Après avoir présenté durant vingt-quatre ans les journaux du week-end sur TF1, Claire Chazal est brutalement écartée de l’antenne en 2015. «Sale année 2015, qui aura vu la mort de ma mère, le départ de mon fils du nid que nous occupions tous les deux, et l’arrêt de ma carrière. Tout ça est dans l’ordre des choses, peut-être, mais je ne m’y résous pas.» Trois ans plus tard, Claire Chazal publie Puisque tout passe. Ces fragments de vie, de courts chapitres qui tissent une toile impressionniste de la journaliste et de la femme, jettent un éclairage étonnant sur le personnage public. Le lecteur découvre effectivement une femme inquiète, fragile, parfois mélancolique, souvent solitaire. Malgré la pudeur des propos, les blessures sont perceptibles, compréhensibles, les blessures amoureuses en particulier. Claire Chazal s’interroge beaucoup, sur son métier, sur sa vie, sur le temps qui passe et qui l’effraye, sur la mort (celles de son père et de sa mère, mais sur la sienne propre aussi, qui laissera son fils François orphelin). L’auteur revient aussi sur son enfance, ses amies (dont l’une est une presque sœur), ses parents issus de milieu modeste et devenus enseignants tous les deux à force de détermination. Claire…
Quand ton ancien patron publie un roman pamphlétaire consacré à ton milieu professionnel, forcément, tu te jettes dessus. J’y suis donc allé de mes 27,50 francs suisses. Le roman d’Antoine Exchaquet nous narre les tribulations d’une journaliste pigiste, «libre» comme on dit dans le métier. Liberté toute relative, les temps sont durs. La plume d’Antoine Exchaquet est vive, parfois mordante. L’auteur passe au crible de la «newsroom» (comme on dit en bon français) l’actualité très récente, de la présence de Donald Trump à Davos à l’initiative No Billag, en passant, c’est le centre du propos, par les restructurations qui frappent les titres de la presse romande et suisse. Si on rit beaucoup en lisant les pages d’Antoine Exchaquet, les journalistes qui prendront la peine de les lire riront plutôt jaune. Car leur métier (notre métier) est en péril, voire en voie de disparition. Si le regard est critique, il n’est jamais amer, ni désabusé, encore moins cynique. Fake News lémaniques démontre que le journalisme, à l’instar de nombreux autres métiers, est en pleine mutation. Que les journalistes ont beaucoup de peine à prendre le recul nécessaire pour analyser leur propre situation. Qu’il n’y a (presque) plus d’éditeurs romands. Pollués par…
Jean-Pierre de Lucovich a œuvré plus de cinquante années au sein des rédactions de Paris Match, Vogue Homme, Lui, Photo ou Harper’s Bazaar notamment. Que ce soit en France ou aux Etats-Unis, cet infiltré dans le beau monde nous offre donc en partage cinq décennies de rencontres avec le gratin de ce qu’on a d’abord appelé la jet set, puis, les peoples. Lorsqu’on exerce son métier avec passion, comme c’est le cas pour l’auteur, on finit par nouer des amitiés avec ceux que l’on rencontre ou que l’on croise au fil des reportages. Maurice Ronet ou Françoise Sagan sont de ceux qui sont devenus les amis de Jean-Pierre de Lucovich. C’est d’ailleurs Françoise Sagan qui aurait lancé la mode des devinettes «Monsieur et Madame ont un fils» si l’on en croit l’auteur. Mais l’amitié la plus ancienne, la plus solide, c’est celle que l’auteur partage avec son collègue Pierre Bénichou. Raconter la vie mondaine, cinquante ans durant, demande de ne jamais se lasser, de garder intact le pouvoir de s’étonner, voire de s’émerveiller. Et la qualité première de tout journaliste, la curiosité, doit être de tous les instants. C’est cette curiosité permanente, teintée de bienveillance (même si les coups de…
24 juin 2017, 15 heures 10. Je reçois sur Messenger un message groupé signé Ariane Ferrier: «Chers gens-que-j’aime, il n’y a pas de jolie façon de le dire: la tumeur est revenue. Comme je l’avais décidé, au moment du diagnostic, je ne vais pas m’acharner. Cette décision est totalement sereine! Désolée si je vous fais de la peine…» Ariane, dans toute sa splendeur! Quatre jours après la parution de La dernière gorgée de bière, Ariane n’était plus. J’ai longtemps tourné autour de son livre, sans oser l’ouvrir: peur de l’absence et du chagrin. Et puis voilà, je l’ai lu. Et Ariane est plus vivante que jamais. Je commence par prendre la préface de Mélanie Chappuis en pleine figure. Mélanie a rencontré Ariane à La Tribune de Genève. Alors chef de la rubrique genevoise du quotidien, je venais d’engager la première comme pigiste (je me souviens encore parfaitement de son arrivée en rollers, une recommandation d’Antoine Maurice en bandoulière) et la seconde, que je connaissais de longue date, me livrait chaque semaine sa chronique. Mélanie Chappuis est d’une justesse absolue dans le portrait qu’elle dresse de celle qui est devenue son amie. Ariane Ferrier, elle nous offre un voyage: «la traversée…
