Gazoline Tango, par Franck Balandier, Editions Le Castor Astral

12 septembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] «L’humour est la politesse du désespoir» disait Boris Vian. «C’est qu’il évite d’en incommoder les autres. Il y a du tragique dans l’humour: mais c’est un tragique qui refuse de se prendre au sérieux. Il travaille sur nos espérances, pour en masquer les limites; sur nos déceptions, pour en rire; sur nos angoisses, pour les surmonter» ajoute André Comte-Sponville. Tout le roman de Franck Balandier tient dans ces deux définitions. Que nous est-il arrivé depuis le 11 juillet 1983, date de naissance de Benjamin Granger, son personnage? En reste-t-il des souvenirs, ou nous sommes-nous contentés d’en fabriquer, pour survivre? Il y a quelque chose du Vernon Subutex de Virginie Despentes chez Benjamin: cette façon d’être en marge tout en étant dedans. Gazoline Tango parcourt d’ailleurs, à peu de choses près, la même période que la trilogie Subutex, des années 80 à nos jours. Mais là où Virginie Despentes porte un regard sociologique sur la société, Franck Balandier plonge dans la matière organique de ces années sexe, drogue et pas forcément rock’n’roll. Il va chercher, creuser, fouiller au plus profond de l’humain.

Benjamin, né contre son gré et contre celui de sa mère, Isabelle, batteuse dans un groupe de punk rock, est hypersensible au bruit. Le moindre son le met en état d’apnée et il devient bleu. Pas question de fréquenter l’école dans ces conditions. Benjamin grandit donc entre mémé Lucienne, la veuve du garde-barrière qui cultive de l’herbe qui fait rire au milieu de son potager, le père Germain qui lui apprend à jouer de l’harmonium en fumant des pétards, et Isidore, le brancardier sans papiers amoureux de poésie en général et de La Fontaine en particulier.

Benjamin sort de l’enfance lorsque mémé Lucienne lui balance la claque de sa vie. C’est au même moment que Benjamin rencontre Lola, fille d’un couple de gitans sédentarisés par la maladie de madame. Avec ce premier amour, Benjamin découvre aussi le confort de la vie sous-marine, cette vie qui protège mieux du bruit que son casque orange qui lui a valu tant de moqueries. Benjamin traîne sa vie dans la cité des peintres, sans rancœur ni plaisir. Pas de passé et pas d’avenir dans cette cité ou la solidarité tient lieu de survie. Les années passent, les proches trépassent.

Franck Balandier porte une tendresse particulière aux oubliés de la vie, aux sans destin. Il nous raconte Benjamin en passant du «il» au «je», en changeant de registre lexical, passant de celui de l’enfance à celui de l’âge adulte en passant par l’adolescence. La langue évolue de manière subtile au fil du roman pour arriver, au dernier tiers du livre, à un phrasé qui, si vous le lisez à haute voix, vous fera penser au Plume d’ange de Claude Nougaro. Il y a du swing dans cette langue. Et beaucoup de musique dans ce roman qui fait rire, même sans l’aide de l’herbe de mémé Lucienne. Mais rire jaune, comme certaines des notes entendues par le synesthésique Benjamin. Remuant!

Gazoline Tango, par Franck Balandier, éditions Le Castor Astral, 2017, 278 pages

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