200 mètres nage libre, par Pauline Desnuelles, éditions Emmanuelle Collas
CRITIQUE , ROMAN / 7 juin 2018

Liam est irlandais. C’est au Cap-Vert qu’il a choisi de se réfugier pour soigner un chagrin d’amour et pour donner libre cours à sa passion, le kitesurf. Autour du caisson dans lequel est rangé le matériel nécessaire aux cours donnés sur la plage, José s’affaire à préparer les voiles et Tina accueille les enfants venus apprendre à nager. Paradoxalement, la plupart des îliens ne savent pas nager et l’altruiste Irlandais s’est donné pour mission d’initier les plus jeunes, de leur apprendre à dompter la peur de cet océan pourtant nourricier. Elea, ravissante adolescente, presque femme déjà, est devenue une nageuse aguerrie. Mais le jours de la compétition organisée par Liam et sa bande, elle manque à l’appel. Très vite, l’inquiétude fait place au doute. Elea s’est-elle noyée? Les autochtones ne regardent plus Liam de la même manière. Et si les reproches ne sont pas directement formulés, les coups mettent les points sur les i. Dans ce court roman, Pauline Desnuelles organise sa narration en touches nuancées. La langue est technique lorsqu’il s’agit de nous faire comprendre le kitesurf, elle devient empathique pour dire le Cap-Vert, sa beauté et sa misère, elle se fait langoureuse lorsque Liam cède aux charmes de…

Hannah, par Sarah Tschopp, éditions Encre Fraîche
CRITIQUE , ROMAN / 19 décembre 2017

Hannah est une petite fille partagée entre un papa et une maman séparés. Papa refait sa vie avec Ingrid, maman se bat contre un cancer et c’est Mia qui veille sur elle. Et il y a aussi la maman de Lena, la meilleure amie d’Hannah. Pour ce premier roman, Sarah Tschopp se glisse dans la peau et dans les mots de son personnage. C’est donc avec des mots et des pensées d’enfant que le lecteur découvre l’univers de cette famille décomposée, recomposée. Il n’y a rien de plus difficile que de parler (et donc d’écrire) avec des mots d’enfants lorsqu’on ne l’est plus. Sarah Tschopp y parvient la plupart du temps. Le changement de ville, le changement de langue d’Hannah sont fort bien décrits et le lecteur vit avec elle ce quasi exil. Il comprend aussi le dilemme du père d’Hannah, tiraillé entre sa nouvelle compagne et son ex-femme malade. C’est avec le personnage de Mia que les choses ne fonctionnent pas. Avec cette femme ambigue, Sarah Tschopp introduit une double histoire: celle qui unit visiblement Mia à la mère d’Hannah d’une part, et les rapports tendus entre Hannah et Mia en quasi manipulatrice perverse. Le lecteur n’y trouve pas…

Je suis mort un soir d’été, par Silvia Härri, Bernard Campiche éditeur, coup de cœur lettres frontière 2017
CRITIQUE , PRIX LITTERAIRES , ROMAN / 31 octobre 2017

Une petite fille qui ne joue plus à la balle, qui ne court plus, qui vous regarde un jour comme un étranger et qui finit par perdre la parole. La faute à la pieuvre qui s’est emparée de Margherita. Dès lors, privé de sa sœur, Pietro Cerretani apprend à jouer seul, à ne plus attendre le baiser du soir de son père. Un père qui n’affrontera jamais la pieuvre, ne l’assumera pas. Une mère qui se bat pour garder, puis pour ramener Margherita à la maison. Le couple des parents n’y résistera pas. Margherita est le secret de Pietro. On ne parle pas de ces choses-là! Pour tout le monde, Pietro est fils unique: «J‘ai 25 ans, je suis fils unique et qu’on ne vienne pas m’emmerder avec des questions indiscrètes sur ma famille.» Pourtant, lorsque Pietro noue des liaisons amoureuses, vient forcément le temps de parler de la famille, de la présenter. Que d’échecs provoqués par l’incompréhension de cette non rencontre, pour celles qui ne se sentent pas dignes d’être présentées… Pietro va marcher sur les traces de son père dont il condamne pourtant la lâcheté. Il quitte sa Toscane natale pour Genève: «Un matin, je suis descendu acheter…

