Madame Pylinska et le secret de Chopin, par Eric-Emmanuel Schmitt, éditions Albin Michel
AUTOBIOGRAPHIE , CRITIQUE , RECIT / 24 août 2018

Dans Plus tard je serai un enfant, son livre d’entretien avec Catherine Lalanne, Eric-Emmanuel Schmitt avoue: «Si Méphistophélès, le ministre de Satan, apparaissait et me proposait d’effacer tout ce que j’ai déjà écrit pour devenir l’auteur d’un air de Mozart ou d’un prélude de Chopin, je lui dirais «oui» aussitôt». L’auteur confirme cette confidence dans son récit autobiographique, Madame Pylinska et le secret de Chopin. D’abord réfractaire au piano familial, un Schiedmayer droit et plutôt massif, le jeune Eric-Emmanuel Schmitt lui trouve toutes les grâces après que sa tante Aimée en fasse surgir «l’efflorescence d’un univers parallèle, l’épiphanie d’une manière d’exister différente». Grâce à Chopin, évidemment! Pas étonnant dès lors que ce récit s’inscrive dans Le Cycle de l’invisible, à la suite de Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame rose, L’Enfant de Noé, Le Sumo qui ne pouvait pas grossir et Les dix enfants que Madame Ming n’a jamais eus. Car il ne s’agit pas seulement de percer le secret de Chopin («Il y a des secrets qu’il ne faut pas percer mais fréquenter: leur compagnie vous rend meilleur»), il s’agit aussi et surtout de comprendre la vie. Pour apprivoiser Chopin, Eric-Emmanuel Schmitt fait…

Quatre-vingt-dix secondes, par Daniel Picouly, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 22 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] Le 8 mai 1902, jeudi de l’Ascension, il aura fallu Quatre-vingt-dix secondes à la nuée ardente pour prendre 30 000 vies. La nuée ardente, c’est cette éruption volcanique qui a littéralement rayé Saint-Pierre de la carte de la Martinique. Daniel Picouly raconte cette matinée du point de vue de la montagne Pelée. C’est elle qui parle, qui prépare son grand Boum! pour huit heures, mais qui ne saura le retenir au-delà de 7h52. Des pâles aurores à l’heure du drame, la montagne Pelée observe donc la vie des habitants. Malgré les premiers signes donnés par le volcan, ils n’ont pas quitté l’île, attendant le deuxième tour des élections législatives: «Clerc vote pour l’évacuation, car Clerc va perdre les élections dimanche prochain. Il le sait et veut faire reporter le deuxième tour. C’est de bonne guerre, mais de mauvaise politique.» Ils sont nombreux à minimiser le danger et Daniel Picouly est allé les chercher dans l’histoire martiniquaise: le maire, Rodolphe Fouché, le gouverneur Louis Mouttet, surtout connu pour avoir été le geôlier de Dreyfus en Guyane, Marius Hurard, le directeur du journal Les Colonies, ou encore Eugène Guérin, propriétaire de la principale usine sucrière de l’île. «La famille…

Fracking, par François Roux, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 22 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] L’Amérique s’apprête à élire son nouveau président. Au Dakota, Joe Jenson travaille dans l’industrie pétrolière. Un secteur en plein développement grâce à «l’échappatoire Halliburton» orchestré par Dick Cheney, ancien vice-président de l’administration Bush, rendant possible l’extraction de pétrole par fracturation hydraulique, le fracking. Karen et Peter Wilson ont ainsi vu leur propriété agricole envahie par les puits de forage, leurs parents ayant cédé les droits d’exploitation du sous-sol à leurs voisins, les Caubet, au milieu des années cinquante et pour une bouchée de pain. Les Wislon commencent à perdre des bêtes, écrasées par les énormes camions de chantier à dix-huit roues pour la plupart, contaminés par l’eau souillée pour les autres. Le fracking fait exploser les entrailles de la terre, à mille mètres de profondeur, et injecte quantité de produits nocifs, mêlés à l’eau et au sable sous pression, selon une recette aussi secrète que celle «du Coca-Cola et de la sauce Big Mac». La terre tremble à la fin de l’excellent roman de François Roux, et des fissures apparaissent à la surface du sol. Des fissures qui vont aussi se produire dans les vies, jusqu’ici bien tranquilles, des protagonistes. Dans celle de Joe Jenson d’abord, dont…

Le retour des petits-déjeuners du Livre sur les quais
ACTUALITE / 12 février 2018

