Etre ici est une splendeur – Vie de Paula M. Becker, par Marie Darrieussecq, P.O.L. éditeur
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ESSAI / 20 décembre 2017

Un geste amoureux. Ainsi Marie Darrieussecq définit-elle l’écriture de cette biographie, rédigée alors qu’avec Julia Garimorth  et Fabrice Hergott, elle préparait l’exposition Paula Modersohn-Becker au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris programmée d’avril à août 2016, «un printemps et un été pour Paula, cent dix ans après son dernier séjour parisien. Ecrire, montrer, c’était pour moi le même geste amoureux.» Au-delà de ce geste amoureux, il existe une large communauté d’intérêts entre Paula M. Becker et Marie Darrieussecq. La vie de la première est jalonnée des thèmes chers à l’œuvre romanesque de la seconde. A commencer par la tension entre conjugalité et liberté. Mariée au peintre Otto Modersohn, Paula s’émancipe de la peinture traditionnelle pratiquée par son mari en cherchant et en innovant sans cesse. Si elle aime son mari, que lui l’aime en retour, elle ne rêve que de s’échapper de ce mariage. Une tension qui se fait aussi géographique. De son village de Worpswede, près de Brême, au nord de l’Allemagne, Paula M. Becker n’aspire qu’à rejoindre Paris, ce qu’elle fera, la première fois le 1er janvier 1900. Dans le monde si masculin de la peinture du début du 20è siècle, le parcours de Paula M….

La petite danseuse de quatorze ans, par Camille Laurens, éditions Stock
CRITIQUE , ESSAI / 28 novembre 2017

Il est des œuvres d’art qui provoquent en vous des émotions particulières. Ainsi de La petite danseuse de quatorze ans pour Camille Laurens qui lui consacre un remarquable essai. Le lecteur fait connaissance avec Marie Van Goethem, petit rat de l’Opéra qui a posé pour Degas. En cette fin de 19è siècle, les petits rats ne sont pas à l’Opéra par amour de la danse, mais pour effectuer un travail, payé deux francs par jour, c’est très peu, mais c’est le double d’un mineur ou d’un ouvrier du textile. Les jeunes filles (elles ont entre 12 et 16 ans) y cherchent aussi un protecteur, un de ces bourgeois venus s’encanailler au foyer de l’Opéra Garnier. Degas se mêle à eux de 1860 à 1890 environ, non pas pour le plaisir du corps, mais pour étudier les danseuses dans leur cadre. Degas expose La Petite Danseuse en 1881, lors de la sixième exposition des impressionnistes auxquels il est souvent associé. Mais il n’est pas victime de leur «cécité sociale» nous rappelle Camille Laurens. En 1881, La Petite Danseuse fait scandale. La statue est en cire, une aberration pour l’époque, et exposée sous verre. Mais Degas a surtout donné de Marie une…

Lazare mon amour, par Gwenaëlle Aubry, éditions L’iconoclaste
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ESSAI , THEATRE / 29 octobre 2017

Lazare mon amour est un portrait. Celui de Sylvia Plath, poétesse mythique. Initialement publié dans l’ouvrage collectif L’une et l’autre (L’Iconoclaste, 2015), ce texte a d’abord vécu sur scène. Le spectacle littéraire incarné par Gwenaëlle Aubry accompagnée de chanteurs et de musiciens a été créé à la Maison de la poésie, à Paris, en 2014. L’auteur nous propose de prendre contact avec Sylvia Plath au travers d’un album de photos. Des photos qui livrent les visages et les silhouettes multiples de la poétesse. Beauté, amour, gloire, mode, détresse, mort, les images racontent aussi sûrement que l’œuvre ou que la biographie. Puis Gwenaëlle Aubry dénoue l’écheveau, le fil de la mort du père, drame fondateur. Celui de la mère, gardienne du temple, destinataire des centaines de lettres envoyées par sa fille. Le fil du coup de foudre pour Ted Hugues, le poète, à la fois Pygmalion et empêcheur de rimer en rond. Le fil de la mort aussi, que Sylvia Plath convoquera plusieurs fois avant de l’apprivoiser définitivement, à trente ans. Gwenaëlle Aubry nous livre un portrait à la fois intime et impressionniste de cette Américaine précoce, infiniment douée pour l’écriture, mais qui ne cessera de s’interroger sur le fossé qui…

