[RENTREE AUTOMNE 2018] Sous les branches de l’udala est le premier roman de Chinelo Okparanta. Et déjà, l’auteure nigériane fait montre d’une absolue maîtrise. Son roman est une réaction à la loi signée le 7 janvier 2014 par le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, loi qui criminalise les relations entre personnes de même sexe, les exposant à des peines de prison pouvant aller jusqu’à quatorze ans. La sanction est pire encore dans les états du nord: lapidation pure et simple. Chinelo Okparanta nous raconte donc l’histoire d’Ijeoma. Histoire qui commence en 1968, en pleine guerre du Biafra. Le père d’Ijeoma renonce à gagner le bunker sensé le protéger des bombardements. Il y laisse la vie. Son épouse doit alors survivre et, pour y parvenir, elle place sa fille chez le professeur Ejiofor. C’est là qu’Ijeoma rencontre Amina, une enfant de son âge, sauvage et solitaire, que le professeur accepte d’héberger également, malgré son appartenance à une autre ethnie. Entre les deux jeunes filles naît une complicité qui se transforme vite en amour. Mais un jour, Ijeoma et Amina sont surprises en plein ébat amoureux. Dans le deuxième pays le plus religieux du monde, la reprise en main maternelle se fera…
Ndéné Gueye est professeur de lettres à Dakar. L’enthousiasme de ses premières années d’enseignement a laissé place à la résignation. Les étudiants subissent sans intérêt les cours qu’il donne sans plus de passion. «Je me suis souvent interrogé si l’enseignement actuel des lettres étrangères, françaises en particulier, dans nos universités était une bonne idée.» Le belle Rama et sa mystérieuse mais intouchable chevelure sont pour Ndéné un réconfort comme un refuge de plaisir. C’est Rama qui lui montre une vidéo devenue virale à Dakar. Elle montre l’exhumation du cadavre d’un homme jeté hors du cimetière musulman par une foule en furie. La réaction primaire et première de Ndéné est celle de la très grande majorité des musulmans pratiquants de sa communauté: il ne s’agit finalement que d’un góor-jigéen, un homme-femme, c’est-à-dire un homosexuel. Ndéné donne un cours sur la poésie de Verlaine, sans savoir que l’Académie a tout récemment déconseillé avec vigueur de donner en exemple des écrivains aux mœurs contraires à la morale. Les étudiants se rebiffent et accusent Ndéné de faire de la propagande gay. «Il [Verlaine] fait partie de la grande propagande européenne pour introduire l’homosexualité chez nous» argumentent-ils. Ndéné vit de plus en plus mal l’homophobie…
A l’occasion de la sortie en poche du magnifique roman de Philippe Besson, je vous en repropose la critique. «Arrête avec tes mensonges». La mère de Philippe Besson disait «mensonges» plutôt qu’«histoires». Philippe Besson a en effet la capacité de forger des histoires qui savent nous séduire, roman après roman. Mais s’il est effectivement écrit «Roman» sur la page de garde d’«Arrête avec tes mensonges», c’est bien d’un récit dont il s’agit ici, un récit autobiographique. 1984, Philippe Besson a dix-sept ans. Bon élève, il est aussi souvent moqué par ses camarades en raison de son allure, de ses vêtements, de ses manières. C’est le temps également où il prend pleinement conscience de son orientation sexuelle. Pas si simple dans un petit village de Charente. C’est encore moins simple pour Thomas Andrieu, à qui le livre est dédié, fils de paysan appelé à reprendre l’exploitation familiale. C’est l’histoire d’un premier amour que nous raconte avec brio Philippe Besson, un grand amour qui couve sous le désir adolescent. Au sein de cette paire, qui ne peut pas être un couple, qui ne peut pas se vivre au grand jour, c’est Thomas qui fixe les règles: ne jamais se montrer, ne jamais…
