Je suis mort un soir d’été, par Silvia Härri, Bernard Campiche éditeur, coup de cœur lettres frontière 2017
CRITIQUE , PRIX LITTERAIRES , ROMAN / 31 octobre 2017

Une petite fille qui ne joue plus à la balle, qui ne court plus, qui vous regarde un jour comme un étranger et qui finit par perdre la parole. La faute à la pieuvre qui s’est emparée de Margherita. Dès lors, privé de sa sœur, Pietro Cerretani apprend à jouer seul, à ne plus attendre le baiser du soir de son père. Un père qui n’affrontera jamais la pieuvre, ne l’assumera pas. Une mère qui se bat pour garder, puis pour ramener Margherita à la maison. Le couple des parents n’y résistera pas. Margherita est le secret de Pietro. On ne parle pas de ces choses-là! Pour tout le monde, Pietro est fils unique: «J‘ai 25 ans, je suis fils unique et qu’on ne vienne pas m’emmerder avec des questions indiscrètes sur ma famille.» Pourtant, lorsque Pietro noue des liaisons amoureuses, vient forcément le temps de parler de la famille, de la présenter. Que d’échecs provoqués par l’incompréhension de cette non rencontre, pour celles qui ne se sentent pas dignes d’être présentées… Pietro va marcher sur les traces de son père dont il condamne pourtant la lâcheté. Il quitte sa Toscane natale pour Genève: «Un matin, je suis descendu acheter…

Lazare mon amour, par Gwenaëlle Aubry, éditions L’iconoclaste
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ESSAI , THEATRE / 29 octobre 2017

Lazare mon amour est un portrait. Celui de Sylvia Plath, poétesse mythique. Initialement publié dans l’ouvrage collectif L’une et l’autre (L’Iconoclaste, 2015), ce texte a d’abord vécu sur scène. Le spectacle littéraire incarné par Gwenaëlle Aubry accompagnée de chanteurs et de musiciens a été créé à la Maison de la poésie, à Paris, en 2014. L’auteur nous propose de prendre contact avec Sylvia Plath au travers d’un album de photos. Des photos qui livrent les visages et les silhouettes multiples de la poétesse. Beauté, amour, gloire, mode, détresse, mort, les images racontent aussi sûrement que l’œuvre ou que la biographie. Puis Gwenaëlle Aubry dénoue l’écheveau, le fil de la mort du père, drame fondateur. Celui de la mère, gardienne du temple, destinataire des centaines de lettres envoyées par sa fille. Le fil du coup de foudre pour Ted Hugues, le poète, à la fois Pygmalion et empêcheur de rimer en rond. Le fil de la mort aussi, que Sylvia Plath convoquera plusieurs fois avant de l’apprivoiser définitivement, à trente ans. Gwenaëlle Aubry nous livre un portrait à la fois intime et impressionniste de cette Américaine précoce, infiniment douée pour l’écriture, mais qui ne cessera de s’interroger sur le fossé qui…

Je peux me passer de l’aube, par Isabelle Alonso, éditions Héloïse d’Ormesson
CRITIQUE , ROMAN / 28 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Avec Je mourrai une autre fois, Isabelle Alonso nous faisait partager la vie d’Angel Alcala Llach, dit Gelin, le double littéraire de son père dont elle avait recueilli les souvenirs avant son décès. Le lecteur suivait Gelin au cœur de l’émergence de la deuxième République espagnole et des espoirs qu’elle a fait naître. Gelin s’engage dans la guerre pour sauver la République. Il n’a que quinze ans. Le roman se refermait sur la détention du garçon dans un camp français. Je peux me passer de l’aube nous restitue Gelin au même moment, en 1939. Le 1er avril, à Burgos, Franco signe le communiqué annonçant la fin de la guerre. Avec ce beau roman, Isabelle Alonso nous rappelle que si la guerre est terminée, elle n’est pas finie pour autant. Elle va même durer encore plus de trente ans, jusqu’à la mort du Caudillo en 1975. L’histoire se façonne aux récits des vainqueurs. Dans le prologue à son roman, Isabelle Alonso s’insurge: «Dans les manuels scolaires des petits Espagnols d’aujourd’hui, on mentionne que Garcia Lorca mourut en Andalousie, pendant la guerre. Ce n’est pas faux. Juste incomplet.» Son odieux assassinat par les fascistes est en effet passé sous…

