Ndéné Gueye est professeur de lettres à Dakar. L’enthousiasme de ses premières années d’enseignement a laissé place à la résignation. Les étudiants subissent sans intérêt les cours qu’il donne sans plus de passion. «Je me suis souvent interrogé si l’enseignement actuel des lettres étrangères, françaises en particulier, dans nos universités était une bonne idée.»
Le belle Rama et sa mystérieuse mais intouchable chevelure sont pour Ndéné un réconfort comme un refuge de plaisir. C’est Rama qui lui montre une vidéo devenue virale à Dakar. Elle montre l’exhumation du cadavre d’un homme jeté hors du cimetière musulman par une foule en furie.
La réaction primaire et première de Ndéné est celle de la très grande majorité des musulmans pratiquants de sa communauté: il ne s’agit finalement que d’un góor-jigéen, un homme-femme, c’est-à-dire un homosexuel.
Ndéné donne un cours sur la poésie de Verlaine, sans savoir que l’Académie a tout récemment déconseillé avec vigueur de donner en exemple des écrivains aux mœurs contraires à la morale. Les étudiants se rebiffent et accusent Ndéné de faire de la propagande gay. «Il [Verlaine] fait partie de la grande propagande européenne pour introduire l’homosexualité chez nous» argumentent-ils.
Ndéné vit de plus en plus mal l’homophobie ambiante, prend la défense de Verlaine et ressens l’irrépressible besoin de savoir qui était l’homme dont la vidéo virale montre le cadavre. Amadou, ce jeune homme s’appelait Amadou. Et Ndéné décide d’accompagner, en silence, la douleur de la mère du disparu. Alors, bien sûr, la rumeur croit. «Qu’est-ce au juste que la rumeur? L’illusion d’un secret collectif.»
Ndéné ne peut plus reculer. Alors il avance. «J’étais allé trop loin dans l’ombre et la solitude. Il était plus facile pour moi de m’y enfoncer que de rebrousser chemin.» Ndéné franchit les cinq pas qui le séparent définitivement de sa famille. Tout comme il va jusqu’au bout du couloir final, celui avec lequel s’achève le roman, en toute lucidité.
Prix Kourouma avec son premier roman, Terre ceinte, Mohamed Mbougar Sarr livre avec De purs hommes une œuvre de très haute tenue. La langue y est chatoyante, la construction subtile, l’analyse profonde. Le roman ne se contente pas de briser un tabou, ni de dénoncer l’homophobie. Il explore en profondeur et sous un éclairage sociologiquement cru le pouvoir des croyances, la lâcheté collective («On ne peut rien cacher à l’inquisition sociale»), l’humanité par la violence, la rumeur, le courage d’être soi. Ce roman dénonce la bêtise humaine, la lâcheté individuelle et l’aveuglement collectif. «Ce sont de purs hommes parce que à n’importe quel moment la bêtise humaine peut les tuer, les soumettre à la violence en s’abritant sous un des nombreux masques dévoyés qu’elle utilise pour s’exprimer, selon l’origine, la classe sociale, la richesse, la religion.»
Un roman magistral de l’Afrique contemporaine.
De purs hommes, par Mohamed Mbougar Sarr, éditions Philippe Rey et éditions Jimsaan, 2018, 190 pages
Un commentaire
Sous les branches de l’udala, par Chinelo Okparanta, éditions Belfond – Voix de Plumes