Le baiser et la morsure, par Yasmina Khadra, entretiens avec Catherine Lalanne, Bayard éditions
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ENTRETIENS / 25 août 2018

On avait déjà beaucoup aimé Plus tard je serai un enfant, le livre d’entretiens de Catherine Lalanne avec Eric-Emmanuel Schmitt. La collection L’Atelier de l’enfance, chez Bayard, s’étoffe avec Le baiser et la morsure, entretiens de la toujours subtile et attentive Catherine Lalanne avec Yasmina Khadra. «J‘ai cessé d’être un enfant à l’instant où j’ai franchi le portail de la caserne.» L’aveu de l’auteur de Ce que le jour doit à la nuit est sans équivoque. Il a 9 ans lorsque son père l’emmène à l’hôpital militaire pour une visite médicale. Une semaine plus tard, il entre à la caserne pour devenir un cadet de la révolution. Mohammed Moulessehoul est issu d’une tribu de poètes, les Doui Menia, une lignée de pionniers qui s’est implantée dans la Saoura, au nord-ouest du Sahara algérien, au 13è siècle. L’écrivain raconte à Catherine Lalanne la grandeur, puis la chute de cette tribu face à l’armée française, en 1903. Mohammed Moulessehoul passe trente-six années de sa vie dans les rangs de l’armée algérienne. Il rêvait pourtant de devenir poète en lange arabe, comme son grand-père. C’est la lecture de L’Etranger, d’Albert Camus, proposée par son professeur Yvon Davis, qui va tout changer: «je ne…

Val de Grâce, par Colombe Schneck, éditions J’ai Lu
CRITIQUE , ROMAN / 31 décembre 2017

Toujours passionnée par son histoire familiale, Colombe Schneck raconte, dans ce court roman, l’appartement du Val de Grâce où elle a vécu les vingt-trois plus belles années de sa vie, vingt-trois ans d’un bonheur sans tache. Mais c’est aussi l’appartement où meurt Hélène, sa mère, alors que l’auteure a trente-six ans. De cet appartement, Colombe Schneck connaît chaque recoin, chaque éraflure du parquet, chaque meuble, chaque objet. Lieu de tous les bonheurs de l’enfance, Val de Grâce est aussi le symbole de la fin d’une époque, de la fin de l’insouciance, de cette enfance préservée du poids de la Shoah. L’appartement ne protège plus des blessures et des douleurs, il en est le centre avec la disparition d’Hélène. Il y a quelque chose des Enfants terribles de Jean Cocteau dans ce roman, l’esprit de la roulotte peut-être. Mais il y a aussi le voisin célèbre, la découverte de la double vie du père volage, le poids d’un passé dont les enfants ont été si longtemps préservés. Comme dans chacun des livres qu’elle consacre à son histoire familiale, Colombe Schneck y montre surtout à quel point elle a été aimée par un père capable de tout pour étonner ses enfants: «Le…

Cœurs silencieux, par Anne Brécart, éditions Zoé
CRITIQUE , ROMAN / 28 décembre 2017

Dans ses Mémoires d’outre-tombe, Chateaubriand écrit ceci: «Montaigne dit que les hommes  vont béant aux choses futures: j’ai la manie de béer aux choses passées. Tout est plaisir, surtout lorsque l’on tourne les yeux sur les premières années de ceux que l’on chérit; on allonge une vie aimée; on étend l’affection que l’on ressent sur des jours que l’on a ignorés et que l’on ressuscite; on embellit ce qui fut de ce qui est; on recompose de la jeunesse.» Avec Cœurs silencieux, Anne Brécart recompose indiscutablement de la jeunesse. Est-il possible de remonter aux sources de l’amour et du désir? Arrivée au milieu de la cinquantaine, Hannah quitte celui qui a partagé vingt-cinq années de sa vie. D’abord réfugiée chez une amie du même âge et de même situation, elle saisit le prétexte du règlement de la succession de sa mère pour retourner à Chandossel, son village d’enfance. Dans la maison familiale, Hannah est rattrapée par le passé, par les odeurs, par les ciels et par la nature. Rien n’a changé ou presque dans le village fribourgeois. Au premier réveil dans cette demeure du souvenir, il est là, devant la porte, pour l’aider à porter les bûches qui alimenteront le…