De ça je me console, par Lola Lafon, Babel éditions
CRITIQUE , ROMAN / 18 octobre 2017

Lorsque votre père vous envoie par mail une traduction française chantable de Bella Ciao et qu’il vous promet le texte du Chant des partisans au prochain envoi, ce père, forcément, ne ressemble pas aux autres. C’est lui aussi qui invente le jeu des De ça je me console qui doit permettre de classifier les chagrins et d’en résoudre la majeure partie. Emylina parle beaucoup de son père et, à la fin du roman, l’accompagne jusqu’au dernier souffle. «Les parents mentent, et puis ils meurent.» Ils mentent lorsqu’ils envoient Emylina à Milan, puis à Paris, pour l’éloigner de la Roumanie de Ceausescu. A Paris, Emylina danse et rencontre une jeune Italienne venue faire ses études en France. Les deux jeunes femmes vivent une relation forte, quasi fusionnelle. Et pourtant, quand l’amie italienne disparaît, soupçonnée d’avoir assassiné le patron du restaurant dans lequel elle travaillait, Emylina se rend compte de tout ce qu’elle ne sait pas de son amie. Etre libre, ne pas épouser le moule, ne pas croire à tout ce qui se dit ou s’écrit dans les médias nécessite une attention de tous les instants et une force de caractère hors catégorie. Ce superbe roman pose bien sûr la question…

Djibouti, par Pierre Deram, éditions Folio
CRITIQUE , ROMAN / 7 septembre 2017

Je profite de la sortie en poche de cet excellent roman pour vous en reproposer la critique. Djibouti nous raconte la dernière nuit du lieutenant Markus, affecté à Djibouti depuis six mois. Ces dernières heures sont l’occasion pour le militaire de se remémorer les principaux épisodes de son séjour, mais aussi de vivre ses dernières heures dans cette ville de tous les extrêmes. Six courts chapitres qui permettent d’explorer les dérives de l’âme humaine, les faiblesses des solitaires et des amoureux, la singularité de l’amour. Mais le personnage principal de ce beau livre est sans aucun doute la ville de Djibouti. Chaleur, sécheresse, obscurité sont les ingrédients du climat qu’installe l’auteur. L’obscurité surtout. Il fait sombre, il fait noir, et lorsque la lumière des enseignes des bars brillent trop fort, les soldats jouent «Le jeu», celui ou l’on se bat les yeux bandés, sans savoir ou est l’adversaire ni d’où vont venir les coups, la vie en quelque sorte. Pierre Deram touche avec une justesse cruelle à nos écorchures, nos failles, nos faiblesses. Mais il montre aussi ce qui fait la beauté insoutenable du désespoir, ce qui raccroche, in extremis, à la vie, ou à ce qui y ressemble. Thérèse,…

La nuit des enfants qui dansent, par Franck Pavloff, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 24 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Zâl est un slackeur, il se promène trente mètre au-dessus du sol, sur une étroite sangle bleue. Zâl est proche des étoiles et il parle aux oiseaux, des oiseaux qui font partie intégrante de son spectacle. Avec La nuit des enfants qui dansent, Franck Pavloff nous emmène dans une double, une triple et même une quadruple quête. La quête de Zâl, qui poursuit son absolu mystique en solitaire. La quête d’Andras, exilé hongrois qui cherche à sortir de son passé. La quête de Téa, fugueuse abusée par son beau-père et qui voit dans la sangle de Zâl un moyen de prendre de la hauteur. Quête des réfugiés syriens ou afghans qui transitent par la Hongrie où Andras entraîne Zâl, le ramenant ainsi où tout a commencé. L’entreprise est facilitée par le Sziget, l’un des plus grands festivals d’Europe qui accueille sur une île du Danube des artistes tels que Robbie Williams, The Saints, Manu Chao ou Assaf Avidan. La musique, il en est beaucoup question dans ce beau roman. Andras est le dernier descendant d’une lignée de facteurs d’orgue et L’Estate Jubilate de Mozart ou une passacaille de Bach vont jouer un rôle important dans la trame…