Le superbe premier volet du diptyque de Léonora Miano paraît aujourd’hui en poche. Je vous en propose donc une nouvelle fois la critique. Crépuscule du tourment, le nouveau roman de Léonora Miano, paru chez Grasset, se situe une fois de plus entre ombre et lumière. Quatre femmes, quatre vies, quatre voix et donc quatre écritures constituent ce superbe roman choral. Toutes les quatre s’adressent au même homme, Dio. La première, Madame, parle à son fils. Amalda et Ixora s’adressent à celui qu’elles ont aimé, qu’elles ont cru aimer ou dont elles ont cru être aimées. Tiki, enfin, d’adresse à son frère. Quatre voix de femmes pour dire la condition de celles qui, dans ce pays subsaharien jamais nommé mais qui pourrait être le Cameroun, ne sont jamais les égales des hommes. Même la réussite de Madame ne lui épargne pas douleurs et blessure intimes, pas plus que la douceur feutrée de sa maison dans laquelle elle écoute Moonlight in Vermont d’Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. Léonora Miano saisit une fois de plus à bras le corps son sujet de prédilection : la colonisation et ses ravages, la traite négrière et son deuil jamais accompli. Mais elle va plus loin encore dans…
[RENTREE AUTOMNE 2017] Vous avec aimé Le Dragon du Muveran? Vous allez adorer Qui a tué Heidi? Avec cette deuxième aventure de l’inspecteur Andreas Auer, Marc Voltenauer franchit un cap. Son intrigue est toujours aussi habilement menée, savamment construite, mais ses personnages gagnent en épaisseur. Andreas en particulier, dont le lecteur cerne mieux la personnalité, l’auteur levant un coin de voile sur sa part d’ombre. L’homosexualité d’Andreas Auer est également moins anecdotique que dans le premier roman, les réflexions d’un tueur à gages russe, Litso Ice (visage de glace) interpellant le lecteur sur sa propre perception du monde gay. Autre élément nouveau et subtilement amenée, la dimension ethnographique du roman. Gryon reste le lieu central de l’intrigue et c’est l’occasion pour Marc Voltenauer de familiariser le lecteur avec le folklore et les traditions suisses: concours de vaches, channe et jass font partie intégrante du tableau. Mais le roman ne se contente pas de rester à Gryon. Les affaires sérieuses commencent même à Berlin où un quadruple meurtre ouvre la voie à un projet immobilier d’envergure, à Gryon. Si l’on est confronté, comme dans Le Dragon du Muveran, à une affaire dictée par des ressorts psychologiques, s’y ajoute cette fois une…
Léonora Miano est décidément une auteure majuscule! Avec ce deuxième volet de Crépuscule du tourment, elle reprend la narration de la violence d’Amok à l’encontre d’Ixora. Mais du point de vue masculin cette fois. Après les quatre voix de femmes du premier volume, Léonora Miano explore l’âme et les pensées de trois hommes, Amok, Regal et Schrapnel (on pourrait y inclure Continent Africain, le sage qui se dit fou). Trois hommes que tout oppose en apparence, mais que tout rassemble. Car les événements les obligent à plonger au plus profond d’eux-mêmes pour apprendre à accepter qui ils sont vraiment, pour endosser enfin l’entier de leurs responsabilités. Après la violence qu’il a exercée sur Ixora, Amok ne peut plus juger son père, ni le rejeter. Schrapnel revient de l’au-delà pour tenter de comprendre qui il a été, mais aussi et surtout pour s’adresser à Amok, son ami-frère, et l’aider ainsi à sortir de sa fange. Trois hommes, trois écritures, structurées en quatre parties selon un thème de jazz (en ABAA plutôt qu’en traditionnel AABA). Moodswing est le titre de la première partie. C’est aussi le titre d’un album du saxophoniste Joshua Redman. C’est l’exposition du thème, un thème où il s’agit…
A l’occasion de la sortie du beau roman de Luis Llach en poche, je republie la brève critique rédigée lors de la sortie du roman chez Actes Sud.. Les yeux fardés est un roman d’amour. Un amour comme il y en a peu. Cet amour, c’est celui qui unit Germinal et David, deux garçons nés en 1920 dans le quartier populaire de Barcelone qu’est la Barceloneta. Il y a deux filles aussi, nées la même année: Mireia, que son père, contrebandier, emmènera dans son exil à Buenos Aires, et Joanna, qui ne survivra pas au bombardement de Barcelone par l’aviation italienne. Roman d’amour sur fond d’histoire, amour entre deux garçons à une époque où les sentiments pour un être de même sexe étaient intolérables et intolérés. Si le roman commence lentement, il se termine sur un rythme élevé. Le procédé narratif y est pour quelque chose: Germinal, 87 ans, raconte à Lluis, réalisateur en mal de sujet, les années qui ont changé sa vie à tout jamais. L’espérance, avec la proclamation de la République, les désillusions avec la guerre civile et le fascisme qui s’installe, l’errance, vingt ans durant pour fuir le souvenir de «l’Ami aimé». On trouve au fil…
