Sauver les meubles, par Céline Zufferey, éditions Gallimard

10 novembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Est-il possible d’échapper à la petite vie, celle de la solitude, du travail alimentaire, de l’intérieur standardisé et du couple sclérosé? C’est la bataille incessante du narrateur de Sauver les meubles, un photographe dont les ambitions artistiques n’ont rencontré que désintérêt. Il s’engage, contraint et forcé par le coût du séjour de son père malade en maison de retraite, comme photographe dans une entreprise de mobilier. Asocial, il peine à nouer des liens avec ses collègues, avec Assistant ou avec Sergueï-le-Styliste en tongs. Seule Nathalie, modèle qui pose dans les décors de meubles qu’il photographie, s’intéresse à lui. Il portera de l’intérêt à Miss KitKat, une fillette de neuf ans, elle aussi modèle pour les séances photo.

L’entreprise pour laquelle travaille le narrateur aime les fêtes. C’est au cours de l’une de ces fêtes qu’il fait véritablement connaissance avec Nathalie. Il y rencontre également Christophe, dont le travail consiste à vérifier la résistance et la conformité aux normes des meubles vendus par l’entreprise. Le narrateur emménage chez Nathalie, mais presque tout de suite, le couple s’enlise dans les conventions et la routine. Comme dans sa vie privée, le narrateur ne décide rien dans son travail, ni le décor, ni les modèles, ni même les cadrages ne sont de son choix. Alors, forcément, la proposition de Christophe de faire, en toute liberté, des photos pour un site porno est tentante. Le narrateur avait là l’opportunité d’exprimer librement son talent. Mais les lois du marché en décideront autrement.

Dès les premières lignes, Céline Zufferey fait entendre sa voix, celle d’une romancière, celle qu’on avait déjà perçue dans New York K.O., sa Pive pour Paulette éditrice, en 2016. Une écriture très personnelle, nerveuse, urbaine pour dire les normes sociales, artistiques, financières, familiales, publicitaires, consuméristes qui nous empêchent d’être libres. Le narrateur n’a de cesse de lutter contre ces normes et prend souvent le risque de la marge. Non, il ne va pas voir son père souffrant en maison de retraite, non il ne lui téléphone pas. Non, il ne fait pas ami-ami avec ses collègues, exceptions faites de Nathalie et Christophe. Non, il ne cautionne pas le formatage de Miss KitKat par son odieuse mère. Et même sur les sites de rencontre, qu’il fréquente assidument, il n’use pas des formules et du vocabulaire qui convient.

Avec cette fable savamment construite, Céline Zufferey nous rappelle que Sauver les meubles, en matière de liberté, est l’affaite de chaque instant.

Sauver les meubles, par Céline Zufferey, éditions Gallimard, 2017, 228 pages

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