APO, par Franck Balandier, Editions Le Castor Astral

9 septembre 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] 1911, 1918, 2015. Trois zones. Trois épisodes, réels ou imaginaires, liés au passage de Guillaume Apollinaire à la prison de la Santé. Trois occasions de parler de l’enfermement: la prison, la guerre et l’adolescence.

En 1911, Apollinaire est donc incarcéré à la Santé, sous sa véritable identité (Wilhelm Kostrowitzky) pour complicité de vol. Quelques jours plus tôt, La Joconde a disparu du mur qu’elle occupait au musée du Louvre. Une sombre affaire à laquelle sont liés Apollinaire bien sûr, mais aussi Picasso et un certain Géry Piéret. Apollinaire restera marqué par ce séjour derrière les barreaux. «Montrer ses mains. Les tremper dans l’encre noire. Doigt par doigt. Une signature. L’empreinte du poète. Poser ses doigts sur le papier. Là où on t’ordonne de poser. Ne cherche pas à comprendre. C’est là. Dans les cases qui enferment. Le poète signe. Il n’a jamais signé ainsi. Chèque en blanc. Pour de prochains poèmes. Il signe de ses phalanges. De ses digitales innocences. Il a confiance, Guillaume. Il aime assez l’idée d’être réduit à cette encre de mauvaise qualité et baveuse. Il aime exister autrement, par ses phalanges. C’est quoi la différence entre l’empreinte d’un poète et celle d’un criminel?»

1918. Apollinaire est embourbé dans cette guerre dont on dit qu’elle est sur le point de s’achever. Il en a réchappé, mais succombe lentement à la grippe espagnole. «Il n’est toujours pas mort. Seulement un peu. Juste de quoi alimenter sa légende. Une légende qu’il a largement contribué à façonner, à polir, tout au long de sa vie, quitte à s’arranger avec la réalité des faits. Mais la souffrance de ces derniers jours n’a rien de commun avec la gloire qui s’annonçait posthume, établie au creux d’une tranchée ou à l’assaut des lignes ennemies, les guêtres empêtrées dans les concertinas, baïonnette au canon, en criant «Mort aux Boches» ou quelque chose dans le genre.»

2015. Elise Seyveras, chercheuse en littérature du 20è siècle, «tendance Cendrars et quelques autres», visite la cellule 15 de la division 11 de la prison de la Santé, celle où Apo a passé cinq journées de sa vie, en 1911. L’occasion de découvrir pourquoi Elise n’a pas suivi les études de droit espérées par ses parents, comment elle a croisé, puis perdu de vue Vincent, ce premier amour.

Franck Balandier, dont on avait déjà beaucoup aimé Gazoline Tango, s’intéresse à l’incarcération d’Apollinaire à la Santé depuis des années. On trouve ses premiers écrits sur le sujet, datés de 2010, sur Internet, à l’époque où il était encore employé de l’administration pénitentiaire. Pour cette rentrée littéraire, il nous propose, toujours au Castor Astral, APO, un roman qui mêle subtilement réalité et fiction. Mais la littérature est passée par ici pour nous offrir quelques belles digressions. On a ainsi beaucoup aimé les pages consacrées au Vengeur masqué, vedette du catch naissant et dont les combats attirent les foules. Les deux policiers chargés d’enquêter sur la participation d’Apollinaire au vol de La Joconde craignent de manquer l’événement. C’est compter sans le concierge de l’immeuble où habite Apo, un ancien limonaire qui connaît la véritable identité du Vengeur masqué.

C’est la littérature encore, celle que Balandier à prise pour maîtresse, qui fait apparaître Cendrars, et réapparaître Géry Piéret au chevet d’Apollinaire agonisant. C’est elle encore qui nous conduit Hôtel des Voyageurs, un claque dont monsieur Victor reprend le destin en main. C’est la littérature enfin qui ancre ce beau roman dans le monde d’aujourd’hui, grâce aux personnages d’Elise et de Vincent, mais grâce aussi aux ultimes lignes d’un épilogue qui en laisseront plus d’un bouche bée.

Franck Balandier balance sont histoire comme si elle était d’aujourd’hui, s’affranchit des codes temporels et commente les événements à la lumière de ce qui n’est parfois pas encore arrivé. L’auteur aime la chair, le sang, le sexe et les odeurs. Il dissèque la tête, le ventre et le cœur de son poète. Et si ses phrases ont parfois l’air d’hésiter, comme le cheval refusant l’obstacle, bousculant au passage les mots et les paragraphes, c’est pour que le lecteur fasse sa part du boulot, qu’il comprenne quel chemin a pris ce mot pour se trouver là, lui, et pas un autre. La littérature on vous dit, dans ce qu’elle a de meilleur.

APO, par Franck Balandier, éditions du Castor Astral, 2018, 174 pages

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