A l’occasion de la sortie du beau roman de Grégoire Delacourt en poche, je vous en repropose la critique. «Delacourt, c’est une sacrée bonne femme.» La déclaration est de l’auteur lui-même, référence à la Jocelyne de La liste de mes envies. Elle s’applique parfaitement à Emmanuelle, personnage central de Danser au bord de l’abîme. Ce roman tient à la fois de Madame Bovary (Emmanuelle est appelée Emma par tout le monde, sauf par sa mère) et de La Chèvre de Monsieur Seguin dont Grégoire Delacourt nous restitue le texte original (une lettre à Pierre Gringoire, poète lyrique parisien) en fin de roman. Danser au bord de l’abîme est le roman du désir, celui qui surprend Emma à la Brasserie André lorsqu’elle voit un homme s’essuyer la bouche avec une serviette de coton damassé. Un désir si fort, si vrai, si immédiat, si évident, qu’elle lui fera quitter Olivier, son mari, Manon, Louis et Léa ses enfants. Danser au bord de l’abîme n’est par le roman du désamour, mais bien celui du désir plus fort que tout. Grégoire Delacourt est obsédé par l’instant présent, celui qui permet de saisir sa chance, de faire basculer sa vie, de donner une chance au…
Un geste amoureux. Ainsi Marie Darrieussecq définit-elle l’écriture de cette biographie, rédigée alors qu’avec Julia Garimorth et Fabrice Hergott, elle préparait l’exposition Paula Modersohn-Becker au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris programmée d’avril à août 2016, «un printemps et un été pour Paula, cent dix ans après son dernier séjour parisien. Ecrire, montrer, c’était pour moi le même geste amoureux.» Au-delà de ce geste amoureux, il existe une large communauté d’intérêts entre Paula M. Becker et Marie Darrieussecq. La vie de la première est jalonnée des thèmes chers à l’œuvre romanesque de la seconde. A commencer par la tension entre conjugalité et liberté. Mariée au peintre Otto Modersohn, Paula s’émancipe de la peinture traditionnelle pratiquée par son mari en cherchant et en innovant sans cesse. Si elle aime son mari, que lui l’aime en retour, elle ne rêve que de s’échapper de ce mariage. Une tension qui se fait aussi géographique. De son village de Worpswede, près de Brême, au nord de l’Allemagne, Paula M. Becker n’aspire qu’à rejoindre Paris, ce qu’elle fera, la première fois le 1er janvier 1900. Dans le monde si masculin de la peinture du début du 20è siècle, le parcours de Paula M….
Contrairement à ce qu’annonce l’éditeur, Véronique ta mère n’est pas un roman mais bien un récit. Un récit autobiographique. Malgré le calembour douteux du titre, ce troisième ouvrage de Philippe Gindre est un hommage à sa tante Véronique dont la quatrième de couverture résume les saints préceptes: «fumer beaucoup, déconsidérer toute forme d’autorité, vénérer le rock’n’roll, aller aussi souvent que possible à la rivière et fumer encore plus». Cette tante Véronique est un phénomène. En la racontant, Philippe Gindre revient sur son propre parcours, complexe et chaotique. Tante Véronique, c’est l’antithèse de la sévérité parentale, la solution rapide a bien des problèmes quotidiens. C’est aussi l’apprentissage de la fumette pour son neveu, dès l’âge de onze ans. Philippe Gindre nous dévoile également sa dérive personnelle, de thérapies en rechutes, d’espoirs en cul-de-sac. Il y avait de quoi en vouloir à cette tante qui lui a inculqué un idéal de révolte et de liberté, quel qu’en soit le prix à payer. Mais c’est une infinie tendresse qui domine ce portrait hors normes. Et lorsque Véronique s’en va, parfois pour des mois, laissant sa fille à ses sœurs, Philippe se sent abandonné. Philippe Gindre trace le portrait de la représentante d’une époque…
