Qu’est-ce que le populisme? Est-il possible de le théoriser? La réponse est indiscutablement oui une fois refermé le livre de Jan-Werner Müller, enseignant en théorie politique et en histoire des idées à l’Université de Princeton. Après avoir exposé le populisme en théorie dans la première partie de son ouvrage, et en partie dans la deuxième, l’auteur se penche sur la manière qu’ont les démocrates de se confronter au populisme. Et le constat est assez sévère. La tendance est à exclure les mouvements populistes, eux-mêmes excluants en vertu de leur spécificité: leur prétention a représenter le peuple, le vrai peuple, dans sa totalité. Ne pas être en accord avec les thèses des populistes exclu de facto de ce qu’ils appellent le vrai peuple. Dans le système politique participatif, les populistes ont beau jeu de critiquer les élites qui les empêchent d’accéder à un pouvoir auquel le vrai peuple leur donnerait droit s’il était entendu. Une fois arrivés au pouvoir, les populistes prétendent être empêchés d’agir par les puissances économiques, voire des puissances occultes. La théorie du complot n’est pas très loin. Il est important de préciser que la perception et la compréhension du populisme est très différents d’un continent à l’autre….
S’il paraît treize ans après Livret de famille, ce récit de Magyd Cherfi est chronologiquement antérieur. Il raconte l’année du bac de l’auteur. Il sera la premier à l’obtenir dans sa cité et l’épisode de la remontée de la rue Raphaël, le jour des résultats, est digne des meilleurs westerns. Pour obtenir ce bac, le jeune Magyd a dû faire face à de multiples pressions, souvent violentes. Celle de sa mère d’abord, qui n’a plus que le mot bac à la bouche. Les vannes de la bande ensuite. Avec ses potes, Samir le militant et Momo le beau parleur, Magyd est régulièrement traité de pédé parce qu’il lit, et se fait même casser la gueule, pour la même raison. Il y a la pression du désir adolescent, impossible à satisfaire dans une cité ou un poème adressé à une fille est sanctionné par une sévère correction, administrée sur le siège arrière d’une voiture par les frères et les cousins de la belle. Il y a aussi la pression des plus jeunes et des familles pour celui qui joue les grands frères, entre soutien scolaire aux petits et ambassade auprès des mères pour que leur filles puissent assister à l’atelier théâtre….
Azouz Begag est chercheur au CNRS, parolier de chansons, scénariste pour la télévision et il a enseigné aux Etats-Unis. De 2005 à 2007, il a aussi été ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances. Quelques clés qui permettent de bien comprendre son dernier roman, La voix de son maître. «Qui peut me dire comment l’exil vient aux errants». Cet extrait de la chanson Je Pars, de Nicolas Peyrac aurait parfaitement trouvé sa place dans le roman d’Azouz Begag, roman qui est par ailleurs truffé de chansons et de références musicales. Sauf que dans le cas de Samir Ajaar, cet exil est temporaire et qu’il pourrait bien mettre fin à l’errance. Ajaar qui se réfère régulièrement au Chien Blanc de Romain Gary. L’homonymie n’est forcément pas un hasard. Samir s’ennuie dans son couple, il déprime, se morfond, crise profonde de la quarantaine. Et c’est en entendant son frère Nabil chanter L’Amérique de Joe Dassin qu’il décide de partir. Grâce à Bill, un ancien camarade d’études américain, il dégotte un poste temporaire à UCLA. Entre les sautes d’humeur schizophréniques de Bill, son désir inassouvi de Jane, fortunée célibataire de Mulholand Drive, et une étudiante qu’il nomme Paris Hilton, Samir ne…
Martial Kermeur a balancé par dessus bord Antoine Lazenec, promoteur immobilier. Le corps a été retrouvé sur la plage. Kermeur a tué, la chose est certaine dès les premières pages du roman. C’est dans le bureau du juge que se déroule tout le livre. Kermeur raconte l’histoire de ce projet immobilier, cette providence pour la presqu’île de Brest. Un projet qui aura mis six ans à ne pas se construire à l’emplacement de ce que les autochtones appellent le château. Château qui lui, par contre, a été démoli. Le juge parle peu, très peu. Si bien que Kermeur se confie, s’ausculte, se sonde comme il le ferait sur le divan d’un psychanalyste. Ancien ouvrier de l’arsenal de Brest, Kermeur a investi les cinq cent douze mille francs de sa prime de licenciement dans le projet de Lazenec. Et c’est sous ses fenêtres que le projet n’avance pas. Militant socialiste, ami de Martial Le Goff, le maire, socialiste lui aussi, Kermeur raconte les six ans de son attente, de son espoir et de sa désillusion. L’âge de son fils, Erwan, lui sert de point de repère. Il a onze ans quand tout commence, il en a dix-sept et se trouve derrière…
