Sans état d’âme, par Yves Ravey, éditions de Minuit
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 5 novembre 2016

On retrouve dans ce roman l’ambiance de son prédécesseur, La fille de mon meilleur ami. Yves Ravey installe l’ambiance en quelques pages. Ses personnages sont toujours à la limite, entre la marge et l’intégration sociale. Dès les premières pages, on sait que Gu, Gustave Leroy, a tué John Lloyd, l’amoureux de Stéphanie qui, comme Mathilde dans le roman précédent, est serveuse dans une boîte de nuit. Paradoxalement, Stéphanie demande à Gu d’enquêter sur la disparition de son amoureux. Mais Mike, le frère de John, débarque dans la région. Personnage énigmatique, Mike parle peu, mais il est déterminé. La force d’Yves Ravey est d’obliger son lecteur à s’impliquer, à remplir les ellipses. Ou, Gu a tué John Lloyd, mais pourquoi? Pour garder sa maison? Pour garder Stéphanie? Ou pour une autre raison encore. Toute la saveur du polar servie par une écriture remarquable. Sans état d’âme, par Yves Ravey, éditions de Minuit, 2015, 126 pages.

La fille de mon meilleur ami, par Yves Ravey, éditions de Minuit
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 3 novembre 2016

Le narrateur de ce court et brillant roman possède plusieurs identités et plusieurs cartes de visites. Il a promis à son meilleur ami, sur le point de mourir à l’hôpital militaire de Montauban, qu’il prendrait soin de sa fille Mathilde. Mathilde a passé des années en asile psychiatrique et on lui a retiré la garde de son fils, Roméo. Le narrateur accède à la demande de Mathilde qui tient absolument à revoir son fils, ne serait-ce qu’une heure ou deux. Il se rend donc au domicile de l’ex-mari de Mathilde et y rencontre Sheila. S’ensuit un imbroglio de négociations et de chantages auxquels vient s’ajouter la perspective d’un joli coup financier. Le narrateur parvient en effet à faire main basse sur la généreuse collecte destinée à soutenir els ouvriers de l’usine Rhône-Poulenc, en grève depuis des semaines. Le coup était presque parfait. Mais Mathilde, personnage typiquement borderline, a tendance à trop parler… La fille de mon meilleur ami, par Yves Ravey, éditions de Minuit (Minuit double), 2015, 143 pages

Les yeux fardés, par Lluis Llach, Editions Actes Sud
CRITIQUE , ROMAN / 21 octobre 2016

Les yeux fardés est un roman d’amour. Un amour comme il y en a peu. Cet amour, c’est celui qui unit Germinal et David, deux garçons nés en 1920 dans le quartier populaire de Barcelone qu’est la Barceloneta. Il y a deux filles aussi, nées la même année: Mireia, que son père, contrebandier, emmènera dans son exil à Buenos Aires, et Joanna, qui ne survivra pas au bombardement de Barcelone par l’aviation italienne. Roman d’amour sur fond d’histoire, amour entre deux garçons à une époque où les sentiments pour un être de même sexe étaient intolérables et intolérés. Si le roman commence lentement, il se termine sur un rythme élevé. Le procédé narratif y est pour quelque chose: Germinal, 87 ans, raconte à Lluis, réalisateur en mal de sujet, les années qui ont changé sa vie à tout jamais.  L’espérance, avec la proclamation de la République, les désillusions avec la guerre civile et le fascisme qui s’installe, l’errance, vingt ans durant pour fuir le souvenir de «l’Ami aimé». On trouve au fil des pages quelques uns des sujets qui ont nourri les chansons de Lluis Llach qui, à l’approche de la septantaine, fait une entrée plus que remarquée en littérature….

