce son métier avec passion, comme c’est le cas pour l’auteur, on finit par nouer des amitiés avec ceux que l’on rencontre ou que l’on croise au fil des reportages. Maurice Ronet ou Françoise Sagan sont de ceux qui sont devenus les amis de Jean-Pierre de Lucovich. C’est d’ailleurs Françoise Sagan qui aurait lancé la mode des devinettes «Monsieur et Madame ont un fils» si l’on en croit l’auteur. Mais l’amitié la plus ancienne, la plus solide, c’est celle que l’auteur partage avec son collègue Pierre Bénichou. Raconter la vie mondaine, cinquante ans durant, demande de ne jamais se lasser, de garder intact le pouvoir de s’étonner, voire de s’émerveiller. Et la qualité première de tout journaliste, la curiosité, doit être de tous les instants. C’est cette curiosité permanente, teintée de bienveillance (même si les coups de…

Chroniques alexandrines, par Robert Naggar, éditions de L’Harmattan
CHRONIQUES , CRITIQUE / 12 novembre 2017

Ces chroniques sont d’abord d’un amoureux. Amoureux de l’Egypte en général, d’Alexandrie en particulier. C’est en 2003 que Robert Naggar reçoit d’une banque égyptienne un chèque de trente mille dollars. Une somme qui représente les loyers générés par un immeuble appartenant à sa famille, des biens familiaux séquestrés en 1958, après que la plupart des juifs aient été chassés d’Egypte. La famille de Robert Naggar possédait plusieurs immeubles au centre d’Alexandrie, des dépôts, tout un village et de vastes terrains agricoles. Robert Naggar décide de tenter de récupérer ces biens familiaux, profitant de la dé-séquestration prononcée quelques années plus tôt. Il se lance alors dans une vaste enquête qui va durer de 2007 à 2016, période durant laquelle il se rend à de nombreuses reprises en Egypte, seul ou avec des membres de sa famille. En résultent ces dix-sept Chroniques alexandrines qui ont le mérite de nous faire traverser les époques, des souvenirs des années 50 à l’époque contemporaine, de Moubarak à al-Sissi en passant par le printemps arabe. Ayant vécu à Alexandrie jsqu’à l’âge de dix-sept ans, Robert Naggar parle l’arabe presque couramment. Il nous raconte, parfois avec une certaine candeur, mais souvent avec bon sens, ses pérégrinations dans…

Ô vous, sœurs humaines, par Mélanie Chappuis, éditions Slatkine & Cie
CHRONIQUES , CRITIQUE , RECIT / 6 novembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Mélanie Chappuis ne regarde pas. Elle voit. Et parce qu’elle voit, elle sait, elle sent, elle ressent! L’épigraphe de son roman est signée Albert Cohen, comme il se doit: «Je cherche l’amour du prochain, dites, sauriez-vous où est l’amour du prochain?» Il est dans les solidarités, les complicités et les fidélités narrées par Mélanie Chappuis. Il n’est pas dans les rivalités, les dualités ou les vanités également sondées par l’auteure. Car l’homme, et donc la femme, est ainsi fait, de grandeur d’âme et de mesquinerie, d’empathie et d’égoïsme. En désincarnant les personnages de ses textes courts, en les privant le plus souvent de prénoms, Mélanie Chappuis leur donne le don d’universalité. Qui n’a jamais saisi les légers plis au coin des yeux d’une femme voilée et donc deviné son sourire? Qui n’a jamais ressenti la bienveillance de celui ou de celle qui n’est pourtant pas du cercle des intimes? Au travers des scènes qu’elle décrit, le plus souvent puisées au quotidien d’ici et d’ailleurs, l’auteure capte l’essentiel de ce qui fait, j’ose l’écrire, notre humanité. Ô vous, sœurs humaines, par Mélanie Chappuis, éditions Slatkine & Cie, 2017, 126 pages.  

Le silence même n’est plus à toi, par Asli Erdogan, Editions Actes Sud
CHRONIQUES , CRITIQUE / 23 janvier 2017

«La liberté est un mot qui refuse de se taire.» C’est cette liberté qu’Asli Erdogan défend, pied à pied, dans Le silence même n’est plus à toi, recueil de ses chroniques publiées dans Özgür Gündem, journal pro-kurde, et qui lui ont valu d’être emprisonnée en août 2016. Le titre de la chronique donnant son nom au recueil est emprunté à un poème du Gymnopédie de Georges Séféris, poème qui commence ainsi: «A l’heure où les dés heuretent le sol, à l’heure où le glaive heurte l’armure, à l’heure où rencontrant ceux de l’étranger, les yeux des âmes expirantes s’emplissent d’amour… A l’heure où regardant alentour, tu ne vois que pieds arrachés, mains mortes, et ces yeux qui s’éteignent… A l’heure où désormais même mourir t’es refusé…» Ces quelques vers donnent la mesure de ce qui se dégage de ce recueil. Un sentiment de dépossession totale, de nuit tombée sur le monde et sur les hommes, de goût de cendre dans la bouche, de pluie incessante. Que reste-t-il à l’auteure, à la journaliste? Les mots bien sûrs, «l’écrasante pesanteur de vivre et d’écrire en ces jours où les hommes – dont des blessés, des enfants – sont brûlés vifs dans les…