Rita Atria est née en Sicile, dans une famille mafieuse. Petite fille heureuse, elle grandit entre un père aimant, une mère sévère et silencieuse et un frère complice. Dans son dernier roman, Fille du silence, Carole Declercq s’est emparée du destin tragique de cette enfant devenue presque femme. Rita Atria est devenue Rina Abadia pour une fiction très proche de la réalité. Dans les remerciements de fin de volume, l’auteur rend d’ailleurs hommage à Petra Reski, dont le biographie de Rita Atria a été son fil d’Ariane. Carole Declercq a voulu donne le «contre-chant psychologique» à cette biographie. Et elle y parvient parfaitement.
Si les noms de lieux et de personnes ont presque tous été modifiés, l’histoire racontée n’en reste pas moins tristement réelle. Le roman nous permet donc de suivre l’enfance de Rina, de comprendre comment Cosa Nostra imprègne le quotidien des familles siciliennes. La mafia n’est pas un vêtement dont on peut se débarrasser, c’est une peau qu’il faut arracher.
Le père de Rina est le «parrain» du village. Il est respecté et sa parole à valeur de loi. Jusqu’au jour où il est assassiné dans son champ. Qui l’a tué? Probablement quelqu’un qu’il connaissait bien, un de ces familiers qui se retrouvent nombreux à l’église le jour des funérailles. Rina est anéantie, mais elle ne mesure pas encore tout le pouvoir de Cosa Nostra.
Nino, le frère aimé, le frère chéri de Rina décide de rejoindre la pieuvre. Son intention est de découvrir qui a tué son père. Nino épouse Iolanda, une jolie fille issue d’une famille sans attaches avec le milieu. Nino se confie à sa sœur, lui raconte ce qu’il fait pour la mafia, qui trempe dans les trafics, les magouilles, les meurtres et le racket. Rina note tout, scrupuleusement, dans son journal intime.
Nino, le beau Nino, est lui aussi éliminé. Iolanda, son épouse, décide de devenir témoin de justice, de dénoncer les agissements des acolytes de feu son époux. Rina lui emboîte le pas et se rend au tribunal de Trapani pour livrer le contenu des six cahiers qui constituent son journal. Elle est mineure, elle a seize ans et un courage sans limite. Mais le témoignage d’une mineure n’a juridiquement que peu de poids sans l’assentiment de ses parents. Or, le père de Rina est mort et sa mère ne veut rien savoir, fidèle aux traditions d’honneur de la pieuvre. Peu importe, Rina se confie, quitte sa famille et finit par gagner Rome sous une identité nouvelle. Elle partage sa vie clandestine avec Iolanda, sa belle-sœur. Elle croise à l’occasion le juge Paolo Borsellino qui supervise son témoignage. Il est un modèle pour Rina qui lui voue une réelle et profonde affection. La jeune femme s’inquiète pour son magistrat le jour ou le juge Giovanni Falcone, qu’elle a également rencontré, est assassiné. Paolo Borsellino sera lui aussi éliminé dans la foulée. Le monde de Rina bascule, tout comme son jeune corps de dix-sept ans par dessus la rambarde du balcon du septième étage.
Carole Declercq nous fait entrer avec talent dans les pensées et dans l’esprit de Rina. De le prise de conscience de l’adolescente à l’éclosion de la femme désormais témoin de justice protégé par des gardes du corps, le lecteur partage les joies, les peines, les craintes, les doutes et les interrogations de cette héroïne tragique. Au fil des pages, l’écriture se densifie, la tension monte. Jusqu’à la chute finale.
Un très beau roman qui aurait mérité mieux que la mièvre image de couverture qui ne traduit en rien les qualités indiscutables d’écriture et de narration de cette histoire bouleversante.
Fille du silence, par Carole Declercq, éditions Terra Nova, 2018, 248 pages.
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