[RENTREE AUTOMNE 2018] Ils sont trois, trois qui ont grandi dans le quartier de Molenbeek, cette commune de Bruxelles qui a fait les gros titres de la presse après les attentats de 2015. Il y a Rayan, Driss et Khalil. «Rayan, Driss et moi avions appris à tenir sur nos pattes sous le même toit et nous nous étions cassé la figure sur le même carrelage. Ma mère nous avait élevés comme des triplés. A trois ans, Rayan fut confié à une crèche, Driss et moi restâmes à la maison.» Rayan est celui qui a réussi, sa mère y a veillé, consacrant sa vie à son fils. Sans jugement sur le comportement des uns et des autres, Yasmina Khadra laisse entendre que l’éducation joue un rôle prépondérant dans l’évolution des jeunes hommes. De la place qu’ils occuperont dans la société dépendra le respect qu’on leur témoignera. Rayan est celui qui a réussi. Il occupe un emploi d’ingénieur en informatique dans une société de management. Driss a rapidement décroché et, lorsqu’il doit refaire sa seconde, Khalil lui emboîte le pas et brûle son cartable une bonne fois pour toutes. C’est Lyès qui change le destin de Khalil: «Il m’avait éveillé aux…
On avait déjà beaucoup aimé Plus tard je serai un enfant, le livre d’entretiens de Catherine Lalanne avec Eric-Emmanuel Schmitt. La collection L’Atelier de l’enfance, chez Bayard, s’étoffe avec Le baiser et la morsure, entretiens de la toujours subtile et attentive Catherine Lalanne avec Yasmina Khadra. «J‘ai cessé d’être un enfant à l’instant où j’ai franchi le portail de la caserne.» L’aveu de l’auteur de Ce que le jour doit à la nuit est sans équivoque. Il a 9 ans lorsque son père l’emmène à l’hôpital militaire pour une visite médicale. Une semaine plus tard, il entre à la caserne pour devenir un cadet de la révolution. Mohammed Moulessehoul est issu d’une tribu de poètes, les Doui Menia, une lignée de pionniers qui s’est implantée dans la Saoura, au nord-ouest du Sahara algérien, au 13è siècle. L’écrivain raconte à Catherine Lalanne la grandeur, puis la chute de cette tribu face à l’armée française, en 1903. Mohammed Moulessehoul passe trente-six années de sa vie dans les rangs de l’armée algérienne. Il rêvait pourtant de devenir poète en lange arabe, comme son grand-père. C’est la lecture de L’Etranger, d’Albert Camus, proposée par son professeur Yvon Davis, qui va tout changer: «je ne…
Dans Plus tard je serai un enfant, son livre d’entretien avec Catherine Lalanne, Eric-Emmanuel Schmitt avoue: «Si Méphistophélès, le ministre de Satan, apparaissait et me proposait d’effacer tout ce que j’ai déjà écrit pour devenir l’auteur d’un air de Mozart ou d’un prélude de Chopin, je lui dirais «oui» aussitôt». L’auteur confirme cette confidence dans son récit autobiographique, Madame Pylinska et le secret de Chopin. D’abord réfractaire au piano familial, un Schiedmayer droit et plutôt massif, le jeune Eric-Emmanuel Schmitt lui trouve toutes les grâces après que sa tante Aimée en fasse surgir «l’efflorescence d’un univers parallèle, l’épiphanie d’une manière d’exister différente». Grâce à Chopin, évidemment! Pas étonnant dès lors que ce récit s’inscrive dans Le Cycle de l’invisible, à la suite de Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame rose, L’Enfant de Noé, Le Sumo qui ne pouvait pas grossir et Les dix enfants que Madame Ming n’a jamais eus. Car il ne s’agit pas seulement de percer le secret de Chopin («Il y a des secrets qu’il ne faut pas percer mais fréquenter: leur compagnie vous rend meilleur»), il s’agit aussi et surtout de comprendre la vie. Pour apprivoiser Chopin, Eric-Emmanuel Schmitt fait…