Les contes défaits, par Oscar Lalo, éditions Belfond
CRITIQUE , ROMAN / 24 septembre 2017

Comment parler de ce livre sans l’abîmer, sans le trahir, sans être décalé? Pour son premier roman, Oscar Lalo saisit à pleines mains l’un des sujets les plus complexes, les plus sensibles qui soient. Comment dire l’indicible? A soixante-cinq ans, son personnage raconte enfin ce qui lui est arrivé dans ce home d’enfants dans lequel il a passé toutes ses vacances scolaires. Vacances parfaites aux yeux des parents rassurés par le dépliant publicitaire, avec son jus d’orange, ses croissants et son gentil chien. Vacances de l’horreur pour les enfants, dès la montée dans le train, puis au home, entre une directrice dictatoriale et son mari, l’homme d’enfants, l’abuseur, celui qui ne sera plus leur ami s’ils parlent. Pourtant, le narrateur avouera son adoration de ce lieu où on lui a volé son enfance et, partant, tout le reste de sa vie. Parce que lorsqu’on a deux ans et demi, puis quelques années de plus, on est persuadé que tout est notre faute, qu’on est entièrement responsable de ce qui nous arrive. Toute une vie foutue en l’air, à briser les élans de ceux qui vous aiment, à ne jamais rester inoccupé, de peur de penser. Même la méditation se limite…

La zone des murmures, par Natacha Nisic, Tohubohu éditions
CRITIQUE , ROMAN / 17 septembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] C’est à un voyage que nous convie Natacha Nisic. Un voyage dans les Alpes de Haute-Provence, dans le passé et dans les traumatismes de l’enfance. Franck décroche un poste dans une agence Web. Surpris par l’aspect vieillot des locaux et par l’accumulation de paperasse dans tous les coins, il s’installe pourtant au sous-sol avec ses nouveaux collègues: Lu, le développeur chinois, Othy, l’expert SEO marocain et la séduisante Lise, en charge des RS. On se parle peu au sein de l’agence, mais on travaille beaucoup sous les ordres de l’Autre, surnom du patron, véritable Big Brother qui scrute la vie professionnelle et intime de ses employés. Projet majeur de l’agence: la mémoire inversée. Un logiciel qui doit permettre de maintenir en vie virtuelle ces chers disparus. «La Web Agency était une vaste entreprise de spiritisme.» La pression est forte à l’agence. Les heures supplémentaires ne se comptent pas et ne sont naturellement pas rémunérées. Lise et Franck, qu’elle appelle désormais Frankie, décident de passer un week-end déconnecté dans les Alpes de Haute-Provence. Pas de téléphone, pas d’ordinateur, pas de GPS. De toute façon, ils seront en zone blanche. Deux narrateurs pour ce roman original. Lise nous détaille…

Le vertige des falaises, par Gilles Paris, éditions Plon
CRITIQUE , ROMAN / 24 juillet 2017

Avec Le vertiges des falaises, Gilles Paris nous offre un roman impressionniste, peint touche par touche, voix après voix. Car il s’agit bien d’un roman choral. Et ce sont essentiellement les voix de femmes qui se font entendre, en particulier celles qui habitent Glass, la maison de verre et d’acier bâtie sur l’Ile par Aristide, architecte hors norme et grand-père de Marnie. Marnie  a quatorze ans, Marnie a cent ans. Elle sait des choses, parce qu’elle écroute aux portes et observe par le trou des serrures de cette maison tellement grande qu’elle en ignore le nombre de pièces. Celle que l’on surnomme la bâtarde connaît donc tous les secrets de Glass. Elle sait qu’Aristide bat Olivia, sa grand-mère qui règne sur l’Ile avec prestance, dignité et fermeté. Car il faut éviter les scandales, à coup de chèques si nécessaire. Scandales provoqués par Luc, son fils, le père de Marnie, joueur invétéré, coureur de jupons et amateur de bolides. Victime de la violence extrême de son mari, Olivia est une solitaire dont le secret n’est connu, croit-elle que de Prudence, la gouvernante, Côme, son confesseur, et Géraud, le médecin qu’elle connaît depuis l’enfance et dont elle a toujours repoussé les timides…

