Danser au bord de l’abîme, par Grégoire Delacourt, Le Livre de Poche
CRITIQUE , ROMAN / 4 janvier 2018

A l’occasion de la sortie du beau roman de Grégoire Delacourt en poche, je vous en repropose la critique. «Delacourt, c’est une sacrée bonne femme.» La déclaration est de l’auteur lui-même, référence à la Jocelyne de La liste de mes envies. Elle s’applique parfaitement à Emmanuelle, personnage central de Danser au bord de l’abîme. Ce roman tient à la fois de Madame Bovary (Emmanuelle est appelée Emma par tout le monde, sauf par sa mère) et de La Chèvre de Monsieur Seguin dont Grégoire Delacourt nous restitue le texte original (une lettre à Pierre Gringoire, poète lyrique parisien) en fin de roman. Danser au bord de l’abîme est le roman du désir, celui qui surprend Emma à la Brasserie André lorsqu’elle voit un homme s’essuyer la bouche avec une serviette de coton damassé. Un désir si fort, si vrai, si immédiat, si évident, qu’elle lui fera quitter Olivier, son mari, Manon, Louis et Léa ses enfants. Danser au bord de l’abîme n’est par le roman du désamour, mais bien celui du désir plus fort que tout. Grégoire Delacourt est obsédé par l’instant présent, celui qui permet de saisir sa chance, de faire basculer sa vie, de donner une chance au…

Cœurs silencieux, par Anne Brécart, éditions Zoé
CRITIQUE , ROMAN / 28 décembre 2017

Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand écrit ceci: «Montaigne dit que les hommes  vont béant aux choses futures: j’ai la manie de béer aux choses passées. Tout est plaisir, surtout lorsque l’on tourne les yeux sur les premières années de ceux que l’on chérit; on allonge une vie aimée; on étend l’affection que l’on ressent sur des jours que l’on a ignorés et que l’on ressuscite; on embellit ce qui fut de ce qui est; on recompose de la jeunesse.» Avec Cœurs silencieux, Anne Brécart recompose indiscutablement de la jeunesse. Est-il possible de remonter aux sources de l’amour et du désir? Arrivée au milieu de la cinquantaine, Hannah quitte celui qui a partagé vingt-cinq années de sa vie. D’abord réfugiée chez une amie du même âge et de même situation, elle saisit le prétexte du règlement de la succession de sa mère pour retourner à Chandossel, son village d’enfance. Dans la maison familiale, Hannah est rattrapée par le passé, par les odeurs, par les ciels et par la nature. Rien n’a changé ou presque dans le village fribourgeois. Au premier réveil dans cette demeure du souvenir, il est là, devant la porte, pour l’aider à porter les bûches qui alimenteront le…

De si rudes tendresses, par Tomaso Solari, éditions Encre Fraiche
CRITIQUE , EROTIQUE , NOUVELLES / 26 septembre 2017

Quatorze nouvelles habitées par deux thèmes récurrents: les secrets de famille et le pouvoir du désir. L’inspiration de Tomaso Solari est vive et ses nouvelles nous font voyager de l’Espagne au Portugal, de la Colombie à Genève. On sent chez l’auteur une forte tendance à l’empathie, un intérêt marqué pour les vies cabossées, la résilience. Le titre du recueil, De si rudes tendresses, dit bien la difficulté pour les hommes – et pour le Emiliano de la nouvelle intitulée EMS en particulier – d’exprimer leurs sentiments les plus profonds. La honte, la peur du jugement d’autrui sont parfois des obstacles insurmontables. Le désir, lui, est difficile à contourner et donne à certaines nouvelles une teinte érotique plaisante. Il y a de belles réussites dans ces quatorze nouvelles. Quelques naïvetés d’écriture aussi à l’occasion qui font trébucher d’autres histoires pourtant fort bien construites. L’auteur a cependant sa personnalité, elle sait interpeller le lecteur. C’est donc avec intérêt que nous suivrons ses prochaines publications. Parce que l’intelligence du cœur finit toujours par gagner. De si rudes tendresses, par Tomaso Solari, éditions Encre Fraîche, 2017, 196 pages.