Légende d’un dormeur éveillé, par Gaëlle Nohant, éditions Héloïse d’Ormesson
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , POESIE , ROMAN / 23 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Il y a les livres qui vous plaisent, ceux après la lecture desquels vous n’êtes plus tout à fait pareil et ceux qui vous ébranlent, profondément, durablement. Légende d’un dormeur éveillé est de ceux-là! Quel torrent d’amour pour Robert Desnos a-t-il fallu à Gaëlle Nohant pour tisser ce subtil roman biographique, le surpiquer de citations qui font toujours sens et éclairent le récit? Desnos n’a jamais adhéré à aucune chapelle, ni celle du surréalisme corseté par un Breton dictatorial, ni celle du communisme, chère à Aragon et omniprésente dans les réseaux de la naissante Résistance. Le poète est d’un bloc, droit dans ses bottes, quoi qu’il advienne. Hors la poésie, amis et amours mobilisent toute son âme, toutes ses pensées. L’amitié fraternelle pour Jean-Louis Barrault, ou celle plus taquine qui l’unit à Prévert. Les amitiés poétiques aussi avec ses frères en mots et souvent en convictions: Pablo Neruda, Federico Garcia Lorca ou Paul Eluard. Il y a l’amour innaccesible de ses jeunes années, son adoration pour la chanteuse Yvonne Georges qui toujours se refusera à lui mais pour qui il acceptera même de fumer l’opium. Et puis, il y a Youki, que le peintre Foujita lui confiera…

Prends le temps de penser à moi, par Gabrielle Maris Victorin, éditions Grasset
CRITIQUE , RECIT / 19 octobre 2017

«Avant le 7 janvier 2015, je ne me souvenais plus que j’étais une enfant.» 7 janvier 2015, la date est encore dans toutes les mémoires. C’est ce jour-là que la rédaction de Charlie Hebdo a été massacrée dans un attentat épouvantable. Presque deux ans après les événements, Gabrielle Maris Victorin rend hommage à son père, l’économiste, écrivain et romancier Bernard Maris, qui a perdu la vie ce jour-là. Elle raconte avec pudeur les moments cruels, insoutenables, ceux de la découverte du drame et ceux de l’après drame: images en boucle sur les télévisions, reconnaissance du corps, liquidation de l’appartement paternel, récupération de ses effets personnels au poste de police. Mais l’essentiel de ce récit n’est pas là. Gabrielle Maris Victorin livre un portrait tendre de son père qu’elle nous décrit en amoureux de la littérature, de Kafka en particulier, en père drôle et attentionné, capable de chanter Eddy Mitchell et Fats Domino à tue-tête avec sa fille dans la voiture (voir la bande son du récit). Ce père qui aurait aimé être journaliste et qui prenait un plaisir fou à participer aux séances de rédaction de Charlie Hebdo. Gabrielle Maris Victorin dépasse ses peurs de fillette, d’adolescente et de jeune…

De ça je me console, par Lola Lafon, Babel éditions
CRITIQUE , ROMAN / 18 octobre 2017

Lorsque votre père vous envoie par mail une traduction française chantable de Bella Ciao et qu’il vous promet le texte du Chant des partisans au prochain envoi, ce père, forcément, ne ressemble pas aux autres. C’est lui aussi qui invente le jeu des De ça je me console qui doit permettre de classifier les chagrins et d’en résoudre la majeure partie. Emylina parle beaucoup de son père et, à la fin du roman, l’accompagne jusqu’au dernier souffle. «Les parents mentent, et puis ils meurent.» Ils mentent lorsqu’ils envoient Emylina à Milan, puis à Paris, pour l’éloigner de la Roumanie de Ceausescu. A Paris, Emylina danse et rencontre une jeune Italienne venue faire ses études en France. Les deux jeunes femmes vivent une relation forte, quasi fusionnelle. Et pourtant, quand l’amie italienne disparaît, soupçonnée d’avoir assassiné le patron du restaurant dans lequel elle travaillait, Emylina se rend compte de tout ce qu’elle ne sait pas de son amie. Etre libre, ne pas épouser le moule, ne pas croire à tout ce qui se dit ou s’écrit dans les médias nécessite une attention de tous les instants et une force de caractère hors catégorie. Ce superbe roman pose bien sûr la question…

Vita Nova, par Pascal Dethurens, Infolio éditions
CRITIQUE , RECIT / 11 octobre 2017

«J’espère dire d’elle ce qui jamais ne fut dit d’aucune femme.» L’épigraphe de ce récit, empruntée à Dante est une promesse. Promesse tenue de bout en bout par Pascal Dethurens dans ce récit puissant, tant par la forme que sur le fond. Le rire de Chiara, ce rire que Giovanni perçoit et localise tout en haut d’une tour de la place du Campo, à Sienne. Le rire, puis le regard de Chiara redescendue de son perchoir. «Elle était la promesse qui ne pouvait pas être tenue», parce que fille de famille, parce que trop vite partie de Sienne, parce que trop tôt partie pour l’éternité. Giovanni cherchera Chiara partout, d’abord à toute allure au guidon de sa moto, puis dans les cieux de l’Italie et de l’Afrique aux commandes d’un avion. Giovanni est pilote dans l’armée de Mussolini. Chiara est partout dans le ciel, la lumière, les parfums et les rues. «Du jour où il avait croisé son regard une nouvelle vie s’était imposée à lui, impérieuse, misérable, écrasante.» C’est pourtant cette nouvelle vie qui lui ouvre les portes de la joie, même si «après tout ce temps, de cela au moins il était certain, elle était devenue une ombre,…

