Val de Grâce, par Colombe Schneck, éditions J’ai Lu
CRITIQUE , ROMAN / 31 décembre 2017

Toujours passionnée par son histoire familiale, Colombe Schneck raconte, dans ce court roman, l’appartement du Val de Grâce où elle a vécu les vingt-trois plus belles années de sa vie, vingt-trois ans d’un bonheur sans tache. Mais c’est aussi l’appartement où meurt Hélène, sa mère, alors que l’auteure a trente-six ans. De cet appartement, Colombe Schneck connaît chaque recoin, chaque éraflure du parquet, chaque meuble, chaque objet. Lieu de tous les bonheurs de l’enfance, Val de Grâce est aussi le symbole de la fin d’une époque, de la fin de l’insouciance, de cette enfance préservée du poids de la Shoah. L’appartement ne protège plus des blessures et des douleurs, il en est le centre avec la disparition d’Hélène. Il y a quelque chose des Enfants terribles de Jean Cocteau dans ce roman, l’esprit de la roulotte peut-être. Mais il y a aussi le voisin célèbre, la découverte de la double vie du père volage, le poids d’un passé dont les enfants ont été si longtemps préservés. Comme dans chacun des livres qu’elle consacre à son histoire familiale, Colombe Schneck y montre surtout à quel point elle a été aimée par un père capable de tout pour étonner ses enfants: «Le…

Cœurs silencieux, par Anne Brécart, éditions Zoé
CRITIQUE , ROMAN / 28 décembre 2017

Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand écrit ceci: «Montaigne dit que les hommes  vont béant aux choses futures: j’ai la manie de béer aux choses passées. Tout est plaisir, surtout lorsque l’on tourne les yeux sur les premières années de ceux que l’on chérit; on allonge une vie aimée; on étend l’affection que l’on ressent sur des jours que l’on a ignorés et que l’on ressuscite; on embellit ce qui fut de ce qui est; on recompose de la jeunesse.» Avec Cœurs silencieux, Anne Brécart recompose indiscutablement de la jeunesse. Est-il possible de remonter aux sources de l’amour et du désir? Arrivée au milieu de la cinquantaine, Hannah quitte celui qui a partagé vingt-cinq années de sa vie. D’abord réfugiée chez une amie du même âge et de même situation, elle saisit le prétexte du règlement de la succession de sa mère pour retourner à Chandossel, son village d’enfance. Dans la maison familiale, Hannah est rattrapée par le passé, par les odeurs, par les ciels et par la nature. Rien n’a changé ou presque dans le village fribourgeois. Au premier réveil dans cette demeure du souvenir, il est là, devant la porte, pour l’aider à porter les bûches qui alimenteront le…

People Bazaar, par Jean-Pierre de Lucovich, éditions Séguier
CHRONIQUES , CRITIQUE / 26 décembre 2017

Jean-Pierre de Lucovich a œuvré plus de cinquante années au sein des rédactions de Paris Match, Vogue Homme, Lui, Photo ou Harper’s Bazaar notamment. Que ce soit en France ou aux Etats-Unis, cet infiltré dans le beau monde nous offre donc en partage cinq décennies de rencontres avec le gratin de ce qu’on a d’abord appelé la jet set, puis, les peoples. Lorsqu’on exerce son métier avec passion, comme c’est le cas pour l’auteur, on finit par nouer des amitiés avec ceux que l’on rencontre ou que l’on croise au fil des reportages. Maurice Ronet ou Françoise Sagan sont de ceux qui sont devenus les amis de Jean-Pierre de Lucovich. C’est d’ailleurs Françoise Sagan qui aurait lancé la mode des devinettes «Monsieur et Madame ont un fils» si l’on en croit l’auteur. Mais l’amitié la plus ancienne, la plus solide, c’est celle que l’auteur partage avec son collègue Pierre Bénichou. Raconter la vie mondaine, cinquante ans durant, demande de ne jamais se lasser, de garder intact le pouvoir de s’étonner, voire de s’émerveiller. Et la qualité première de tout journaliste, la curiosité, doit être de tous les instants. C’est cette curiosité permanente, teintée de bienveillance (même si les coups de…

Une toile large comme le monde, par Aude Seigne, éditions Zoé
CRITIQUE , ROMAN / 25 décembre 2017

