Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce, par Lola Lafon, Babel éditions

20 novembre 2017

«Une société qui abolit toute aventure, fait de l’abolition de cette société la seule aventure possible.» Tout le roman de Lola Lafon tient dans cette phrase. Emilienne, que tout le monde appelle Emile, est dans le coma suite à un épisode de mort subite. La narratrice, son amie, s’efforce de la ramener à la vie, se calque sur le rythme de son réchauffement corporel et de son retour à la conscience, retour marqué par les trous d’une mémoire défaillante. La narratrice continue pourtant à se rendre à la Cinémathèque, sans Emile, et aperçoit la jeune femme qu’elle avaient déjà repérée en raison de son assiduité à suivre les projections. C’est à celle qu’elle appelle La Petite Fille au bout du chemin que la narratrice va raconter l’amitié qui la lie à Emile, leur rencontre dans un groupe de parole du mardi, groupe constitué de femmes victimes de viols. A ce titre, ce roman dit mieux que tout autre la dévastation, la souffrance, la peur de celle qui a été violée, abusée.

Les trois femmes de cette histoire ont connu l’enfermement, ou la tentative d’enfermement. La narratrice, que La Petite Fille au bout du chemin appelle désormais Voltairine, a connu le silence de la Roumanie communiste, l’empêchement de continuer à pratiquer la danse sur les traces de son idole, Sylvie Guillem, celle qui dit non! Emile est enfermée dans son coma, empêchée de répondre aux multiples sollicitations des pauvres, des marginaux, des paumés, des chômeurs de son quartier. Le fiancé de La Petite Fille au bout du chemin essaye, par tous les moyens, d’enfermer son amoureuse dans une camisole chimique.

Pour clamer leur liberté, les filles accrochent une banderole sur un pont de Paris, puis d’autres dans divers lieux de passage. Elles signent leurs messages : Les Petites Filles au bout du chemin. L’effet boule de neige ne tarde pas. Les affiches, les slogans, les banderoles fleurissent aux quatre coins du pays. Un pays qui vit sous le couvre feu de l’état d’urgence.

Lola Lafon a publié ce roman en 2011 alors que personne n’envisageait l’état d’urgence en France. Lu à la lumière des événements de ces quelques dernières années, ce roman est prémonitoire. Lola Lafon permet au lecteur de ressentir l’étouffement provoqué par le manque de liberté, de perspectives, de rêve. La danse classique, sa rigueur, ses exigences, mais aussi sont inégalable liberté, sert de fil rouge à la narration: une véritable réussite. Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce et le roman le plus jubilatoirement subversif qu’il m’ait été donné de lire à ce jour.

Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce par Lola Lafon, Babel éditions, 2014, 428 pages

Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce, par Lola Lafon, éditions Flammarion, 2011.

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