L’été des charognes, par Simon Johannin, éditions Allia
CRITIQUE , ROMAN / 25 juin 2017

Simon Johannin n’a que vingt-trois ans. Avec L’été des charognes, il signe un premier roman coup de poing qui laisse le lecteur ko. Tout commence par une scène de lapidation d’un chien. L’été des charognes porte bien son nom et les cadavres de chiens, de chats, de poules, de moutons et autres chevaux ne manquent pas. Il ne faut pas avoir mangé trop gras ou trop lourd avant d’attaquer la lecture de ce roman fulgurant. Le narrateur est un môme qui grandit dans un hameau du Tarn. Pas d’Internet et pas de portable, on s’occupe en se jetant des cailloux à la gueule ou en déterrant des os de cadavres d’animaux. On apprend aussi à boire très vite, et beaucoup. Au hameau, ce sont les mômes qui conduisent les voitures quand leurs parents sont trop bourrés pour le faire A la campagne, la vie est dure, la communication minimalistes et les roustes et les mandales font office d’éducation. Pas de misérabilisme ni de pleurnicherie pourtant dans l’écriture ciselée de Simon Johannin. Les cent quarante pages menées avec brio nous font passer de la prime enfance à l’école. Là, les mômes du hameau sont confrontés à ceux des gros villages de…

De l’enfance éperdue, par Pierre Voélin, éditions Fata Morgana
CRITIQUE , POESIE , ROMAN / 4 juin 2017

Belle plongée dans une enfance rurale et proche de la nature. Dans une langue magnifique, Pierre Voélin livre un portrait impressionniste et saisissant. Le lecteur s’imprègne de senteurs, de couleurs, d’humidité et de vent. A la limite entre enfance éperdue et enfance perdue – la vie à la campagne exige de grandir vite – ce beau livre flirte avec les époques. Est-il d’aujourd’hui, d’hier ou d’avant-hier? Peu importe, tout prend ici une dimension universelle et s’adresse à la part d’enfance qui subsiste en chacun de nous. De l’enfance éperdue, par Pierre Voélin, éditions Fata Morgana, 2017, 88 pages

Plus tard, je serai un enfant, par Eric-Emmanuel Schmitt, entretiens avec Catherine Lalanne, Bayard éditions
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ENTRETIENS / 28 février 2017

Excellente idée que cette collection L’Atelier de l‘enfance publiée par Bayard Editions. De quoi s’agit-il ? Tenter de découvrir dans quel jardin pousse l’herbe d’un artiste. Eric-Emmanuel Schmitt répond aux questions de Catherine Lalanne, rédactrice en chef à l’hebdomadaire Pèlerin et directrice de la collection. Le romancier et dramaturge nous apprend dans la préface, qu’il na pas eu la même enfance toute sa vie et que ce volume nous donne à découvrir l’enfance de ses 50 ans. Et de conclure cette mise en bouche en nous révélant qu’aujourd’hui, il est devenu son propre enfant. Premier constat, Eric-Emmanuel Schmitt et Catherine Lalanne se connaissent bien et se font confiance. Au point que l’écrivain a confié à la directrice de collection quelques photos tirées directement de l’album de famille. Elles figurent en fin d’ouvrage. Le lecteur commence son voyage au pays de l’enfance d’Eric-Emmanuel Schmitt sur un balcon. Celui de l’appartement que ses parents habitent à Lyon et qui permet au bambin de prendre de la hauteur en embrassant le monde du regard. Il découvre aussi, ce lecteur, l’importance d’un grand-père capable de saupoudrer la vie de paillettes d’or. Très vite, le jeune Eric-Emmanuel est un lecteur insatiable. Il apprend quasiment à lire…