Brassens. Les jolies fleurs et les peaux de vache, par Bernard Lonjon, éditions de L’Archipel
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ESSAI / 5 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Bernard Lonjon est l’un des plus fins connaisseurs de l’œuvre de Georges Brassens. Après J’aurais pu virer malhonnête, la jeunesse tumultueuse de Georges Brassens (éditions du Moment, 2010) et Georges Brassens. Auprès de son âme (entretien radiophonique, Textuel-INA, 2011), il nous offre ce Brassens. Les jolies fleurs et les peaux de vache. Il y est question, vous l’avez compris, des femmes qui ont jalonné la vie du poète. A commencer par les femmes de sa vie. Elles sont trois: Jeanne, la Jeanne, hôtesse et maîtresse, Patachou, la négresse blonde, et Püpchen, la blonde chenille. Ces trois-là sont les piliers, les incontournables, les fondamentales. Avec tact, Bernard Lonjon n’entre jamais dans la chambre à coucher. Mais il entre, avec précision et justesse, dans l’œuvre du poète sétois. Les femmes ont beaucoup inspiré Brassens. De ses premières amours aux femmes de ses amis, en passant par celles de la famille ou celles du métier, elles ont nourri ses chansons. Si vous en êtes resté au Brassens misogyne, cet excellent ouvrage vous dévoilera une image beaucoup plus subtile du Sétois. Bernard Lonjon relie donc en permanence les femmes de la vie de Georges Brassens à ses chansons. L’auteur aime plonger…

Les absents, levez le doigt!, par Pierre Bénichou, éditions Grasset
CRITIQUE , ESSAI , SOUVENIRS PERSONNELS / 15 septembre 2017

Une fois n’est pas coutume, je vais beaucoup vous parler de moi en parlant du magnifique livre de Pierre Bénichou, le premier qu’il publie, à l’âge de 78 ans. Pierre Bénichou a aujourd’hui une image de people, d’amuseur public. La faute aux Grosses Têtes dont il est l’un des piliers. Mais Pierre Bénichou a longtemps été rédacteur en chef du Nouvel Observateur. Et c’est dans les pages de l’hebdomadaire qu’il a initialement publié les textes ici rassemblés sous ce beau titre : Les absents, levez le doigt ! Vingt-six. Vingt-six doigts levés. Vingt-six textes pour dire adieu. La nécro, comme on dit dans les rédactions, est un exercice difficile, je n’en ai signées que fort peu en presque quarante ans de métier : Bob Marley (que je n’ai ni connu ni même rencontré), Bernard Grobet, patron emblématique du Griffin’s Club (j’aurais des dizaines d’histoires à raconter à son sujet) et Claude Richoz, mon père professionnel, inoubliable rédacteur en chef de feu le quotidien La Suisse. Pierre Bénichou signe donc vingt-six nécrologies de personnages, de personnalités qu’il a connues, fréquentées et dont la plupart étaient des amis. De A comme Aragon à V comme Ventura, il enterre avec affection et une plume superbe quelques…

Ce que la vie m’a appris, par Perla Servan-Schreiber, éditions Flammarion
CRITIQUE , ESSAI / 6 septembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Avec Ce que la vie m’a appris, Perla Servan-Schreiber nous offre un petit livre de sagesse. Non pas un énième ouvrage de développement personnel, mais un témoignage. Celui d’une femme de 73 ans, sans enfant, entourée de petits-enfants et heureuse dans son couple. Son mot préféré, il revient régulièrement au fil des pages et elle lui consacre une chapitre, la joie! La joie ne s’apprend pas, nous dit l’auteure, mais elle est contagieuse. Le lecteur de cet opuscule sera gagné par la contagion. Parce que Perla Servan-Schreiber est partageuse. Partageuse de ses expériences de vie, mariée pour la première fois à 42 ans et vivant depuis lors un amour qui la comble. Partageuse de l’amour des chats et des chansons (elle en évoque de nombreuses au fil des pages). Perla Servan-Schreiber partage, propose, mais n’impose rien. Riche de sa double culture (elle est née et a grandi au Maroc), elle jette sur la vie un regard plein de bon sens. La marche, la méditation et la cuisine sont pour elle sources d’équilibre. En parcourant ces pages, le lecteur parcourt aussi la vie de celle qui a travaillé pour Elle et Marie-Claire, fondé et développé avec son mari,…

L’humanité, apothéose ou apocalypse?, par Jean-Louis Servan-Schreiber, éditions Fayard
CRITIQUE , ESSAI / 4 septembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] «J’ai conçu ce livre, d’un journaliste et non d’un savant, comme un survol de ce qui se présente à l’humanité dans un moment de l’histoire où semblent culminer pour notre espèce les risques comme les opportunités.» Jean-Louis Servan-Schreiber est effectivement factuel, comme l’était encore le journalisme il y a quelques années. Il ne cède pas aux sirènes du journalisme actuel, victime du court-termisme que l’auteur dénonçait déjà en 2010 dans Trop vite! Afin de déterminer si l’humanité va (trop vite!) vers l’apothéose ou vers l’apocalypse, l’auteur passe en revue plus d’une vingtaine de thématiques, de la démographie au posthumanisme, en passant par les inégalités, la faim dans le monde, les robots, la fin du travail, le déficit de sens ou la finance. Jean-Louis Servan-Schreiber nous rappelle sans cesse qu’il y a deux manières de voir le verre: à moitié vide ou à moitié plein. Lui a tendance à le voir plutôt plein: «Bien que très loin d’une société idéale, nous sommes pourtant en train de vivre ce que l’humanité traverse de mieux depuis ses origines.» Mais point d’optimisme béat dans ces pages. Avec Djénane Kareh Tager, journaliste et amie, Jean-Louis Servan-Schreiber a mené une vingtaine d’entretiens avec…

