Virgules en trombe, par Sarah Haidar, éditions Libertalia
CRITIQUE , ROMAN / 18 octobre 2018

[RENTRÉE AUTOMNE 2018] Il y a un peu plus d’un an, je vous parlais de ce presque roman incroyable, hors norme. Je regrettais alors qu’il ne soit pas possible de se le procurer en France, Suisse, Belgique, ni même de le trouver en ligne. J’avais reçu un exemplaire de son éditeur algérien, APIC éditions. Mais voici la bonne nouvelle du jour, les éditions Libertalia publient aujourd’hui même ce bijou absolu. Voici donc ce que j’en disais en septembre 2017. Après trois romans écrits en arabe, Sarah Haidar publie Virgules en trombe en 2013. Rédigé en français, ce «presque roman» reçoit le Prix des Escales littéraires d’Alger en 2013. Il donne surtout au lecteur à sentir, et presque à vivre, l’affrontement qui oppose sans trêve l’auteur aux mots, aux personnages, aux situations, à l’inspiration. Dédié «à la littérature, sublime salope sans scrupules…», Virgules en trombe change de narrateur, de sujet, de point de vue, à chacun de ses vingt-trois chapitres. Qui parle? L’auteur? L’un des personnages? Un autre narrateur? Qu’importe! Car ce qui compte dans cet OLNI (Objet littéraire non identifié), c’est la puissance des mots, l’extrême cruauté des situations. Ecrire est une torture, un viol subi, mais dont l’absence ou…

Chien-Loup, par Serge Joncour, Éditions Flammarion
CRITIQUE , PRIX LITTERAIRES , ROMAN / 6 octobre 2018

[RENTRÉE AUTOMNE 2018] C’est Lise qui a insisté pour qu’avec Franck, ils louent cette maison perdue au milieu de nulle part, sans téléphone et sans connexion à des kilomètres à la ronde.Elle a été actrice, il est producteur de cinéma. Elle ne tourne plus, elle préfère peindre, ou méditer. Il produit à l’ancienne des films qui ne marchent plus. Dès le premier soir dans la maison, un chien, un grand chien, un très grand chien, sans collier, s’impose à Franck, cherche à établir le contact avec lui. La maison n’a probablement jamais été louée auparavant. Dans une narration magistralement orchestrée, Serge Joncour nous dévoile parcimonieusement ce qui s’y est passé un siècle plus tôt exactement, en pleine Première Guerre mondiale. C’est alors un dompteur allemand, ironie du sort, qui s’installe sur les hauteurs avec ses huit fauves, tigres et lions. Wolfgang vit seul et nourrit ses bêtes, maégré les pénuries, grâce à un ingénieux dispositif caché dans la forêt. C’est en découvrant ce dispositif, un siècle plus tard, que l’instinct de survie de Franck se réveille, aiguillé par sa proximité avec le grand chien. Non, Franck ne laissera pas sa société de production être dépecée par ses deux jeunes et…

Le Paris d’Apollinaire, par Franck Balandier, Éditions Alexandrines
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , POESIE / 26 septembre 2018

[RENTRÉE AUTOMNE 2018] J’ai déjà dit tout le bien  que je pense d’APO, l’excellent ouvrage de Franck Balandier aux éditions Le Cator Astral Et voici qu’APO est fort judicieusement accompagné d’un joli petit volume de l’excellente collection Le Paris des Écrivains des Éditions Alexandrines. Point de fiction en l’occurrence; Franck Balandier met sa plume au service d’Apollinaire et, surtout, de Paris. Le lecteur attrape donc Apollinaire lorsqu’il arrive à Paris. Il a dix-neuf ans et mange son pain noir. Il se lasse vite des petits boulots, voit deux de ses poèmes publiés par la revue La Plume et fréquente les soirées littéraires du café Le Soleil d’or. Apollinaire sait déjà où il faut se montrer et qui il faut fréquenter, comme il saura, plus tard, détecter la concurrence et, parfois, s’en servir: la modernité de Zone entre en effet en concurrence directe avec celle des Pâques à New York de Blaise Cendrars, qui deviendra son ami, mais qu’il se gardera pourtant bien de recommander au Mercure de France. Franck Balandier n’oublie rien, ni les amours, de Marie Laurencin à Jacqueline, en passant par Lou, ni les démêlés avec la justice (qui font le cœur d’APO), ni l’invention d’un nouveau mot…