[RENTREE AUTOMNE 2018] Sous les branches de l’udala est le premier roman de Chinelo Okparanta. Et déjà, l’auteure nigériane fait montre d’une absolue maîtrise. Son roman est une réaction à la loi signée le 7 janvier 2014 par le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, loi qui criminalise les relations entre personnes de même sexe, les exposant à des peines de prison pouvant aller jusqu’à quatorze ans. La sanction est pire encore dans les états du nord: lapidation pure et simple. Chinelo Okparanta nous raconte donc l’histoire d’Ijeoma. Histoire qui commence en 1968, en pleine guerre du Biafra. Le père d’Ijeoma renonce à gagner le bunker sensé le protéger des bombardements. Il y laisse la vie. Son épouse doit alors survivre et, pour y parvenir, elle place sa fille chez le professeur Ejiofor. C’est là qu’Ijeoma rencontre Amina, une enfant de son âge, sauvage et solitaire, que le professeur accepte d’héberger également, malgré son appartenance à une autre ethnie. Entre les deux jeunes filles naît une complicité qui se transforme vite en amour. Mais un jour, Ijeoma et Amina sont surprises en plein ébat amoureux. Dans le deuxième pays le plus religieux du monde, la reprise en main maternelle se fera…
[RENTREE AUTOMNE 2018] Johanna rêve de gloire. Avec son amie Jennifer, de trois ans son aînée, elle s’inscrit à l’émission Graine de stars, Jennifer n’est pas retenue, mais Johanna interprète Dieu m’a donné la foi d’Ophélie Winter, lors de l’audition régionale. Là aussi, c’est l’échec. Mais une photo de son dossier de candidature, celle où elle se trouve sur les genoux de son père Didier, lui vaut, quelques années plus tard, un coup de fil de Thibault Stolz, producteur TV. Il souhaite que Johanna participe à une nouvelle émission de téléréalité importée des Etats-Unis: Big Brother. Après une véritable incarcération dans un hôtel parisien de grand luxe, la jeune provinciale est propulsée dans un loft avec les autres candidats. Parmi eux, Edouard, fils de famille bourgeoise et grand cinéphile, fan de comédies romantiques. Entre eux naît une histoire d’amour qui se prolongera au-delà de l’émission de téléréalité et malgré la célébrité. Jusqu’à un certain point. Même si elle n’a pas gagné Big Brother, Johanna se voir proposer un poste de chroniqueuse dans une nouvelle émission. Mais elle doit maigrir et devient anorexique. Elle est aussi contactée par Les Enfoirés pour effectuer une longue tournée à travers la France, tournée au…
[RENTREE AUTOMNE 2018] Le 8 mai 1902, jeudi de l’Ascension, il aura fallu Quatre-vingt-dix secondes à la nuée ardente pour prendre 30 000 vies. La nuée ardente, c’est cette éruption volcanique qui a littéralement rayé Saint-Pierre de la carte de la Martinique. Daniel Picouly raconte cette matinée du point de vue de la montagne Pelée. C’est elle qui parle, qui prépare son grand Boum! pour huit heures, mais qui ne saura le retenir au-delà de 7h52. Des pâles aurores à l’heure du drame, la montagne Pelée observe donc la vie des habitants. Malgré les premiers signes donnés par le volcan, ils n’ont pas quitté l’île, attendant le deuxième tour des élections législatives: «Clerc vote pour l’évacuation, car Clerc va perdre les élections dimanche prochain. Il le sait et veut faire reporter le deuxième tour. C’est de bonne guerre, mais de mauvaise politique.» Ils sont nombreux à minimiser le danger et Daniel Picouly est allé les chercher dans l’histoire martiniquaise: le maire, Rodolphe Fouché, le gouverneur Louis Mouttet, surtout connu pour avoir été le geôlier de Dreyfus en Guyane, Marius Hurard, le directeur du journal Les Colonies, ou encore Eugène Guérin, propriétaire de la principale usine sucrière de l’île. «La famille…
[RENTREE AUTOMNE 2018] L’Amérique s’apprête à élire son nouveau président. Au Dakota, Joe Jenson travaille dans l’industrie pétrolière. Un secteur en plein développement grâce à «l’échappatoire Halliburton» orchestré par Dick Cheney, ancien vice-président de l’administration Bush, rendant possible l’extraction de pétrole par fracturation hydraulique, le fracking. Karen et Peter Wilson ont ainsi vu leur propriété agricole envahie par les puits de forage, leurs parents ayant cédé les droits d’exploitation du sous-sol à leurs voisins, les Caubet, au milieu des années cinquante et pour une bouchée de pain. Les Wislon commencent à perdre des bêtes, écrasées par les énormes camions de chantier à dix-huit roues pour la plupart, contaminés par l’eau souillée pour les autres. Le fracking fait exploser les entrailles de la terre, à mille mètres de profondeur, et injecte quantité de produits nocifs, mêlés à l’eau et au sable sous pression, selon une recette aussi secrète que celle «du Coca-Cola et de la sauce Big Mac». La terre tremble à la fin de l’excellent roman de François Roux, et des fissures apparaissent à la surface du sol. Des fissures qui vont aussi se produire dans les vies, jusqu’ici bien tranquilles, des protagonistes. Dans celle de Joe Jenson d’abord, dont…