«Arrête avec tes mensonges». La mère de Philippe Besson disait «mensonges» plutôt qu’«histoires». Philippe Besson a en effet la capacité de forger des histoires qui savent nous séduire, roman après roman. Mais s’il est effectivement écrit «Roman» sur la page de garde d’«Arrête avec tes mensonges», c’est bien d’un récit dont il s’agit ici, un récit autobiographique. 1984, Philippe Besson a dix-sept ans. Bon élève, il est aussi souvent moqué par ses camarades en raison de son allure, de ses vêtements, de ses manières. C’est le temps également où il prend pleinement conscience de son orientation sexuelle. Pas si simple dans un petit village de Charente. C’est encore moins simple pour Thomas Andrieu, à qui le livre est dédié, fils de paysan appelé à reprendre l’exploitation familiale. C’est l’histoire d’un premier amour que nous raconte avec brio Philippe Besson, un grand amour qui couve sous le désir adolescent. Au sein de cette paire, qui ne peut pas être un couple, qui ne peut pas se vivre au grand jour, c’est Thomas qui fixe les règles: ne jamais se montrer, ne jamais en parler, à personne! Avec des mots parfois crus, Philippe Besson expose pourtant avec beaucoup de finesse l’apprentissage du…
Un père mort dans le geôles de Salazar et l’exil vers la France, vers Lyon, en train. Pour Olivio, c’est un changement de vie, de monde, de langue. Mère et fils peuvent compter sur l’hospitalité de Luis et Lydia, le temps que la mère trouve un travail, puis un logement. Lorsque c’est chose faite, Max entre dans la vie d’Olivio et, surtout, dans celle de sa mère. Max est pied-noir, il a dû fuir l’Algérie. Le couple se trouve des souvenirs de sud à partager, jusqu’à un certain point. A Lyon, Olivio rencontre Ahmed. Lui aussi vient d’Algérie, mais il n’est pas du même bord que Max. Olivio a pour Ahmed une attirance ambiguë, une sorte d’amitié amoureuse. Survient la Révolution des œillets, ce fameux 25 avril 1974. Il est alors question pour Olivio et sa mère de retourner au Portugal, avec Luis et Lydia. Mais max s’y oppose. Olivio partira donc seul sur les traces de son père, près de la forteresse où il a été détenu et au cimetière où il repose. Il partira aussi à la découverte de sa sexualité, repoussant les avances de sa cousine Linda et ressentant de plus en plus douloureusement l’absence d’Ahmed. Brigitte…
Les yeux fardés est un roman d’amour. Un amour comme il y en a peu. Cet amour, c’est celui qui unit Germinal et David, deux garçons nés en 1920 dans le quartier populaire de Barcelone qu’est la Barceloneta. Il y a deux filles aussi, nées la même année: Mireia, que son père, contrebandier, emmènera dans son exil à Buenos Aires, et Joanna, qui ne survivra pas au bombardement de Barcelone par l’aviation italienne. Roman d’amour sur fond d’histoire, amour entre deux garçons à une époque où les sentiments pour un être de même sexe étaient intolérables et intolérés. Si le roman commence lentement, il se termine sur un rythme élevé. Le procédé narratif y est pour quelque chose: Germinal, 87 ans, raconte à Lluis, réalisateur en mal de sujet, les années qui ont changé sa vie à tout jamais. L’espérance, avec la proclamation de la République, les désillusions avec la guerre civile et le fascisme qui s’installe, l’errance, vingt ans durant pour fuir le souvenir de «l’Ami aimé». On trouve au fil des pages quelques uns des sujets qui ont nourri les chansons de Lluis Llach qui, à l’approche de la septantaine, fait une entrée plus que remarquée en littérature….