Crépuscule du tourment, I : Melancholy, par Léonora Miano, éditions Grasset
CRITIQUE , ROMAN / 24 août 2016

Crépuscule du tourment, le nouveau roman de Léonora Miano, paru chez Grasset, se situe une fois de plus entre ombre et lumière. Quatre femmes, quatre vies, quatre voix et donc quatre écritures constituent ce superbe roman choral. Toutes les quatre s’adressent au même homme, Dio. La première, Madame, parle à son fils. Amalda et Ixora s’adressent à celui qu’elles ont aimé, qu’elles ont cru aimer ou dont elles ont cru être aimées. Tiki, enfin, d’adresse à son frère. Quatre voix de femmes pour dire la condition de celles qui, dans ce pays subsaharien jamais nommé mais qui pourrait être le Cameroun, ne sont jamais les égales des hommes. Même la réussite de Madame ne lui épargne pas douleurs et blessure intimes, pas plus que la douceur feutrée de sa maison dans laquelle elle écoute Moonlight in Vermont d’Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. Léonora Miano saisit une fois de plus à bras le corps son sujet de prédilection : la colonisation et ses ravages, la traite négrière et son deuil jamais accompli. Mais elle va plus loin encore dans ce nouveau roman. Elle interroge l’histoire et la conscience de ceux qui se sont soumis : aux colonisateurs, aux sirènes marchandes du Nord, aux…

Bande originale de Djibouti, par Pierre Deram
BANDE ORIGINALE , ROMAN / 18 janvier 2016

Au début du roman (dont vous pouvez lire la critique ici), Markus se retrouve dans un taxi avec son capitaine et Maronsol, dont il dresse le portrait suivant, page 20: «Chanteur préfér: Johnny Hallyday. Inconditionnel. Il n’y avait qu’au karaoké qu’il s’épanouissait tout entier, déchaîné, hors de lui. Tout le répertoire y passait. Parfois, pendant les manœuvres, on le voyait sortir d’un trou de bombe, les poignets collés au dessus de la tête en gueulant de toutes ses forces : Dix ans/ de chaînes/ sans voir/ le jour C’était/ ma peine/ forçat de l’aaamour J’ai refusé/ MOURIR D’AMOUR ENCHAÎNEEEEEE. C’était aussi un bon imitateur de Bourvil. C’est mon véo, c’est mon vélo, à deux cents mètres à la ronde pendant les marches de nuit.» Quelques pages plus loin, page 36, c’est une chanson de militaires créée dans les années 30 que chantent les militaires de Djibouti dans un bistrot: «Un chant monta lentement puis de plus en plus fort et il n’y eut pas un homme dans la salle qui n’entonnât le refrain. Opium! Poison de rêve Fumée qui monte au ciel C’est toi qui nous élèves Au paradis artificiel»

Bande originale de Ahlam, par Marc Trévidic
BANDE ORIGINALE , ROMAN / 16 janvier 2016

On parle souvent et à juste titre de la bande originale des films. On ne parle que très rarement des bandes originales des livres. Pourtant, la musique est omniprésente dans les pages de nombreux romans. Voix de Plumes va donc régulièrement vous proposer de découvrir la bande originale des livres chroniqués sur le site. On commence avec le premier roman de Marc Trévidic dont vous pouvez également lire la critique La première apparition musicale intervient page 22. Nous avons alors fait connaissance avec Farhat, le père d’Ahlam et d’Issam. La mère de Farhat le ramène à un souvenir d’enfance pour lui faire comprendre l’importance de l’éducation, de l’école, de l’écriture. Elle lui parle alors d’une chanson d’enfance: – Mon ballon est tellement grand, Il vole comme un oiseau. Voici la version arabe de cette chanson: Un peu plus loin, page 35, Paul Arezzo, peintre jeune, célèbre et riche, est arrivé aux Kerkennah, en Tunisie. Il loue les services de Fahrat le pêcheur pour faire le tour de l’île en felouque afin de capter les paysages. «Pendant que Farhat virait et revirait de bord, Paul croquait et crayonnait en chantonnant. – I can’t get no satisfaction, Farhat. Essaie encore… Tr… tr……