APO, par Franck Balandier, Editions Le Castor Astral
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 9 septembre 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] 1911, 1918, 2015. Trois zones. Trois épisodes, réels ou imaginaires, liés au passage de Guillaume Apollinaire à la prison de la Santé. Trois occasions de parler de l’enfermement: la prison, la guerre et l’adolescence. En 1911, Apollinaire est donc incarcéré à la Santé, sous sa véritable identité (Wilhelm Kostrowitzky) pour complicité de vol. Quelques jours plus tôt, La Joconde a disparu du mur qu’elle occupait au musée du Louvre. Une sombre affaire à laquelle sont liés Apollinaire bien sûr, mais aussi Picasso et un certain Géry Piéret. Apollinaire restera marqué par ce séjour derrière les barreaux. «Montrer ses mains. Les tremper dans l’encre noire. Doigt par doigt. Une signature. L’empreinte du poète. Poser ses doigts sur le papier. Là où on t’ordonne de poser. Ne cherche pas à comprendre. C’est là. Dans les cases qui enferment. Le poète signe. Il n’a jamais signé ainsi. Chèque en blanc. Pour de prochains poèmes. Il signe de ses phalanges. De ses digitales innocences. Il a confiance, Guillaume. Il aime assez l’idée d’être réduit à cette encre de mauvaise qualité et baveuse. Il aime exister autrement, par ses phalanges. C’est quoi la différence entre l’empreinte d’un poète et celle d’un criminel?»…

Le testament d’Allan Berg, par Patrick Meadows, Infolio éditions
CRITIQUE , ROMAN / 30 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] Avec Le testament d’Allan Berg, Patrick Meadows signe un premier roman magistral, véritable thriller géopolitique, historique et philosophique. Alan Berg est professeur dans une université américaine. Sa carrière a souffert de ses positions politiquement incorrectes dans une société au bord du totalitarisme. Ses relations avec Anna, sa compagne, en souffrent également. A la fin de l’un de ses cours, Allan Berg est interpellé par un inconnu aux allures de clergyman négligé. L’homme remet au professeur un livre étrange, un gros volume qui ne ressemble à rien de ce que Berg connaît. Le don du livre s’accompagne d’une mise en garde: toute personne détenant l’ouvrage court un grave danger. Et effectivement, en rentrant chez lui, Berg trouve des agents du FBI devant sa porte. Après bien des tribulations, Allan Berg est arrêté. L’Amérique de cette fin des années 90 vient de signer un traité de coopération avec les Soviétiques, le Pact for Peaceful Prosperity, ou Triple P. De fait, les Soviétiques dominent le monde et leurs agents supervisent l’interrogatoire d’Allan Berg. Fin stratège, le professeur propose, pour sauver sa peau, de collaborer avec les autorités et d’infiltrer le réseau considéré comme terroriste et connu sous le nom de…

Khalil, par Yasmina Khadra, éditions Julliard
CRITIQUE , ROMAN / 26 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] Ils sont trois, trois qui ont grandi dans le quartier de Molenbeek, cette commune de Bruxelles qui a fait les gros titres de la presse après les attentats de 2015. Il y a Rayan, Driss et Khalil. «Rayan, Driss et moi avions appris à tenir sur nos pattes sous le même toit et nous nous étions cassé la figure sur le même carrelage. Ma mère nous avait élevés comme des triplés. A trois ans, Rayan fut confié à une crèche, Driss et moi restâmes à la maison.» Rayan est celui qui a réussi, sa mère y a veillé, consacrant sa vie à son fils. Sans jugement sur le comportement des uns et des autres, Yasmina Khadra laisse entendre que l’éducation joue un rôle prépondérant dans l’évolution des jeunes hommes. De la place qu’ils occuperont dans la société dépendra le respect qu’on leur témoignera. Rayan est celui qui a réussi. Il occupe un emploi d’ingénieur en informatique dans une société de management. Driss a rapidement décroché et, lorsqu’il doit refaire sa seconde, Khalil lui emboîte le pas et brûle son cartable une bonne fois pour toutes. C’est Lyès qui change le destin de Khalil: «Il m’avait éveillé aux…

Sous les branches de l’udala, par Chinelo Okparanta, éditions Belfond
CRITIQUE , ROMAN / 23 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] Sous les branches de l’udala est le premier roman de Chinelo Okparanta. Et déjà, l’auteure nigériane fait montre d’une absolue maîtrise. Son roman est une réaction à la loi signée le 7 janvier 2014 par le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, loi qui criminalise les relations entre personnes de même sexe, les exposant à des peines de prison pouvant aller jusqu’à quatorze ans. La sanction est pire encore dans les états du nord: lapidation pure et simple. Chinelo Okparanta nous raconte donc l’histoire d’Ijeoma. Histoire qui commence en 1968, en pleine guerre du Biafra. Le père d’Ijeoma renonce à gagner le bunker sensé le protéger des bombardements. Il y laisse la vie. Son épouse doit alors survivre et, pour y parvenir, elle place sa fille chez le professeur Ejiofor. C’est là qu’Ijeoma rencontre Amina, une enfant de son âge, sauvage et solitaire, que le professeur accepte d’héberger également, malgré son appartenance à une autre ethnie. Entre les deux jeunes filles naît une complicité qui se transforme vite en amour. Mais un jour, Ijeoma et Amina sont surprises en plein ébat amoureux. Dans le deuxième pays le plus religieux du monde, la reprise en main maternelle se fera…