Le grand mystère des règles, par Jack Parker, éditions Flammarion
CRITIQUE , ESSAI / 27 août 2017

Je vais finir par être incollable sur la question… Après l’excellent Ceci est mon sang d’Elise Thiébaut, je viens de terminer Le grand mystère des règles, de Jack Parker, déjà auteure du blog Passion Menstrues. Si les deux livrent abordent le même sujet, ils ne s’adressent pas au même public. Jack Parker s’adresse essentiellement à la jeune génération, celle qui fréquente assidument les réseaux sociaux, dont elle maîtrise parfaitement le vocabulaire et les codes. S’il est oins «scientifique» que celui d’Elise Thiébaut, le livre de Jack Parker ne manque cependant pas d’atouts. A commencer par le discours récurent de l’auteure: sentez-vous libre, cherchez ce qui vous convient, n’ayez pas honte, écoutez et apprenez à connaître votre corps. Liberté et respect sont ici les maîtres-mots. Pour gagner le jeune public à sa cause, Jack Parker à la très bonne idée de nous parler de la place des règles dans l’art. Elle est bien faible cette place au cinéma mais, comme souvent, l’art contemporain ouvre des voies et fait office de précurseur. Dans ce dernier domaine, l’auteure dresse même une liste d’artistes dont les œuvres peuvent éveiller la sensibilité et développer l’intérêt pour les menstrues. Davantage que militant, Jack Parker signe un…

Comment faire lire les hommes de votre vie, par Vincent Monadé, éditions Payot
CRITIQUE , ESSAI / 1 juin 2017

Lorsqu’on préside le CNL (Centre National du Livre), on aime lire, forcément. Et on a envie de faire lire! Vincent Monadé, inspiré par Olivier Poivre d’Arvor, livre un opuscule jubilatoire au titre évocateur: Comment faire lire les hommes de votre vie, aux éditions Payot. «Il n’y a rien de plus sexy qu’un homme qui lit» écrivait Marie Darrieussecq dans Il faut beaucoup aimer les hommes. Or, des hommes qui lisent, il n’y en a pas beaucoup, pas assez. Ou plutôt, il n’y en a pas beaucoup qui lisent de la littérature. Et Vincent Monadé d’empoigner le problème franchement et de saisir sa plume affûtée de pèlerin pour convertir les foules. Il s’adresse à vous, Mesdames, afin que vous convertissiez les hommes de votre vie à ce plaisir, pas toujours solitaire, qu’est la lecture. Tous les moyens sont bons et il ne faut pas hésiter à commencer, même modestement. Si Chéri lit L’Equipe, c’est déjà bon signe. Il a choisi le plus littéraire des quotidiens, celui où la fine plume de Vincent Duluc a succédé à celle d’Antoine Blondin à qui il arrivait de… boire son encrier! Le grand mérite du livre de Vincent Monadé est d’avoir été écrit avec le…

La Révolution transhumaniste, par Luc Ferry, éditions Plon
CRITIQUE , ESSAI / 27 avril 2017

Il est aujourd’hui possible de manipuler le génome humain en copiant et collant des séquences. Les big data permettent de savoir de nous plus de choses que ce que nous sommes capables de nous souvenir. L’excellent livre de Luc Ferry fait l’état des lieux des connaissances et des recherches actuelles sur le transhumanisme, voire le posthumanisme. Il démontre aussi comment l’uberisation du monde a déjà commencé à bouleverser nos vies. Passionnant, le livre de Luc Ferry ne sombre pas dans le pessimisme ambiant. Il n’en est pas pour autant complètement enthousiaste. Le philosophe pose les bonnes questions et nous livre avantages et inconvénients de ces avancées technologiques que plus rien ne peut arrêter. L’auteur en appelle à la régulation, une régulation pensée et détachée des intérêts particuliers. Autre constat, et non des moindres, la marge de manœuvre quasi nulle des Etats-nations dans ces processus de régulation. Au mieux, écrit Luc Ferry, le problème doit être traité à l’échelle européenne. Toute régulation de moindre échelle serait vouée à l’échec, c’est une évidence. Le plus inquiétant concerne peut-être l’uberisation de la société. De tout temps, la technologie a fait disparaître des emplois, mais en a créé d’autres, dans des proportions à peu…