Ils sont rares les romans qui se penchent sur Internet. Plus rares encore ceux qui imaginent sa disparition. Et lorsque c’est le cas, dans le Où la lumière s’effondre, de Guillaume Sire par exemple, il s’agit de constituer une armée de hackers pour parvenir à ses fins. Rien de tel chez Aude Seigne. Les hackers, en l’occurrence une hackeuse, ne sont que l’un des éléments du plan de la panne. Huit. Ils sont huit à vouloir débrancher Internet, au sens propre. Car si le réseau des réseaux est le royaume du virtuel, il a besoin pour fonctionner d’infrastructures bien réelles : data centers, matières premières, câbles. Le roman s’ouvre d’ailleurs avec l’un des personnages principaux de cette histoire, un câble transocéanique qui porte le joli nom de FLIN. Véritable gourmandise pour les requins, autres personnages récurrents du roman d’Aude Seigne, FLIN représente symboliquement les milliers de câbles qui passent sous nos pieds et qui transportent des millions de mails à travers le monde en un cinquième de seconde. Il y a donc Olivier, libraire qui voit sa clientèle diminuer, June, créatrice de produits cosmétiques et Evan community manager. Ces trois-là vivent en trouple. Pendant à ce trio, il y a la…

Mai 67, par Colombe Schneck, éditions Robert Laffont
CRITIQUE , ROMAN / 24 décembre 2017

Colombe Schneck se glisse dans la peau d’un garçon qui a trente-et-un ans lorsque Brigitte Bardot décide d’en faire son amant. A trente-deux ans, la star est une icône planétaire. Elle tourne, avec Alain Delon, l’un des sketches de l’adaptation des Histoires extraordinaires d’Edgar Alan Poe. Nous sommes en mai 67, à l’orée d’un été qui sera, plus tard, baptisé The Summer of Love. F., né à Oujda, au Maroc, est assistant costumier sur le film. Trente ans après les faits, il découvre que les deux mois passés avec la plus belle femme du monde tiennent en une phrase dans son autobiographie: «F., qui m’a consolée de mon mariage de pacotille.» Avec ce roman, Colombe Schneck imagine une impossible histoire d’amour (impossible, vraiment?) et décrit avec justesse et sensibilité une époque qui va ouvrir tous les possibles. Bardot en est l’une des pionnières. Prisonnière de son image, traquée par la presse, fourvoyée dans un mariage bancal, l’actrice ne supporte pourtant pas la solitude. «Comment peut-on aimer quand le monde entier vous désire?» interroge la quatrième de couverture. Habile manière de détourner l’attention de l’incessant questionnement qui hante Colombe Schneck, même si ce roman figure, en apparence, en marge du reste…

Un jour en ville, par Daniel Tschumy, Bernard Campiche éditeur
CRITIQUE , ROMAN / 21 décembre 2017

Un jour en ville est un beau roman d’amitié et de mémoire. Loïc, le narrateur, sort de l’hôpital où il a déjeuné avec Robin, son ami d’adolescence dont les cheveux ont désormais blanchi. Robin s’exprime avec difficulté et Loïc le trouve affaibli malgré la présence de ses filles qui lui apporte un peu de sérénité. Après sa visite, Loïc ne rentre pas immédiatement chez lui. Il a négocié ce bel après-midi d’automne avec sa femme. Parti de la station Fourmi du métro lausannois, Loïc va arpenter trente-cinq années de sa vie, passées avec ou sans Robin, à travers les rues de Lausanne, la ville étant sans conteste le personnage central de ce premier roman. Il y a l’itinéraire parcouru, jalonné de souvenirs, mais aussi ceux de la mémoire, ceux sur lesquels Robin a initié Loïc à la course à pied. Vingt années durant, ils ont rituellement couru ensemble, deux fois par semaine, jusqu’à ce que la maladie rattrape Robin, obligeant Loïc à mener le train. A l’époque, les deux amis se comparent à leurs idoles, Sebastian Coe et Steve Ovett dont la rivalité marque les Jeux Olympiques de Moscou, en 1980, et de Los Angles quatre ans plus tard. «Who…

Etre ici est une splendeur – Vie de Paula M. Becker, par Marie Darrieussecq, P.O.L. éditeur
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ESSAI / 20 décembre 2017

Un geste amoureux. Ainsi Marie Darrieussecq définit-elle l’écriture de cette biographie, rédigée alors qu’avec Julia Garimorth  et Fabrice Hergott, elle préparait l’exposition Paula Modersohn-Becker au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris programmée d’avril à août 2016, «un printemps et un été pour Paula, cent dix ans après son dernier séjour parisien. Ecrire, montrer, c’était pour moi le même geste amoureux.» Au-delà de ce geste amoureux, il existe une large communauté d’intérêts entre Paula M. Becker et Marie Darrieussecq. La vie de la première est jalonnée des thèmes chers à l’œuvre romanesque de la seconde. A commencer par la tension entre conjugalité et liberté. Mariée au peintre Otto Modersohn, Paula s’émancipe de la peinture traditionnelle pratiquée par son mari en cherchant et en innovant sans cesse. Si elle aime son mari, que lui l’aime en retour, elle ne rêve que de s’échapper de ce mariage. Une tension qui se fait aussi géographique. De son village de Worpswede, près de Brême, au nord de l’Allemagne, Paula M. Becker n’aspire qu’à rejoindre Paris, ce qu’elle fera, la première fois le 1er janvier 1900. Dans le monde si masculin de la peinture du début du 20è siècle, le parcours de Paula M….

