La terre tremblante, par Marie-Jeanne Urech, Hélice Hélas éditeur
CRITIQUE , ROMAN / 7 août 2018

La terre tremblante est un conte, une fable. Bartholomé de Ménibus quitte son petit village après l’enterrement de son père. Il veut savoir ce qu’il y a derrière la montagne. Il commence l’escalade encore vêtu de son costume de dimanchedeuil. Bartholomé découvre que derrière la montagne, il y a une autre montagne, puis une autre encore. Il parviendra pourtant à la mer. Derrière chaque verticalité, un monde nouveau: celui des vaches-hublot, celui des cimetières de déchets nucléaires, celui des champs de cheveux, celui de l’élevage de porcs à la verticale, d’autres encore. Au cours de son périple, Bartholomé exercera toutes sortes de métiers dont celui de nettoyeurs de déchets de satellites dans l’espace. Au village, on l’appelle l’ange boiteux en raison de sa claudication. Bartholomé n’a jamais répondu à son amour. Mais elle part pourtant sur ses traces, avec sa luge et ses livres. Dans une double narration savamment construite, Marie-Jeanne Urech nous raconte une histoire d’amour tout en pointant du doigt les travers d’un monde globalisé. Derrière chaque montagne, une société tente de survivre. L’occasion pour l’auteure de porter un regard critique et écologique sur la modeste condition humaine. Le voyage de Bartholomé s’achève sur un continent de déchets,…

Puisque tout passe, par Claire Chazal, éditions Grasset
AUTOBIOGRAPHIE , CHRONIQUES , CRITIQUE / 30 juillet 2018

Après avoir présenté durant vingt-quatre ans les journaux du week-end sur TF1, Claire Chazal est brutalement écartée de l’antenne en 2015. «Sale année 2015, qui aura vu la mort de ma mère, le départ de mon fils du nid que nous occupions tous les deux, et l’arrêt de ma carrière. Tout ça est dans l’ordre des choses, peut-être, mais je ne m’y résous pas.» Trois ans plus tard, Claire Chazal publie Puisque tout passe. Ces fragments de vie, de courts chapitres qui tissent une toile impressionniste de la journaliste et de la femme, jettent un éclairage étonnant sur le personnage public. Le lecteur découvre effectivement une femme inquiète, fragile, parfois mélancolique, souvent solitaire. Malgré la pudeur des propos, les blessures sont perceptibles, compréhensibles, les blessures amoureuses en particulier. Claire Chazal s’interroge beaucoup, sur son métier, sur sa vie, sur le temps qui passe et qui l’effraye, sur la mort (celles de son père et de sa mère, mais sur la sienne propre aussi, qui laissera son fils François orphelin). L’auteur revient aussi sur son enfance, ses amies (dont l’une est une presque sœur), ses parents issus de milieu modeste et devenus enseignants tous les deux à force de détermination. Claire…

Affaires privées, par Marie Laberge, éditions Québec Amérique
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 27 juillet 2018

Avec Affaires privées, Marie Laberge renoue avec les deux attachants personnages de Sans rien ni personne (2007) et Mauvaise foi (2013). Vicky Barbeau travaille à l’escouade des crimes non résolus de la Sûreté du Québec, sous les ordres de Rémy Brisson. Son collègue français Patrice Durand travaille Quai des Orfèvres, à Paris. Ils vont être plongés tous les deux dans une enquête qui n’en est pas une, ponctuée de potentiels conflits d’intérêt. Isabelle Gosselin, ancien amour de Rémy Brisson, lui demande d’enquêter sur la mort de sa fille, Ariel, même si le rapport du légiste ne laisse aucun doute, la jeune fille de quinze ans s’est suicidée. Vicky quitte Montréal pour Québec et se rend dans la prestigieuse école privée dirigée par Jacynthe Pouliot. Très vite, Vicky découvre qu’un autre suicide a eu lieu dans le même établissement scolaire, trente-deux mois plus tôt. Andreane Sirois, douze ans, s’est jetée du toit de l’école. Après avoir interrogé quelques élèves et les professeurs, Vicky découvre l’incompétence de Nathalie Dubuc, une ergothérapeute qui officie comme psychologue scolaire. Elle s’aperçoit également que la cause des suicides des deux adolescentes est à cherche du côté du groupe théâtral. Un atelier dirigé successivement par Ginette Soucy,…

Fille du silence, par Carole Declercq, éditions Terra Nova
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 29 juin 2018