Le Sans Dieu, par Virginie Caillé-Bastide, éditions Héloïse d’Ormesson
CRITIQUE , ROMAN / 10 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Il ne faut que quelques pages pour apprivoiser la langue de Virginie Caillé-Bastide, celle de l’époque à laquelle elle situe son roman, le début du 18è siècle. Arzhur de Kerloguen, modeste seigneur de Plouharnel, dans le Morbihan, voit mourir son petit Jehan, emporté par le froid et la famine de ce terrible janvier 1709. En perdant son septième et dernier enfant, Arzhur perd aussi la foi et sa femme, Gwenola, devenue folle. Six ans plus tard, dans les mers des Caraïbes, le modeste seigneur est devenu l’Ombre, capitaine du Sans Dieu, un navire de pirates sans foi ni loi. L’Ombre est d’une cruauté sans limite. Il écume les mers et attaque tout bâtiment passant à sa portée. En abordant un galion espagnol, il épargne la vie d’un père jésuite, Padre Anselme. Celui-ci se donne pour tâche de faire recouvrer la foi au sanguinaire Arzhur. Les parties d’échecs qu’ils partagent sont l’occasion d’argumenter sur l’existence de Dieu. Arzhur n’y croit plus depuis que ce Dieu d’amour et de bonté lui a enlevé ses sept enfants. Et son expérience de pirate n’a fait que renforcer cette conviction. Anselme, lui, y croit, sans pour autant être dogmatique. Virginie Caillé-Bastide nous…

Les cancres de Rousseau, par Insa Sané, éditions Sarbacane
CRITIQUE , JEUNESSE , ROMAN / 7 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Les cancres de Rousseau est la préquelle des quatre précédents romans d’Insa Sané (Sarcelles-Dakar, Du plomb dans le crâne, Gueule de bois et Daddy est mort) que les éditions Sarbacane ont la bonne idée de republier pour l’occasion dans la collection X‘ (Exprime). Il s’agit donc, chronologiquement, des premières aventures des protagonistes de la Comédie urbaine. Nous sommes en 1994, Djiraël, Sacha, Armand, Jazz, Rania, Doumam et les autres sont en terminale, le bac en ligne de mire. Djiraël est candidat au poste de délégué des délégués de classe du lycée. L’occasion de découvrir, à son échelle, les coups bas, mais aussi les avantages du pouvoir. Entre un prof d’histoire alcoolo et une prof de math sadique, un enseignant trouve grâce aux yeux des ados, Monsieur Fèvre, le seul qui s’intéresse à eux. La bande de Djiraël est considérée comme un ramassis de cancres, classée dans la catégorie racaille, ou pas loin. Pourtant, cette jeunesse-là a envie d’avenir, souhaite changer le monde, même si elle ne se fait pas beaucoup d’illusions: «Comment réussir à changer le monde quand Dumas et Césaire ont échoué?» Au lycée, Djiraël prend donc le pouvoir: «On était devenus des politiciens de la…

Brassens. Les jolies fleurs et les peaux de vache, par Bernard Lonjon, éditions de L’Archipel
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ESSAI / 5 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Bernard Lonjon est l’un des plus fins connaisseurs de l’œuvre de Georges Brassens. Après J’aurais pu virer malhonnête, la jeunesse tumultueuse de Georges Brassens (éditions du Moment, 2010) et Georges Brassens. Auprès de son âme (entretien radiophonique, Textuel-INA, 2011), il nous offre ce Brassens. Les jolies fleurs et les peaux de vache. Il y est question, vous l’avez compris, des femmes qui ont jalonné la vie du poète. A commencer par les femmes de sa vie. Elles sont trois: Jeanne, la Jeanne, hôtesse et maîtresse, Patachou, la négresse blonde, et Püpchen, la blonde chenille. Ces trois-là sont les piliers, les incontournables, les fondamentales. Avec tact, Bernard Lonjon n’entre jamais dans la chambre à coucher. Mais il entre, avec précision et justesse, dans l’œuvre du poète sétois. Les femmes ont beaucoup inspiré Brassens. De ses premières amours aux femmes de ses amis, en passant par celles de la famille ou celles du métier, elles ont nourri ses chansons. Si vous en êtes resté au Brassens misogyne, cet excellent ouvrage vous dévoilera une image beaucoup plus subtile du Sétois. Bernard Lonjon relie donc en permanence les femmes de la vie de Georges Brassens à ses chansons. L’auteur aime plonger…