Dans ces quinze nouvelles, Laura Kasischke emmène son lecteur par la main, jusqu’au bord de l’abîme. Puis le lâche. A lui de faire le reste du boulot. Dans l’Amérique de l’après 11 septembre ou de la crise des subprimes, un destin banal peut basculer d’un instant à l’autre : lorsque votre second mari percute et tue un jeune cycliste au carrefour près de la maison, lorsqu’un inconnu vous aborde à l’aéroport et vous demande de transporter pour lui un colis jusque dans le Maine, lorsque le père de votre fille, dont vous êtes sur le point de divorcer, se pointe les bras chargés de cadeaux. C’est le portrait de l’Amérique profonde que trace l’auteure. Pas de personnage hors du commun, pas de héros ni de tête brûlée dans ces pages. Rien que des gens qui traînent leur vie comme un boulet, dans la monotonie, celle du couple en particulier. En trois pages, Laura Kasischke est capable de vous faire entrer dans son univers, de vous mettre sous le nez la vie d’un semblable. Ces quinze nouvelles finissent souvent en l’air, comme on le dirait d’une phrase sans point final. Et c’est là tout leur intérêt. Le lecteur ne peut rester sur…
Quatorze nouvelles habitées par deux thèmes récurrents: les secrets de famille et le pouvoir du désir. L’inspiration de Tomaso Solari est vive et ses nouvelles nous font voyager de l’Espagne au Portugal, de la Colombie à Genève. On sent chez l’auteur une forte tendance à l’empathie, un intérêt marqué pour les vies cabossées, la résilience. Le titre du recueil, De si rudes tendresses, dit bien la difficulté pour les hommes – et pour le Emiliano de la nouvelle intitulée EMS en particulier – d’exprimer leurs sentiments les plus profonds. La honte, la peur du jugement d’autrui sont parfois des obstacles insurmontables. Le désir, lui, est difficile à contourner et donne à certaines nouvelles une teinte érotique plaisante. Il y a de belles réussites dans ces quatorze nouvelles. Quelques naïvetés d’écriture aussi à l’occasion qui font trébucher d’autres histoires pourtant fort bien construites. L’auteur a cependant sa personnalité, elle sait interpeller le lecteur. C’est donc avec intérêt que nous suivrons ses prochaines publications. Parce que l’intelligence du cœur finit toujours par gagner. De si rudes tendresses, par Tomaso Solari, éditions Encre Fraîche, 2017, 196 pages.
[RENTREE AUTOMNE 2017] Il est des livres dont vous savez, en les refermant, qu’ils ont modifié quelque chose en vous. La vengeance du pardon est de cette caste. Quatre histoires, quatre bijoux que l’on porte au cœur comme une décoration ou une fleur à la boutonnière. Il y a d’abord l’écriture. Les trois premières pages de la nouvelle qui ouvre le recueil, Les sœurs Barbarin, sont une promesse, la promesse fleurie des rues de Saint-Sorlin. Promesse tenue, sans jamais faiblir, jusqu’au jardin final de Werner von Breslau, personnage central, avec la divine Daphné, de Dessine-moi un avion. Eric-Emmanuel Schmitt surprend sans jamais désarçonner. Le conteur ne masque pas le philosophe et le dramaturge rivalise de virtuosité avec l’écrivain. Les quatre nouvelles soufflent le chaud et le froid sur l’âme humaine. Des jumelles Barbarin à l’aviateur allemand en retraite, en passant par la naïve Mandine (véritable Cio-Cio-San moderne), le puissant et riche William Golden, Sam Louis le tueur en série ou Elise Maurinier la traductrice, c’est la question du pardon qui sous-tend ‘ensemble de l’ouvrage. Comment pardonner à l’autre, fut-il le meurtrier de votre propre fille? Comment se pardonner à soi-même lorsqu’on a mis fin aux jours d’un génie? Peut-on pardonner…
C’est aux Illuminations de Rimbaud que David Bosc emprunte le titre générique de ces quatre nouvelles que l’auteur préfère d’ailleurs appeler des récits. Quatre récits pour quatre personnages. Frédéric II de Hohenstaufen d’abord, à qui Guillaume de Capparone «fait l’infamant cadeau de la liberté (car personne n’en veut, à cette heure, et le mot lui-même ne fait rêver que les fous).» Honoré Mirabel ensuite, paysan du Pertuis qui s’invente la découverte d’un trésor, ce qu’il fait croire autour de lui. Le leurre lui procure une liberté dont il sait qu’il devra payer le prix fort en cette année 1729. Miguel, homme de La Mancha, vit en 1938 et s’engage pour lutter contre les fascistes espagnols. Mais lorsque la liberté pour laquelle il se bat vient à manquer au sein de ses propres rangs, il choisit la montagne et la forêt. Denis, enfin, est proche d’un groupuscule anarchiste dans le Marseille des années 1980. Proche ne signifie pas inclus. Et c’est bien là le point commun à ces quatre personnages qui font, en pionniers et en solitaires, l’expérience de la liberté, ce bien dont personne ne veut. Ce court recueil, qui se promène à travers les siècles, dit aussi beaucoup du…
«Il est très facile de devenir des hommes sans femmes. On a juste besoin d’aimer profondément une femme et que celle-ci disparaisse ensuite.» C’est, en résumé, la matière première qui compose les sept nouvelles de ce recueil. Mais il y a beaucoup plus que cela bien sûr, nous sommes chez Murakami. A commencer par l’exploration systématique des pensées, des sensations et des émotions des personnages. Les émotions en particulier que les hommes, trop souvent, ne montrent pas, se cachent à eux-mêmes et qui, du coup, anéantissent toute perspective de bonheur ou de félicité. Murakami décrit comme personne la force du sentiment amoureux, cette exaltation qui, conjuguée à une trop forte interrogation existentielle, peut conduire à la mort. L’auteur ausculte également avec minutie les rapports ténus qu’entretiennent amour et sexe. Quelle est la part de mensonge dans les rapports humains en général et au sein du couple en particulier ? Haruki Murakami a une idée très arrêtée sur la question ! Hors le sujet éminemment passionnant de ces sept nouvelles, on retrouve dans ce volume tous les ingrédients qui font le charme irrésistible de l’auteur. Un style en premier lieu, cette manière d’agencer les phrases qui prend le lecteur par la main pour…
Qu’apporte la lecture de Stefan Zweig au lecteur du 21è siècle ? La question est légitime une fois refermé ce recueil de trois nouvelles dont la première, Destruction d’un cœur, donne son nom à l’ensemble. Trois nouvelles de 1931, époque où Stefan Zweig n’a pas encore pris conscience des dangers de la montée du nazisme (il faudra attendre 1933 pour cela), nazisme contre lequel il ne prendra d’ailleurs jamais publiquement position (voir à ce propos le dossier de fin de volume établi par Isabelle Hausser). Au-delà de leur date de publication, les trois nouvelles de ce recueil ont d’autres points communs. Destruction d’un cœur raconte l’histoire d’un riche bourgeois en vacances. Respirant mal, il se lève nuitamment pour faire quelques pas dans le couloir de l’hôtel, sans allumer la lumière. Il surprend alors sa fille sortant de la chambre d’un homme avant de se faufiler discrètement dans la sienne. Le père en est profondément remué. Il se réfugie dans la colère et le ressentiment, peste contre sa fille et sa femme pour qui il a travaillé toute sa vie afin qu’elle ne manquent jamais de ce maudit argent nécessaire à leur confort et à leur vie mondaine. C’est le cœur de…