Rita Atria est née en Sicile, dans une famille mafieuse. Petite fille heureuse, elle grandit entre un père aimant, une mère sévère et silencieuse et un frère complice. Dans son dernier roman, Fille du silence, Carole Declercq s’est emparée du destin tragique de cette enfant devenue presque femme. Rita Atria est devenue Rina Abadia pour une fiction très proche de la réalité. Dans les remerciements de fin de volume, l’auteur rend d’ailleurs hommage à Petra Reski, dont le biographie de Rita Atria a été son fil d’Ariane. Carole Declercq a voulu donne le «contre-chant psychologique» à cette biographie. Et elle y parvient parfaitement. Si les noms de lieux et de personnes ont presque tous été modifiés, l’histoire racontée n’en reste pas moins tristement réelle. Le roman nous permet donc de suivre l’enfance de Rina, de comprendre comment Cosa Nostra imprègne le quotidien des familles siciliennes. La mafia n’est pas un vêtement dont on peut se débarrasser, c’est une peau qu’il faut arracher. Le père de Rina est le «parrain» du village. Il est respecté et sa parole à valeur de loi. Jusqu’au jour où il est assassiné dans son champ. Qui l’a tué? Probablement quelqu’un qu’il connaissait bien, un de…

La vie princière, par Marc Pautrel, éditions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 14 juin 2018

Un séminaire dans une vaste et riche propriété. Chaque participant est logé dans une maison individuelle et, chaque soir, un dîner rassemble les invités. C’est là que le narrateur rencontre L***, une belle et volubile Italienne. «C’était imprévisible, au début je n’étais pas attiré par toi, puis je me suis senti comme collé, comme tissé à toi […]». Le narrateur écrit à celle qui a déjà quitté le domaine et à qui il n’est pas parvenu à déclarer sa flamme. Il lui fait part, dans le détail, des sentiments et des émotions qui l’ont traversé lors de leurs dîners (elle était toujours assise à côté de lui) et de leurs promenades. Comment tombe-t-on amoureux? C’est sans doute un mystère propre à chacun. Mais en soixante-sept pages, Marc Pautrel nous en livre un des possibles agencements. Il nous fait ressentir, avec beaucoup de finesse, la montée en puissance de l’amour naissant. L’état amoureux s’installe, dissout la gêne, ouvre le champ des possibles, délie les langues et les gestes. Roman parfaitement contemporain (on y reçoit des appels de ses parents sur un téléphone portable), La vie princière provoque cependant chez le lecteur la sensation d’être projeté hors du temps. Le somptueux décor…

De purs hommes, par Mohamed Mbougar Sarr, éditions Philippe Rey et éditions Jimsaan
CRITIQUE , ROMAN / 12 juin 2018

Ndéné Gueye est professeur de lettres à Dakar. L’enthousiasme de ses premières années d’enseignement a laissé place à la résignation. Les étudiants subissent sans intérêt les cours qu’il donne sans plus de passion. «Je me suis souvent interrogé si l’enseignement actuel des lettres étrangères, françaises en particulier, dans nos universités était une bonne idée.» Le belle Rama et sa mystérieuse mais intouchable chevelure sont pour Ndéné un réconfort comme un refuge de plaisir. C’est Rama qui lui montre une vidéo devenue virale à Dakar. Elle montre l’exhumation du cadavre d’un homme jeté hors du cimetière musulman par une foule en furie. La réaction primaire et première de Ndéné est celle de la très grande majorité des musulmans pratiquants de sa communauté: il ne s’agit finalement que d’un góor-jigéen, un homme-femme, c’est-à-dire un homosexuel. Ndéné donne un cours sur la poésie de Verlaine, sans savoir que l’Académie a tout récemment déconseillé avec vigueur de donner en exemple des écrivains aux mœurs contraires à la morale. Les étudiants se rebiffent et accusent Ndéné de faire de la propagande gay. «Il [Verlaine] fait partie de la grande propagande européenne pour introduire l’homosexualité chez nous» argumentent-ils. Ndéné vit de plus en plus mal l’homophobie…

Les mots de la tribu, par Nicolas Tavaglione, éditions Labor et Fides
CRITIQUE , PHILOSOPHIE / 11 juin 2018

A l’heure où les éléments de langage ont pris le pas sur les éléments de pensée dans le discours public, Nicolas Tavaglione fait œuvre de salubrité en publiant Les mots de la tribu, son abécédaire philosophique. Il emprunte son titre à un poème de Stéphane Mallarmé: «Donner un sens plus pur aux mots de la tribu». Et il est vrai que l’auteur débarrasse nombre de mots de leurs scories. Amour est une belle entrée en matière. En bon philosophe, Nicolas Tavaglione s’interroge sur ce qu’est l’amour. Et se fondant sur la philosophie contemporaine, il en esquisse trois théories. Le lecteur pourra se reconnaître dans chacune d’elle. Et c’est là que ce livre utile atteint son but. Utile? Qu’est-ce qui est utile? Nicolas Tavaglione se penche également sur la question en nous exposant la science chiffrée du choix. Et pose la question du prix d’une vie humaine. Mais faut-il traiter l’être humain comme une marchandise? Le calcul se heurte à la morale et la conclusion de l’auteur nous enchante: «Nous terminons donc le voyage avec ce conseil de prudence: les mots, comme notre foie, doivent faire l’objet de tous nos soins.» Les mots de la tribu nous offre cinquante-cinq notules. Certaines…