Hannah, par Sarah Tschopp, éditions Encre Fraîche
CRITIQUE , ROMAN / 19 décembre 2017

Hannah est une petite fille partagée entre un papa et une maman séparés. Papa refait sa vie avec Ingrid, maman se bat contre un cancer et c’est Mia qui veille sur elle. Et il y a aussi la maman de Lena, la meilleure amie d’Hannah. Pour ce premier roman, Sarah Tschopp se glisse dans la peau et dans les mots de son personnage. C’est donc avec des mots et des pensées d’enfant que le lecteur découvre l’univers de cette famille décomposée, recomposée. Il n’y a rien de plus difficile que de parler (et donc d’écrire) avec des mots d’enfants lorsqu’on ne l’est plus. Sarah Tschopp y parvient la plupart du temps. Le changement de ville, le changement de langue d’Hannah sont fort bien décrits et le lecteur vit avec elle ce quasi exil. Il comprend aussi le dilemme du père d’Hannah, tiraillé entre sa nouvelle compagne et son ex-femme malade. C’est avec le personnage de Mia que les choses ne fonctionnent pas. Avec cette femme ambigue, Sarah Tschopp introduit une double histoire: celle qui unit visiblement Mia à la mère d’Hannah d’une part, et les rapports tendus entre Hannah et Mia en quasi manipulatrice perverse. Le lecteur n’y trouve pas…

Véronique ta mère, par Philippe Gindre, éditions des sauvages
CRITIQUE , RECIT / 18 décembre 2017

Contrairement à ce qu’annonce l’éditeur, Véronique ta mère n’est pas un roman mais bien un récit. Un récit autobiographique. Malgré le calembour douteux du titre, ce troisième ouvrage de Philippe Gindre est un hommage à sa tante Véronique dont la quatrième de couverture résume les saints préceptes: «fumer beaucoup, déconsidérer toute forme d’autorité, vénérer le rock’n’roll, aller aussi souvent que possible à la rivière et fumer encore plus». Cette tante Véronique est un phénomène. En la racontant, Philippe Gindre revient sur son propre parcours, complexe et chaotique. Tante Véronique, c’est l’antithèse de la sévérité parentale, la solution rapide a bien des problèmes quotidiens. C’est aussi l’apprentissage de la fumette pour son neveu, dès l’âge de onze ans. Philippe Gindre nous dévoile également sa dérive personnelle, de thérapies en rechutes, d’espoirs en cul-de-sac. Il y avait de quoi en vouloir à cette tante qui lui a inculqué un idéal de révolte et de liberté, quel qu’en soit le prix à payer. Mais c’est une infinie tendresse qui domine ce portrait hors normes. Et lorsque Véronique s’en va, parfois pour des mois, laissant sa fille à ses sœurs, Philippe se sent abandonné. Philippe Gindre trace le portrait de la représentante d’une époque…

La dernière gorgée de bière, par Ariane Ferrier, éditions bsn press
CRITIQUE , RECIT , SOUVENIRS PERSONNELS / 14 décembre 2017

24 juin 2017, 15 heures 10. Je reçois sur Messenger un message groupé signé Ariane Ferrier: «Chers gens-que-j’aime, il n’y a pas de jolie façon de le dire: la tumeur est revenue. Comme je l’avais décidé, au moment du diagnostic, je ne vais pas m’acharner. Cette décision est totalement sereine! Désolée si je vous fais de la peine…» Ariane, dans toute sa splendeur! Quatre jours après la parution de La dernière gorgée de bière, Ariane n’était plus. J’ai longtemps tourné autour de son livre, sans oser l’ouvrir: peur de l’absence et du chagrin. Et puis voilà, je l’ai lu. Et Ariane est plus vivante que jamais. Je commence par prendre la préface de Mélanie Chappuis en pleine figure. Mélanie a rencontré Ariane à La Tribune de Genève. Alors chef de la rubrique genevoise du quotidien, je venais d’engager la première comme pigiste (je me souviens encore parfaitement de son arrivée en rollers, une recommandation d’Antoine Maurice en bandoulière) et la seconde, que je connaissais de longue date, me livrait chaque semaine sa chronique. Mélanie Chappuis est d’une justesse absolue dans le portrait qu’elle dresse de celle qui est devenue son amie. Ariane Ferrier, elle nous offre un voyage: «la traversée…