David Foenkinos renoue avec le monde de la peinture pour son très beau roman, Vers la beauté. On y croise d’ailleurs Charlotte Salomon, sujet de son roman paru en 2014. Antoine Duris est professeur d’histoire de l’art aux Beaux-Arts de Lyon. Mais il décide de démissionner et se fait engager comme gardien au Musée d’Orsay où une rétrospective Modigliani s’ouvre justement. Ca tombe bien, Antoine a consacré sa thèse au peintre. A Paris, le nouveau gardien évite autant que faire se peut toute forme de socialisation. Il vit dans le souvenir de l’amour de Louise et dans un spleen dont le lecteur ne connaîtra la raison qu’en toute fin de roman. Dans l’exercice de sa nouvelle fonction, Antoine ne peut s’empêcher de compléter les commentaires du guide qui conduit les groupes à travers le musée. Sa première intervention lui vaut une remontrance de la pourtant bienveillante Mathilde, directrice des ressources humaines. La seconde incartade sera fatale. Mathilde, qui n’est pas insensible à la personnalité très réservée et un peu rêveuse d’Antoine, le ramène à Lyon. En arrivant dans sa ville, Antoine conduit Mathilde dans un cimetière, sur la tombe de Camille Perrotin, morte à l’âge de 18 ans. C’est dans…
La revue Les moments littéraires a pris la peine de m’informer de la parution d’un numéro prometteur à l’occasion de son 20è anniversaire. Je vous livre ici l’intégralité du message. FEUILLES D’AUTOMNE : Journal du 23 au 29 octobre 2017 Pour fêter ses vingt ans, la revue Les Moments Littéraires a choisi de mettre le journal intime à l’honneur. En mars 2017, la revue a proposé à des écrivains de publier les pages de leur journal intime, qu’ils tiendraient entre le 23 et le 29 octobre 2017 ; la même semaine pour tous fut la seule contrainte. Parmi les écrivains qui ont répondu à notre demande, certains tiennent régulièrement leur journal intime, d’autres se sont prêtés à cet exercice à l’occasion de ce projet. Après Lire les journaux intimes, un texte introductif de Michel Braud, le n°40 vous propose les pages de vingt-cinq journaux intimes. Etude de soi, regard sur les autres, carnet de voyage, actualité, ressouvenir, réflexion sur le journal intime, indignation, douleur ou joie… chaque écrivain a ses préoccupations, chaque journal son style. Au final ce projet aboutit à un numéro témoin de la richesse et de la diversité du journal intime. Les écrivains au sommaire du n°40…
[RENTREE AUTOMNE 2018] 1937. Alberto Giacometti est profondément blessé par une phrase de Jean-Paul Sartre, jeune philosophe en passe de publier son premier roman. Cette phrase lui a été répétée par Isabel, son amoureuse avec qui il s’apprête à rompre au moment ou une voiture américaine, conduite par une Américaine, lui fonce dessus. «Il lui est ENFIN arrivé quelque chose» commente Sartre. Furieux, Giacometti décide de casser la gueule à l’écrivain. Tout le très beau roman de Jérôme Attal s’articule autour de ce désir de vengeance. Le sculpteur piste Sartre, le manque sans cesse, mais rencontre des femmes. Séducteur dans l’âme, Giacometti courtise les infirmière de l’hôpital, en particulier celle qui ressemble à Bianca rencontrée à Maloja lors de vacances d’été. Elle avait seize ans. Et puis il y a Julia, que Giacometti sauve de la bastonnade administrée par un groupe de nazillons. La belle et mystérieuse Julia, toujours en instance de départ pour l’Amérique. A partir du désir de vengeance de Giacometti, Jérôme Attal trace une image précise, fine et perspicace du Paris de la fin des années trente. Il jette sa lumière sur un Giacometti très créatif, mais pas encore reconnu, soutenu par son frère Diego. Le jeune…