«Avant le 7 janvier 2015, je ne me souvenais plus que j’étais une enfant.» 7 janvier 2015, la date est encore dans toutes les mémoires. C’est ce jour-là que la rédaction de Charlie Hebdo a été massacrée dans un attentat épouvantable. Presque deux ans après les événements, Gabrielle Maris Victorin rend hommage à son père, l’économiste, écrivain et romancier Bernard Maris, qui a perdu la vie ce jour-là. Elle raconte avec pudeur les moments cruels, insoutenables, ceux de la découverte du drame et ceux de l’après drame: images en boucle sur les télévisions, reconnaissance du corps, liquidation de l’appartement paternel, récupération de ses effets personnels au poste de police. Mais l’essentiel de ce récit n’est pas là. Gabrielle Maris Victorin livre un portrait tendre de son père qu’elle nous décrit en amoureux de la littérature, de Kafka en particulier, en père drôle et attentionné, capable de chanter Eddy Mitchell et Fats Domino à tue-tête avec sa fille dans la voiture (voir la bande son du récit). Ce père qui aurait aimé être journaliste et qui prenait un plaisir fou à participer aux séances de rédaction de Charlie Hebdo. Gabrielle Maris Victorin dépasse ses peurs de fillette, d’adolescente et de jeune…
Une fois n’est pas coutume, je vais beaucoup vous parler de moi en parlant du magnifique livre de Pierre Bénichou, le premier qu’il publie, à l’âge de 78 ans. Pierre Bénichou a aujourd’hui une image de people, d’amuseur public. La faute aux Grosses Têtes dont il est l’un des piliers. Mais Pierre Bénichou a longtemps été rédacteur en chef du Nouvel Observateur. Et c’est dans les pages de l’hebdomadaire qu’il a initialement publié les textes ici rassemblés sous ce beau titre : Les absents, levez le doigt ! Vingt-six. Vingt-six doigts levés. Vingt-six textes pour dire adieu. La nécro, comme on dit dans les rédactions, est un exercice difficile, je n’en ai signées que fort peu en presque quarante ans de métier : Bob Marley (que je n’ai ni connu ni même rencontré), Bernard Grobet, patron emblématique du Griffin’s Club (j’aurais des dizaines d’histoires à raconter à son sujet) et Claude Richoz, mon père professionnel, inoubliable rédacteur en chef de feu le quotidien La Suisse. Pierre Bénichou signe donc vingt-six nécrologies de personnages, de personnalités qu’il a connues, fréquentées et dont la plupart étaient des amis. De A comme Aragon à V comme Ventura, il enterre avec affection et une plume superbe quelques…
[RENTREE AUTOMNE 2017] «J’ai conçu ce livre, d’un journaliste et non d’un savant, comme un survol de ce qui se présente à l’humanité dans un moment de l’histoire où semblent culminer pour notre espèce les risques comme les opportunités.» Jean-Louis Servan-Schreiber est effectivement factuel, comme l’était encore le journalisme il y a quelques années. Il ne cède pas aux sirènes du journalisme actuel, victime du court-termisme que l’auteur dénonçait déjà en 2010 dans Trop vite! Afin de déterminer si l’humanité va (trop vite!) vers l’apothéose ou vers l’apocalypse, l’auteur passe en revue plus d’une vingtaine de thématiques, de la démographie au posthumanisme, en passant par les inégalités, la faim dans le monde, les robots, la fin du travail, le déficit de sens ou la finance. Jean-Louis Servan-Schreiber nous rappelle sans cesse qu’il y a deux manières de voir le verre: à moitié vide ou à moitié plein. Lui a tendance à le voir plutôt plein: «Bien que très loin d’une société idéale, nous sommes pourtant en train de vivre ce que l’humanité traverse de mieux depuis ses origines.» Mais point d’optimisme béat dans ces pages. Avec Djénane Kareh Tager, journaliste et amie, Jean-Louis Servan-Schreiber a mené une vingtaine d’entretiens avec…