Les mystères de l’eau, par Blaise Hofmann (texte) et Rémi Farnos (illustrations), éditions La Joie de Lire
JEUNESSE / 10 juin 2018

«La connaissance est un bien commun». «Il faut absolument apprendre à voir loin». «Comprendre pour ne plus avoir peur». Ces trois phrases figurent dans la lettre que le professeur Dubrochet adresse à la jeune Naïa aux dernières pages du splendide ouvrage de Blaise Hofmann illustré par Rémi Farnos, Les mystères de l’eau. Un livre qui prolonge Les mystères de l’Unil (Université de Lausanne), dont les journées grand public ont eu lieu les 2 et 3 juin derniers. Naïa, douze ans, doit préparer un exposé sur l’eau. Après avoir vu à la télévision le tout récent prix Nobel de chimie, le professeur Dubrochet, elle décide de suivre les rives du lac et le conseil du scientifique: aller à contre-courant! Elle décide donc de remonter sa petite rivière, La Chamberonne. Chemin faisant, elle croise d’éminents professeurs: Veinard pour la géographie, Roulis pour la biologie, Brumaire pour la théologie, Négevand pour la philosophie et, enfin, Gouttera pour la psychologie sociale. Car oui, toutes ces disciplines ont un rapport étroit avec l’eau. Blaise Hofman donne à comprendre des éléments complexes dans un langage simple, mais jamais simpliste. Le livre est celui de la rencontre d’un écrivain avec des scientifiques. Un écrivain qui a su…

200 mètres nage libre, par Pauline Desnuelles, éditions Emmanuelle Collas
CRITIQUE , ROMAN / 7 juin 2018

Liam est irlandais. C’est au Cap-Vert qu’il a choisi de se réfugier pour soigner un chagrin d’amour et pour donner libre cours à sa passion, le kitesurf. Autour du caisson dans lequel est rangé le matériel nécessaire aux cours donnés sur la plage, José s’affaire à préparer les voiles et Tina accueille les enfants venus apprendre à nager. Paradoxalement, la plupart des îliens ne savent pas nager et l’altruiste Irlandais s’est donné pour mission d’initier les plus jeunes, de leur apprendre à dompter la peur de cet océan pourtant nourricier. Elea, ravissante adolescente, presque femme déjà, est devenue une nageuse aguerrie. Mais le jours de la compétition organisée par Liam et sa bande, elle manque à l’appel. Très vite, l’inquiétude fait place au doute. Elea s’est-elle noyée? Les autochtones ne regardent plus Liam de la même manière. Et si les reproches ne sont pas directement formulés, les coups mettent les points sur les i. Dans ce court roman, Pauline Desnuelles organise sa narration en touches nuancées. La langue est technique lorsqu’il s’agit de nous faire comprendre le kitesurf, elle devient empathique pour dire le Cap-Vert, sa beauté et sa misère, elle se fait langoureuse lorsque Liam cède aux charmes de…

Fake News lémaniques, par Antoine Exchaquet, Tcho Berthe éditions

Quand ton ancien patron publie un roman pamphlétaire consacré à ton milieu professionnel, forcément, tu te jettes dessus. J’y suis donc allé de mes 27,50 francs suisses. Le roman d’Antoine Exchaquet nous narre les tribulations d’une journaliste pigiste, «libre» comme on dit dans le métier. Liberté toute relative, les temps sont durs. La plume d’Antoine Exchaquet est vive, parfois mordante. L’auteur passe au crible de la «newsroom» (comme on dit en bon français) l’actualité très récente, de la présence de Donald Trump à Davos à l’initiative No Billag, en passant, c’est le centre du propos, par les restructurations qui frappent les titres de la presse romande et suisse. Si on rit beaucoup en lisant les pages d’Antoine Exchaquet, les journalistes qui prendront la peine de les lire riront plutôt jaune. Car leur métier (notre métier) est en péril, voire en voie de disparition. Si le regard est critique, il n’est jamais amer, ni désabusé, encore moins cynique. Fake News lémaniques démontre que le journalisme, à l’instar de nombreux autres métiers, est en pleine mutation. Que les journalistes ont beaucoup de peine à prendre le recul nécessaire pour analyser leur propre situation. Qu’il n’y a (presque) plus d’éditeurs romands. Pollués par…