Réelle, par Guillaume Sire, éditions de L’Observatoire
CRITIQUE , ROMAN / 22 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] Johanna rêve de gloire. Avec son amie Jennifer, de trois ans son aînée, elle s’inscrit à l’émission Graine de stars, Jennifer n’est pas retenue, mais Johanna interprète Dieu m’a donné la foi d’Ophélie Winter, lors de l’audition régionale. Là aussi, c’est l’échec. Mais une photo de son dossier de candidature, celle où elle se trouve sur les genoux de son père Didier, lui vaut, quelques années plus tard, un coup de fil de Thibault Stolz, producteur TV. Il souhaite que Johanna participe à une nouvelle émission de téléréalité importée des Etats-Unis: Big Brother. Après une véritable incarcération dans un hôtel parisien de grand luxe, la jeune provinciale est propulsée dans un loft avec les autres candidats. Parmi eux, Edouard, fils de famille bourgeoise et grand cinéphile,  fan de comédies romantiques. Entre eux naît une histoire d’amour qui se prolongera au-delà de l’émission de téléréalité et malgré la célébrité. Jusqu’à un certain point. Même si elle n’a pas gagné Big Brother, Johanna se voir proposer un poste de chroniqueuse dans une nouvelle émission. Mais elle doit maigrir et devient anorexique. Elle est aussi contactée par Les Enfoirés pour effectuer une longue tournée à travers la France, tournée au…

Quatre-vingt-dix secondes, par Daniel Picouly, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 22 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] Le 8 mai 1902, jeudi de l’Ascension, il aura fallu Quatre-vingt-dix secondes à la nuée ardente pour prendre 30 000 vies. La nuée ardente, c’est cette éruption volcanique qui a littéralement rayé Saint-Pierre de la carte de la Martinique. Daniel Picouly raconte cette matinée du point de vue de la montagne Pelée. C’est elle qui parle, qui prépare son grand Boum! pour huit heures, mais qui ne saura le retenir au-delà de 7h52. Des pâles aurores à l’heure du drame, la montagne Pelée observe donc la vie des habitants. Malgré les premiers signes donnés par le volcan, ils n’ont pas quitté l’île, attendant le deuxième tour des élections législatives: «Clerc vote pour l’évacuation, car Clerc va perdre les élections dimanche prochain. Il le sait et veut faire reporter le deuxième tour. C’est de bonne guerre, mais de mauvaise politique.» Ils sont nombreux à minimiser le danger et Daniel Picouly est allé les chercher dans l’histoire martiniquaise: le maire, Rodolphe Fouché, le gouverneur Louis Mouttet, surtout connu pour avoir été le geôlier de Dreyfus en Guyane, Marius Hurard, le directeur du journal Les Colonies, ou encore Eugène Guérin, propriétaire de la principale usine sucrière de l’île. «La famille…

Fracking, par François Roux, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 22 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] L’Amérique s’apprête à élire son nouveau président. Au Dakota, Joe Jenson travaille dans l’industrie pétrolière. Un secteur en plein développement grâce à «l’échappatoire Halliburton» orchestré par Dick Cheney, ancien vice-président de l’administration Bush, rendant possible l’extraction de pétrole par fracturation hydraulique, le fracking. Karen et Peter Wilson ont ainsi vu leur propriété agricole envahie par les puits de forage, leurs parents ayant cédé les droits d’exploitation du sous-sol à leurs voisins, les Caubet, au milieu des années cinquante et pour une bouchée de pain. Les Wislon commencent à perdre des bêtes, écrasées par les énormes camions de chantier à dix-huit roues pour la plupart, contaminés par l’eau souillée pour les autres. Le fracking fait exploser les entrailles de la terre, à mille mètres de profondeur, et injecte quantité de produits nocifs, mêlés à l’eau et au sable sous pression, selon une recette aussi secrète que celle «du Coca-Cola et de la sauce Big Mac». La terre tremble à la fin de l’excellent roman de François Roux, et des fissures apparaissent à la surface du sol. Des fissures qui vont aussi se produire dans les vies, jusqu’ici bien tranquilles, des protagonistes. Dans celle de Joe Jenson d’abord, dont…