La voix de son maître, par Azouz Begag, Editions La Joie de lire
CRITIQUE , ROMAN / 13 avril 2017

Azouz Begag est chercheur au CNRS, parolier de chansons, scénariste pour la télévision et il a enseigné aux Etats-Unis. De 2005 à 2007, il a aussi été ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances. Quelques clés qui permettent de bien comprendre son dernier roman, La voix de son maître. «Qui peut me dire comment l’exil vient aux errants». Cet extrait de la chanson Je Pars, de Nicolas Peyrac aurait parfaitement trouvé sa place dans le roman d’Azouz Begag, roman qui est par ailleurs truffé de chansons et de références musicales. Sauf que dans le cas de Samir Ajaar, cet exil est temporaire et qu’il pourrait bien mettre fin à l’errance. Ajaar qui se réfère régulièrement au Chien Blanc de Romain Gary. L’homonymie n’est forcément pas un hasard. Samir s’ennuie dans son couple, il déprime, se morfond, crise profonde de la quarantaine. Et c’est en entendant son frère Nabil chanter L’Amérique de Joe Dassin qu’il décide de partir. Grâce à Bill, un ancien camarade d’études américain, il dégotte un poste temporaire à UCLA. Entre les sautes d’humeur schizophréniques de Bill, son désir inassouvi de Jane, fortunée célibataire de Mulholand Drive, et une étudiante qu’il nomme Paris Hilton, Samir ne…

Nous serons des héros, par Brigitte Giraud, éditions Stock
CRITIQUE , ROMAN / 12 novembre 2016

Un père mort dans le geôles de Salazar et l’exil vers la France, vers Lyon, en train. Pour Olivio, c’est un changement de vie, de monde, de langue. Mère et fils peuvent compter sur l’hospitalité de Luis et Lydia, le temps que la mère trouve un travail, puis un logement. Lorsque c’est chose faite, Max entre dans la vie d’Olivio et, surtout, dans celle de sa mère. Max est pied-noir, il a dû fuir l’Algérie. Le couple se trouve des souvenirs de sud à partager, jusqu’à un certain point. A Lyon, Olivio rencontre Ahmed. Lui aussi vient d’Algérie, mais il n’est pas du même bord que Max. Olivio a pour Ahmed une attirance ambiguë, une sorte d’amitié amoureuse. Survient la Révolution des œillets, ce fameux 25 avril 1974. Il est alors question pour Olivio et sa mère de retourner au Portugal, avec Luis et Lydia. Mais max s’y oppose. Olivio partira donc seul sur les traces de son père, près de la forteresse où il a été détenu et au cimetière où il repose. Il partira aussi à la découverte de sa sexualité, repoussant les avances de sa cousine Linda et ressentant de plus en plus douloureusement l’absence d’Ahmed. Brigitte…

Exil, par Frédéric Jaccaud, éditions Gallimard
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 9 novembre 2016

Le narrateur de ce roman a plusieurs visages. On le découvre chauffeur de callgirls de luxe, mais on apprend rapidement qu’il a eu une autre vie dans la Vallée, celle où le monde d’aujourd’hui se préparait il y a vingt ou trente ans. Au fil de l’histoire, on se demande qui est cet homme, quelle est sa part de vérité, sa part de fantasme. Rêve-t-il le monde dans lequel il vit? L’intrigue ne connaît pas vraiment de dénouement et le lecteur ne saura jamais ce que contient la carte magnétique remise par Peggy Sue au narrateur juste avant de mourir. Entre théorie du complot et réflexion philosophique sur le monde et sa dimension numérique, ce roman passe en revue les possibles évoqués ou explorés au cours des vingt dernières années. D’une belle écriture, Frédéric Jaccaud emmène son lecteur dans un monde où l’espérance n’a pas survécu. Exil, par Frédéric Jaccaud, éditions Gallimard, Série noire, 2016, 317 pages Enregistrer