Ahlam, par Marc Trévidic, Editions JC Lattès
CRITIQUE , ROMAN / 16 janvier 2016

Juge d’instruction au tribunal de grande instance de Paris au pôle antiterrorisme de 2006 à 2015, Marc Trévidic est, depuis 2015, premier vice-président au tribunal de grande instance de Lille. Depuis les attentats de Paris, on le voit sur tous les plateaux de télévision. Auteur de trois essais, Au cœur de l’antiterrorisme (2011), Terroristes : les 7 piliers de la déraison (2013) et Qui a peur du petit méchant juge? (2014), tous publiés chez JC Lattès, il publie aujourd’hui, chez le même éditeur, Ahlam, son premier roman. Paul Arezzo, jeune peintre français, célèbre et riche, débarque aux Kerkennah, en Tunisie. L’inspiration l’a quitté, l’envie de peindre aussi. La faute à un chagrin d’amour dont il ne se remet pas. Nous sommes en 2000. La Tunisie est sous l’emprise du clan Ben Ali. Paul va nouer une vraie amitié avec Fahrat, un pêcheur, et avec sa famille. Nora, l’épouse de Fahrat, dont les charmes ne laissent pas Paul indifférent, tombe malade, une leucémie fulgurante que les hôpitaux tunisiens tarderont à prendre au sérieux. Paul fait transporter la jeune femme à Paris, mais il est trop tard. Elle meurt, loin des siens pour lesquels Paul n’est pas parvenu à obtenir un visa…

Djibouti, par Pierre Deram, Editions Buchet-Chastel
CRITIQUE , ROMAN / 11 janvier 2016

Djibouti nous raconte la dernière nuit du lieutenant Markus, affecté à Djibouti depuis six mois. Ces dernières heures sont l’occasion pour le militaire de se remémorer les principaux épisodes de son séjour, mais aussi de vivre ses dernières heures dans cette ville de tous les extrêmes. Six courts chapitres qui permettent d’explorer les dérives de l’âme humaine, les faiblesses des solitaires et des amoureux, la singularité de l’amour. Mais le personnage principal de ce beau livre est sans aucun doute la ville de Djibouti. Chaleur, sécheresse, obscurité sont les ingrédients du climat qu’installe l’auteur. L’obscurité surtout. Il fait sombre, il fait noir, et lorsque la lumière des enseignes des bars brillent trop fort, les soldats jouent « Le jeu », celui ou l’on se bat les yeux bandés, sans savoir ou est l’adversaire ni d’où vont venir les coups, la vie en quelque sorte. Pierre Deram touche avec une justesse cruelle à nos écorchures, nos failles, nos faiblesses. Mais il montre aussi ce qui fait la beauté insoutenable du désespoir, ce qui raccroche, in extremis, à la vie, ou à ce qui y ressemble. Thérèse, femme de colonel, pleure seule dans un bar. Elle pleure Snoopy, son chien, tué par un serpent….

Black Whidah, Par Jack Küpfer, Olivier Morattel éditeur
CRITIQUE , ROMAN / 8 janvier 2016

Nous sommes à la fin de l’année 1808. Gwen Gordon embarque à bord de l’Antares, heureux de pouvoir reprendre la mer et d’échapper ainsi à ceux qui ont déjà pendu son ancien patron. Le capitaine Porteiro l’engage pour sa connaissance des langues et sa pratique de la mer. Direction Whidah où l’Antares doit charger une cargaison d’esclaves. En 1808, les idées de la Révolution française se sont répandues et Gordon se sent «véritablement dans la peau d’un homme ayant le devoir, comme le désir, de lutter contre l’oppression, sous quelque nom qu’on l’exerce». Ce devoir et ce désir vont se manifester alors que Gordon, le capitaine Porteiro et le docteur Caldeira se trouvent chez le «chefe» Da Costa et sa charmante compagne Paula. Séduit par Paula, mais ulcéré par les propos des trois hommes, Gordon quitte la demeure de son hôte et marche dans la forêt, s’approchant ainsi de la zone où on lui a fait jurer de ne pas se rendre. Rejoint par Paula, qui lui demande de l’emmener loin de l’horrible Da Costa, Gordon continue à s’enfoncer dans la végétation, guidé par les plaintes d’un enfant qu’il veut à tout prix sauver. Découvrant l’enfant, il est soudain confronté…