[RENTREE AUTOMNE 2018] 1911, 1918, 2015. Trois zones. Trois épisodes, réels ou imaginaires, liés au passage de Guillaume Apollinaire à la prison de la Santé. Trois occasions de parler de l’enfermement: la prison, la guerre et l’adolescence. En 1911, Apollinaire est donc incarcéré à la Santé, sous sa véritable identité (Wilhelm Kostrowitzky) pour complicité de vol. Quelques jours plus tôt, La Joconde a disparu du mur qu’elle occupait au musée du Louvre. Une sombre affaire à laquelle sont liés Apollinaire bien sûr, mais aussi Picasso et un certain Géry Piéret. Apollinaire restera marqué par ce séjour derrière les barreaux. «Montrer ses mains. Les tremper dans l’encre noire. Doigt par doigt. Une signature. L’empreinte du poète. Poser ses doigts sur le papier. Là où on t’ordonne de poser. Ne cherche pas à comprendre. C’est là. Dans les cases qui enferment. Le poète signe. Il n’a jamais signé ainsi. Chèque en blanc. Pour de prochains poèmes. Il signe de ses phalanges. De ses digitales innocences. Il a confiance, Guillaume. Il aime assez l’idée d’être réduit à cette encre de mauvaise qualité et baveuse. Il aime exister autrement, par ses phalanges. C’est quoi la différence entre l’empreinte d’un poète et celle d’un criminel?»…
Colombe Schneck se glisse dans la peau d’un garçon qui a trente-et-un ans lorsque Brigitte Bardot décide d’en faire son amant. A trente-deux ans, la star est une icône planétaire. Elle tourne, avec Alain Delon, l’un des sketches de l’adaptation des Histoires extraordinaires d’Edgar Alan Poe. Nous sommes en mai 67, à l’orée d’un été qui sera, plus tard, baptisé The Summer of Love. F., né à Oujda, au Maroc, est assistant costumier sur le film. Trente ans après les faits, il découvre que les deux mois passés avec la plus belle femme du monde tiennent en une phrase dans son autobiographie: «F., qui m’a consolée de mon mariage de pacotille.» Avec ce roman, Colombe Schneck imagine une impossible histoire d’amour (impossible, vraiment?) et décrit avec justesse et sensibilité une époque qui va ouvrir tous les possibles. Bardot en est l’une des pionnières. Prisonnière de son image, traquée par la presse, fourvoyée dans un mariage bancal, l’actrice ne supporte pourtant pas la solitude. «Comment peut-on aimer quand le monde entier vous désire?» interroge la quatrième de couverture. Habile manière de détourner l’attention de l’incessant questionnement qui hante Colombe Schneck, même si ce roman figure, en apparence, en marge du reste…
A l’origine, La Musica est une dramatique commandée par la BBC avant de devenir une pièce de théâtre créée le 8 octobre 1965 au Studio des Champs-Elysées, à Paris, puis d’être enfin adaptée au cinéma en 1967 par Marguerite Duras elle-même et Paul Seban. L’appareil critique proposé par La Bibliothèque de la Pléiade (Œuvres complètes, volume 2) donne à découvrir le synopsis de la dramatique commandée par la BBC, des extraits de son script, un texte de présentation de l’édition originale de la pièce (Gallimard, 1965), un synopsis du film ainsi que des notes pour ses deux interprètes, Delphine Seyrig et Robert Hossein. La trame de l’histoire ne varie que peu d’une version à l’autre. Seules les notes pour les deux acteurs donnent une idée plus précise du caractère des personnages. Nous sommes à Evreux, dans le hall d’un hôtel. Un homme et une femme qui viennent de divorcer s’y retrouvent et se racontent leur histoire. Il y est évidemment question de La Musica des mots et des sentiments, Musica à laquelle il faut éviter de succomber. Le hasard a voulu que je lise cette courte pièce de Marguerite Duras juste après Nos débuts dans la vie, de Patrick Modiano….
Cinquième roman de Lola Lafon, Mercy, Mary, Patty est un tournant dans le parcours littéraire de l’auteure. Pas de référence à la Roumanie ou à Nadia Comaneci dans cet ouvrage. Ce seraient notamment la photo de Patricia Hearst posant, arme à la main, devant le drapeau de l’Armée de libération symbionaise (ALS), et le Hey Joe de Jimi Hendrix (même si Lola Lafon préfère la version de Patti Smith) qui ont invité l’auteure à se pencher sur l’affaire Patricia Hearst. Fille et petite-fille de magnats de la presse, elle a dix-neuf ans lorsqu’elle est enlevée par l’ALS, le 4 février 1974. Mais il faudra attendre que Lola Lafon croise le destin de trois jeunes filles de Darfield lors d’une résidence au Smith College, dans le Massachusetts, pour que le roman s’écrive. Aux 17è et 18è siècles, Mercy Short, Mary Jemison et Mary Rowlandson sont enlevées par des Indiens. A l’instar de Patricia Hearst, elles préféreront rester avec leurs kidnappeurs plutôt que de retourner dans leurs familles. La figure centrale du roman de Lola Lafon n’est pas Patty Hearst, mais bien un personnage de fiction, Gene Neveva, Américaine arrivée à la mi-trentaine, professeur de littérature et d’histoire au Smith College, elle…
«Une société qui abolit toute aventure, fait de l’abolition de cette société la seule aventure possible.» Tout le roman de Lola Lafon tient dans cette phrase. Emilienne, que tout le monde appelle Emile, est dans le coma suite à un épisode de mort subite. La narratrice, son amie, s’efforce de la ramener à la vie, se calque sur le rythme de son réchauffement corporel et de son retour à la conscience, retour marqué par les trous d’une mémoire défaillante. La narratrice continue pourtant à se rendre à la Cinémathèque, sans Emile, et aperçoit la jeune femme qu’elle avaient déjà repérée en raison de son assiduité à suivre les projections. C’est à celle qu’elle appelle La Petite Fille au bout du chemin que la narratrice va raconter l’amitié qui la lie à Emile, leur rencontre dans un groupe de parole du mardi, groupe constitué de femmes victimes de viols. A ce titre, ce roman dit mieux que tout autre la dévastation, la souffrance, la peur de celle qui a été violée, abusée. Les trois femmes de cette histoire ont connu l’enfermement, ou la tentative d’enfermement. La narratrice, que La Petite Fille au bout du chemin appelle désormais Voltairine, a connu le…
Le phénomène est fréquent. L’envie de lire un livre, de retrouver un auteur, lorsqu’elle est, ne serait-ce que légèrement, disproportionnée, provoque une forme de déception à l’arrivée. C’est le cas avec Le Garçon de Marcus Malte, un roman qui ne manque pourtant pas de qualités. Vaste fresque qui enjambe le pont qui relie le 19è au 20è siècle, Le Garçon est une somme à plus d’un titre. Une somme romanesque avec ses plus de cinq cent pages et une somme de romans en quelque sorte. Chacune des parties du volume aurait pu donner lieu à un tome d’une grande saga : roman naturaliste, roman érotique, roman historique, roman d’aventure, roman d’amour. Le Garçon n’a pas de nom, même s’il deviendra Félix Mazeppa. Première liberté perdue ! Il ne parle pas, ce qui est à la fois une liberté et un enfermement. Tout au long du roman, le Garçon ne cessera de quitter un enfermement pour un autre. On le découvre à la mort de sa mère, un déchirement, mais une libération aussi. Le voilà errant, puis très vite enfermé dans un premier travail, valet de ferme, logé, nourri, mais pas payé. Un nouveau rebondissement le projette dans la roulotte de Brabek, l’Ogre…