J’aurai le plaisir et l’honneur d’animer le premier rendez-vous littéraire et gourmand au Beau-Rivage Palace en 2018, pour Le Livre sur les quais qui accueille le romancier Bernard Werber. Il nous parlera de son dernier livre, Depuis l’au-delà, paru aux éditions Albin Michel en octobre 2017. Rendez-vous au Beau-Rivage Palace, à Lausanne, le samedi 3 mars prochain. Dès 10h : buffet petit-déjeuner dans le décor somptueux de la salle Sandoz Dès 11h : rencontre avec Bernard Werber, animée par Pascal Schouwey Dès 12h15 : séance de dédicaces Prix : Fr 50.- par personne, payables sur place dès 9h30. Sur inscription jusqu’au 26 février (nombre de places limité) par mail à sales@brp.ch ou par téléphone 021 613 34 04.

La vengeance du pardon, par Eric-Emmanuel Schmitt, éditions Albin Michel
CRITIQUE , NOUVELLES / 30 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Il est des livres dont vous savez, en les refermant, qu’ils ont modifié quelque chose en vous. La vengeance du pardon est de cette caste. Quatre histoires, quatre bijoux que l’on porte au cœur comme une décoration ou une fleur à la boutonnière. Il y a d’abord l’écriture. Les trois premières pages de la nouvelle qui ouvre le recueil, Les sœurs Barbarin, sont une promesse, la promesse fleurie des rues de Saint-Sorlin. Promesse tenue, sans jamais faiblir, jusqu’au jardin final de Werner von Breslau, personnage central, avec la divine Daphné, de Dessine-moi un avion. Eric-Emmanuel Schmitt surprend sans jamais désarçonner. Le conteur ne masque pas le philosophe et le dramaturge rivalise de virtuosité avec l’écrivain. Les quatre nouvelles soufflent le chaud et le froid sur l’âme humaine. Des jumelles Barbarin à l’aviateur allemand en retraite, en passant par la naïve Mandine (véritable Cio-Cio-San moderne), le puissant et riche William Golden, Sam Louis le tueur en série ou Elise Maurinier la traductrice, c’est la question du pardon qui sous-tend ‘ensemble de l’ouvrage. Comment pardonner à l’autre, fut-il le meurtrier de votre propre fille? Comment se pardonner à soi-même lorsqu’on a mis fin aux jours d’un génie? Peut-on pardonner…

Vous connaissez peut-être, par Joann Sfar, éditions Albin Michel
AUTOBIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 29 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Vous connaissez peut-être, c’est la phrase que vous impose régulièrement Facebook pour vous suggérer de nouvelles amitiés virtuelles. Dans ce roman autobiographique, Joann Sfar nous raconte sa rencontre virtuelle avec la jeune et jolie Lili, et celle, bien réelle par contre, avec Marvin, un bull-terrier extrêmement malin, mais tueur de chats. «Tout est vrai sinon ce n’est pas drôle» nous prévient l’auteur. Si tout est vrai, ce n’est pas drôle du tout. Car ce que le lecteur prend d’emblée en pleine face, c’est l’immense souffrance de l’auteur, sa peur panique de la solitude. S’il s’inscrit dans la continuité de Comment tu parles de ton père, ce roman est beaucoup plus violent. Et plus foutraque dans sa construction. Joann Sfar nous y dévoile sa vie sexuelle dans le détail, mais parle aussi de ses débuts de prof aux Beaux-Arts et fait régulièrement référence à Gainsbourg, évidemment. Mais la véritable question que pose ce roman dérangeant est celle de la création. Comment continuer à raconter des histoires à des gens qui passent trois heures par jour devant des écrans? Quelle part de vérité et quelle part de fiction dans ce que délivrent les réseaux sociaux? Joann Sfar prendra la…

La nuit des enfants qui dansent, par Franck Pavloff, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 24 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Zâl est un slackeur, il se promène trente mètre au-dessus du sol, sur une étroite sangle bleue. Zâl est proche des étoiles et il parle aux oiseaux, des oiseaux qui font partie intégrante de son spectacle. Avec La nuit des enfants qui dansent, Franck Pavloff nous emmène dans une double, une triple et même une quadruple quête. La quête de Zâl, qui poursuit son absolu mystique en solitaire. La quête d’Andras, exilé hongrois qui cherche à sortir de son passé. La quête de Téa, fugueuse abusée par son beau-père et qui voit dans la sangle de Zâl un moyen de prendre de la hauteur. Quête des réfugiés syriens ou afghans qui transitent par la Hongrie où Andras entraîne Zâl, le ramenant ainsi où tout a commencé. L’entreprise est facilitée par le Sziget, l’un des plus grands festivals d’Europe qui accueille sur une île du Danube des artistes tels que Robbie Williams, The Saints, Manu Chao ou Assaf Avidan. La musique, il en est beaucoup question dans ce beau roman. Andras est le dernier descendant d’une lignée de facteurs d’orgue et L’Estate Jubilate de Mozart ou une passacaille de Bach vont jouer un rôle important dans la trame…