«Une société qui abolit toute aventure, fait de l’abolition de cette société la seule aventure possible.» Tout le roman de Lola Lafon tient dans cette phrase. Emilienne, que tout le monde appelle Emile, est dans le coma suite à un épisode de mort subite. La narratrice, son amie, s’efforce de la ramener à la vie, se calque sur le rythme de son réchauffement corporel et de son retour à la conscience, retour marqué par les trous d’une mémoire défaillante. La narratrice continue pourtant à se rendre à la Cinémathèque, sans Emile, et aperçoit la jeune femme qu’elle avaient déjà repérée en raison de son assiduité à suivre les projections. C’est à celle qu’elle appelle La Petite Fille au bout du chemin que la narratrice va raconter l’amitié qui la lie à Emile, leur rencontre dans un groupe de parole du mardi, groupe constitué de femmes victimes de viols. A ce titre, ce roman dit mieux que tout autre la dévastation, la souffrance, la peur de celle qui a été violée, abusée. Les trois femmes de cette histoire ont connu l’enfermement, ou la tentative d’enfermement. La narratrice, que La Petite Fille au bout du chemin appelle désormais Voltairine, a connu le…
[RENTREE AUTOMNE 2017] Est-il possible d’échapper à la petite vie, celle de la solitude, du travail alimentaire, de l’intérieur standardisé et du couple sclérosé? C’est la bataille incessante du narrateur de Sauver les meubles, un photographe dont les ambitions artistiques n’ont rencontré que désintérêt. Il s’engage, contraint et forcé par le coût du séjour de son père malade en maison de retraite, comme photographe dans une entreprise de mobilier. Asocial, il peine à nouer des liens avec ses collègues, avec Assistant ou avec Sergueï-le-Styliste en tongs. Seule Nathalie, modèle qui pose dans les décors de meubles qu’il photographie, s’intéresse à lui. Il portera de l’intérêt à Miss KitKat, une fillette de neuf ans, elle aussi modèle pour les séances photo. L’entreprise pour laquelle travaille le narrateur aime les fêtes. C’est au cours de l’une de ces fêtes qu’il fait véritablement connaissance avec Nathalie. Il y rencontre également Christophe, dont le travail consiste à vérifier la résistance et la conformité aux normes des meubles vendus par l’entreprise. Le narrateur emménage chez Nathalie, mais presque tout de suite, le couple s’enlise dans les conventions et la routine. Comme dans sa vie privée, le narrateur ne décide rien dans son travail, ni le…
Lorsque votre père vous envoie par mail une traduction française chantable de Bella Ciao et qu’il vous promet le texte du Chant des partisans au prochain envoi, ce père, forcément, ne ressemble pas aux autres. C’est lui aussi qui invente le jeu des De ça je me console qui doit permettre de classifier les chagrins et d’en résoudre la majeure partie. Emylina parle beaucoup de son père et, à la fin du roman, l’accompagne jusqu’au dernier souffle. «Les parents mentent, et puis ils meurent.» Ils mentent lorsqu’ils envoient Emylina à Milan, puis à Paris, pour l’éloigner de la Roumanie de Ceausescu. A Paris, Emylina danse et rencontre une jeune Italienne venue faire ses études en France. Les deux jeunes femmes vivent une relation forte, quasi fusionnelle. Et pourtant, quand l’amie italienne disparaît, soupçonnée d’avoir assassiné le patron du restaurant dans lequel elle travaillait, Emylina se rend compte de tout ce qu’elle ne sait pas de son amie. Etre libre, ne pas épouser le moule, ne pas croire à tout ce qui se dit ou s’écrit dans les médias nécessite une attention de tous les instants et une force de caractère hors catégorie. Ce superbe roman pose bien sûr la question…
[RENTREE AUTOMNE 2017] Il ne faut que quelques pages pour apprivoiser la langue de Virginie Caillé-Bastide, celle de l’époque à laquelle elle situe son roman, le début du 18è siècle. Arzhur de Kerloguen, modeste seigneur de Plouharnel, dans le Morbihan, voit mourir son petit Jehan, emporté par le froid et la famine de ce terrible janvier 1709. En perdant son septième et dernier enfant, Arzhur perd aussi la foi et sa femme, Gwenola, devenue folle. Six ans plus tard, dans les mers des Caraïbes, le modeste seigneur est devenu l’Ombre, capitaine du Sans Dieu, un navire de pirates sans foi ni loi. L’Ombre est d’une cruauté sans limite. Il écume les mers et attaque tout bâtiment passant à sa portée. En abordant un galion espagnol, il épargne la vie d’un père jésuite, Padre Anselme. Celui-ci se donne pour tâche de faire recouvrer la foi au sanguinaire Arzhur. Les parties d’échecs qu’ils partagent sont l’occasion d’argumenter sur l’existence de Dieu. Arzhur n’y croit plus depuis que ce Dieu d’amour et de bonté lui a enlevé ses sept enfants. Et son expérience de pirate n’a fait que renforcer cette conviction. Anselme, lui, y croit, sans pour autant être dogmatique. Virginie Caillé-Bastide nous…