Danser au bord de l’abîme, par Grégoire Delacourt, éditions JC Lattès
CRITIQUE , ROMAN / 21 août 2017

«Delacourt, c’est une sacrée bonne femme.» La déclaration est de l’auteur lui-même, référence à la Jocelyne de La liste de mes envies. Elle s’applique parfaitement à Emmanuelle, personnage central de Danser au bord de l’abîme. Ce roman tient à la fois de Madame Bovary (Emmanuelle est appelée Emma par tout le monde, sauf par sa mère) et de La Chèvre de Monsieur Seguin dont Grégoire Delacourt nous restitue le texte original (une lettre à Pierre Gringoire, poète lyrique parisien) en fin de roman. Danser au bord de l’abîme est le roman du désir, celui qui surprend Emma à la Brasserie André lorsqu’elle voit un homme s’essuyer la bouche avec une serviette de coton damassé. Un désir si fort, si vrai, si immédiat, si évident, qu’elle lui fera quitter Olivier, son mari, Manon, Louis et Léa ses enfants. Danser au bord de l’abîme n’est par le roman du désamour, mais bien celui du désir plus fort que tout. Grégoire Delacourt est obsédé par l’instant présent, celui qui permet de saisir sa chance, de faire basculer sa vie, de donner une chance au bonheur. Avec Emma, il brise aussi un tabou: il est moins facile de comprendre et d’accepter d’une femme qu’elle…

L’écrivain national, par Serge Joncour, éditions Flammarion
CRITIQUE , ROMAN / 29 mai 2017

«L’écrivain national». La formule revient à répétition dans la bouche du maire de Donzière où Serge, auteur, arrive pour une résidence d’écriture. A dix kilomètres seulement de cette petite ville qui ressemble plutôt à un gros village, un fait divers occupe les journaux locaux et nationaux. Aurelik et Dora, deux marginaux qui vivent à L’Epeau, sont soupçonnés d’avoir fait disparaître Commodore, dont ils sont les locataires. En voyant la photo de Dora dans le journal, l’écrivain est subjugué, irrésistiblement attiré. Aimanté par les lieux du drame, Serge s’embarque dans une quête un peu folle et qui lui vaudra bien des problèmes avec les libraires qui l’ont gentiment invité, avec le maire qui fonde tous ses espoirs sur une nouvelle usine, avec les acolytes d’Aurelik, et même avec la patronne de l’hôtel dans lequel il loge, la pourtant prévenante Madame Meunier. Les pages consacrées aux rencontres littéraires de l’auteur sont hilarantes. Serge Joncour lève le voile sur la face cachée et souvent sombre du métier d’écrivain et des vicissitudes de la promotion. Construit comme un polar, ce roman est celui de la passion et du désir. Serge Joncour excelle à décrire le mécanisme implacable du désir masculin dont la source n’est…

Destruction d’un cœur, par Stefan Zweig, Le Livre de Poche
CRITIQUE , NOUVELLES / 16 février 2017

Qu’apporte la lecture de Stefan Zweig au lecteur du 21è siècle ? La question est légitime une fois refermé ce recueil de trois nouvelles dont la première, Destruction d’un cœur, donne son nom à l’ensemble. Trois nouvelles de 1931, époque où Stefan Zweig n’a pas encore pris conscience des dangers de la montée du nazisme (il faudra attendre 1933 pour cela), nazisme contre lequel il ne prendra d’ailleurs jamais publiquement position (voir à ce propos le dossier de fin de volume établi par Isabelle Hausser). Au-delà de leur date de publication, les trois nouvelles de ce recueil ont d’autres points communs. Destruction d’un cœur raconte l’histoire d’un riche bourgeois en vacances. Respirant mal, il se lève nuitamment pour faire quelques pas dans le couloir de l’hôtel, sans allumer la lumière. Il surprend alors sa fille sortant de la chambre d’un homme avant de se faufiler discrètement dans la sienne. Le père en est profondément remué. Il se réfugie dans la colère et le ressentiment, peste contre sa fille et sa femme pour qui il a travaillé toute sa vie afin qu’elle ne manquent jamais de ce maudit argent nécessaire à leur confort et à leur vie mondaine. C’est le cœur de…