Frappe-toi le cœur, par Amélie Nothomb, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 24 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] «Marie aimait son prénom». Ainsi commence le nouveau roman d’Amélie Nothomb. Première phrase, premier étonnement. Les personnages s’appellent ici Marie, Brigitte, Véronique, Nathalie, Karine, Célia, Elisabeth, Olivia ou Diane. On est loin des Hazel, Léopoldine, Fubuki, Pannonique, Plectrude et Astrolabe croisées dans les romans précédents. Idem pour les garçons. Olivier, Alain, Nicolas, Hugues et Hubert ont été préférés à Prétextat, Palamède, Textor, Epiphane ou Zoïle. Autre étonnement, ce roman nous raconte l’histoire de Diane sur une période de trente-cinq ans, du 15 janvier 1972 au 6 février 2007. Jamais Amélie Nothomb ne nous avait fait suivre un personnage sur une aussi longue période. Le titre ensuite. Frappe-toi le cœur, titre emprunté à Alfred de Musset et à l’un de ses premiers poèmes. C’est Diane qui confie à Olivia qu’elle a choisi d’embrasser la carrière de chirurgienne à cause de ce poème: «Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie». Le lecteur curieux ira découvrir la suite du poème. Elle éclaire singulièrement le roman d’Amélie Nothomb. «Ah! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie. C’est là qu’est la pitié, la souffrance et l’amour; C’est là qu’est le rocher du désert de la vie, D’où les flots d’harmonie,…

Demain les chats, par Bernard Werber, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 14 août 2017

Faut-il considérer ce roman comme une fable ou un conte? Probablement. Car en plus de nous raconter l’histoire des relations entre chats et hommes depuis les origines, il nous interroge sur le monde d’aujourd’hui et sur l’incapacité de l’homme à vivre en paix. Bastet est une chatte qui a pour vocation d’établir la communication entre les espèces vivantes, en particulier avec sa servante, Nathalie. Oui, pour les chats nous sommes des serviteurs et des servantes! Malgré ses tentatives désespérées de communication, Bastet ne comprend que quelques uns des mots prononcés par sa servante. Mais un beau jour, sur le balcon d’en face, apparaît Pythagore, un siamois aux yeux bleus, bien plus intéressant que Félix, le gros matou qui ne pense qu’à manger et à dormir, même s’il a engrossé Bastet. Pythagore possède un Troisième Œil, à savoir un logement de clé USB protégé par un couvercle violet et situé sur son front. Sa servante, une scientifique, l’a éduqué grâce à ce dispositif. Ce qui permet à Pythagore de transmettre son savoir à Bastet. Et l’on découvre, s’il en était encore besoin, que l’on est souvent plus malheureux dans la connaissance que dans l’ignorance. «Finalement, Félix est heureux car il est…

La Nuit je mens, par Cathy Galliègue, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 18 juillet 2017

Il faut avoir beaucoup vécu, beaucoup souffert et, surtout, beaucoup aimé pour écrire un roman de cette trempe. La Nuit je mens est un roman d’amour, ou plutôt un roman d’amours. A commencer par l’amour inconditionnel, obsédant, total, celui de Mathilde pour Guillaume. Un premier amour à sens unique ou presque, une histoire qui n’est pas à l’eau de rose, mais qui relève plutôt de l’au-delà! Car Guillaume s’est donné la mort. Mais il continue de hanter la vie de Mathilde qui, dans l’intervalle, a rencontré Gaspard. Amour ou désamour fraternel ensuite. Mathilde et Constance sont jumelles, mais tout les oppose. Et lorsqu’il s’intéressera à Mathilde, Gaspard croira avoir affaire à Constance… Mais les jumelles se détestent et il faudra l’intervention de la mère de Gaspard pour qu’elles se rapprochent. Amour filial enfin. Cathy Galliègue décrit avec une grande finesse les rapports de Mathilde avec ses parents, ceux de Gaspard avec les siens et même, en passant, ceux qui n’unissent pas Guillaume à son père. «Un amour jusqu’au frontière de la folie» nous dit la quatrième de couverture. Pas si sûr! Car qu’est-ce que la folie? «La normalité ne serait-elle finalement qu’un compromis?» interroge fort justement Cathy Galliègue. Mathilde ne…