Ce sont Jan et Vera Michalski qui, il y a quelques années, ont fait découvrir à Jean-Christophe Rufin l’étonnant personnage d’Auguste Benjowski en publiant ses Mémoires et Voyages, écrits en français, aux éditions Noir sur Blanc dans un premier temps, puis aux éditions Phébus. Né au milieu du 18è siècle, Maurice Auguste Benjowski (ou Beniowski) est un comte hongrois, aventurier, voyageur, explorateur, colonisateur et écrivain. Il a été roi de Madagascar, colonel français, dirigeant militaire polonais, soldat autrichien. C’est aussi le premier européen à naviguer dans le Nord-Pacifique, avant James Cook et Jean-François de La Pérouse. On retrouve dans ce roman certains des thèmes chers à Jean-Christophe Rufin, en particulier dans Rouge Brésil, L’Abyssin ou Le Grand Cœur. A commencer par l’ouverture sur le monde. Dans ce roman, c’est Bachelet, le précepteur d’Auguste qui lui inculque les idées des Lumières. Le roman souligne l’opposition entre respect de l’altérité et volonté d’asservir, de faire ressembler l’autre à soi-même. Une dualité qui résonne avec la double éducation de Benjowski: «Cet incident acheva de me révéler que je sortais de l’enfance comme un être à deux faces: dans ‘une se lisait la bonté fraternelle que je tenais de mon précepteur, cette force du…
[RENTREE AUTOMNE 2017] Zâl est un slackeur, il se promène trente mètre au-dessus du sol, sur une étroite sangle bleue. Zâl est proche des étoiles et il parle aux oiseaux, des oiseaux qui font partie intégrante de son spectacle. Avec La nuit des enfants qui dansent, Franck Pavloff nous emmène dans une double, une triple et même une quadruple quête. La quête de Zâl, qui poursuit son absolu mystique en solitaire. La quête d’Andras, exilé hongrois qui cherche à sortir de son passé. La quête de Téa, fugueuse abusée par son beau-père et qui voit dans la sangle de Zâl un moyen de prendre de la hauteur. Quête des réfugiés syriens ou afghans qui transitent par la Hongrie où Andras entraîne Zâl, le ramenant ainsi où tout a commencé. L’entreprise est facilitée par le Sziget, l’un des plus grands festivals d’Europe qui accueille sur une île du Danube des artistes tels que Robbie Williams, The Saints, Manu Chao ou Assaf Avidan. La musique, il en est beaucoup question dans ce beau roman. Andras est le dernier descendant d’une lignée de facteurs d’orgue et L’Estate Jubilate de Mozart ou une passacaille de Bach vont jouer un rôle important dans la trame…
«Delacourt, c’est une sacrée bonne femme.» La déclaration est de l’auteur lui-même, référence à la Jocelyne de La liste de mes envies. Elle s’applique parfaitement à Emmanuelle, personnage central de Danser au bord de l’abîme. Ce roman tient à la fois de Madame Bovary (Emmanuelle est appelée Emma par tout le monde, sauf par sa mère) et de La Chèvre de Monsieur Seguin dont Grégoire Delacourt nous restitue le texte original (une lettre à Pierre Gringoire, poète lyrique parisien) en fin de roman. Danser au bord de l’abîme est le roman du désir, celui qui surprend Emma à la Brasserie André lorsqu’elle voit un homme s’essuyer la bouche avec une serviette de coton damassé. Un désir si fort, si vrai, si immédiat, si évident, qu’elle lui fera quitter Olivier, son mari, Manon, Louis et Léa ses enfants. Danser au bord de l’abîme n’est par le roman du désamour, mais bien celui du désir plus fort que tout. Grégoire Delacourt est obsédé par l’instant présent, celui qui permet de saisir sa chance, de faire basculer sa vie, de donner une chance au bonheur. Avec Emma, il brise aussi un tabou: il est moins facile de comprendre et d’accepter d’une femme qu’elle…