1967. La fille de Staline fait défection. Avant d’être accueillie à New-York dans une effervescence comparable à celle provoquée par les Beatles trois ans auparavant, Svetlana transite par la Suisse avec pour seul viatique le manuscrit de sa première autobiographie. Un livre qui lui fera gagner des millions de dollars et dans lequel elle raconte sa vie au Kremlin. Une vie que Beata de Robien nous restitue dans le détail, du suicide de sa mère Nadia alors qu’elle n’a pas sept ans, à ses trois mariages en Russie, mariages dont sont nés deux enfants, Ossia et Katia. Elle les laissera derrière elle en fuyant vers l’ouest. C’est un voyage en Inde, où elle a été autorisée à se rendre pour rapatrier les cendres de sont amant/mari Brajesh Singh, qui lui donne l’occasion de quitter l’URSS, début mars 1967. Installée aux Etats-Unis, fortune faire grâce aux droits de sa première autobiographie, Svetlana mène une vie confortable, même si elle distribue généreusement sa fortune à des œuvres de bienfaisance. C’est son quatrième mari, Wesley Peters, qui la ruinera. Elle éponge ses dettes, finance les expériences agricoles de son fils et se place sous la coupe de la veuve de l’architecte Frank Lloyd…
Passionnant ouvrage écrit dans le prolongement de la série documentaire Jésus et l’islam diffusée par Arte. La grande majorité des lecteurs sera surprise de découvrir le rôle important joué par Jésus dans le Coran qui évoque notamment longuement la crucifixion. Jérôme Prieur et Gérard Mordillat font un travail d’analyse remarquable, démontrant comment le christianisme est né du judaïsme et comment l’islam est issu de ces deux Religions du Livre. La principale controverse entre musulmans et chrétiens à propos de Jésus réside dans la Sainte Trinité des chrétiens que les musulmans ne peuvent concevoir, Dieu étant Dieu et unique. Les noms de Mahomet et de Jésus, tous deux serviteurs de Dieu, figurent quasiment à égalité sur la grande fresque du Dôme du Rocher, érigé à Jérusalem à l’emplacement de l’ancien Temple de Salomon.Pourtant, dans le Coran, Jésus est celui qui intervient à la Fin des Temps pour terrasser l’Antéchrist, le Dajjâl, alors que Mahomet ne joue là quasiment aucun rôle. On se demande pourquoi l’omniprésence de Jésus dans le Coran n’est pas mieux connue des chrétiens. On retiendra dans le remarquable travail des deux auteurs, la recherche de la vérité historique qui, bien souvent, se heurte aux résistances religieuses. Ici, la…
«Il est très facile de devenir des hommes sans femmes. On a juste besoin d’aimer profondément une femme et que celle-ci disparaisse ensuite.» C’est, en résumé, la matière première qui compose les sept nouvelles de ce recueil. Mais il y a beaucoup plus que cela bien sûr, nous sommes chez Murakami. A commencer par l’exploration systématique des pensées, des sensations et des émotions des personnages. Les émotions en particulier que les hommes, trop souvent, ne montrent pas, se cachent à eux-mêmes et qui, du coup, anéantissent toute perspective de bonheur ou de félicité. Murakami décrit comme personne la force du sentiment amoureux, cette exaltation qui, conjuguée à une trop forte interrogation existentielle, peut conduire à la mort. L’auteur ausculte également avec minutie les rapports ténus qu’entretiennent amour et sexe. Quelle est la part de mensonge dans les rapports humains en général et au sein du couple en particulier ? Haruki Murakami a une idée très arrêtée sur la question ! Hors le sujet éminemment passionnant de ces sept nouvelles, on retrouve dans ce volume tous les ingrédients qui font le charme irrésistible de l’auteur. Un style en premier lieu, cette manière d’agencer les phrases qui prend le lecteur par la main pour…
«Un son qui sort de la bouche est un peu comme un gâteau qui sort du four: la qualité du gâteau dépend de ce qu’on a mis dedans.» Le problème étant, justement, de savoir ce qu’il faut mettre dedans. Michel Hart, auteur, chanteur, professeur de chant, et Sylvie Heyvaerts, danseuse, professeur de qi gong, nous fournissent les ingrédients. Ils nous font d’abord comprendre que la voix, qu’elle soit parlée ou chantée, est un geste du corps. Les auteurs s’adressent donc à notre «corps instrumental» en nous expliquant dans le détail comment fonctionne notre voix. Ceci afin de nous permettre de modifier notre rapport à ce corps instrument. A la fois essai sur l’histoire de la pédagogie et des techniques de chant, ouvrage pratique pour chanteurs et orateurs, Découvrir sa voix nous apprend tout ce qu’il y a à savoir sur les cordes vocales. A ce titre, la lecture de la première des trois parties, très technique, est indispensable à la compréhension de ce qu’est le corps vocal. La deuxième partie est consacré à la voix parlée et s’accompagne de judicieux conseils en matière de prise de parole. Les pages consacrées aux prouesses vocales des enseignants (que ce soit en maternelle,…
Il est particulièrement intéressant de relire Livret de famille, treize ans après sa parution. Premier livre de Magyd Cherfi qui s’est, depuis, retrouvé sur la liste du Goncourt avec Ma part de Gaulois, ce récit lançait des alertes, deux ans après l’accession de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de l’élection présidentielle française. Magyd Cherfi y exprime le déchirement et le rejet avec sensibilité et justesse. Déchirement de ceux qui se sentent Gaulois mais qui vivent dans une communauté où la religion musulmane est omniprésente, bien que pratiquée, ou non, à des degrés très divers. Rejet de ladite communauté pour les progressistes, rejet de la France pour les conservateurs. Une image est particulièrement parlante. Elle concerne le match de football France-Algérie. Je criais Algérie, mais je pensais France, confie l’auteur. «Ah ! Voltaire et Rousseau ! Quand on a lu ces mecs, on s’en remet pas. En assassinant Dieu, ils nous avaient fait naître une seconde fois». L’auteur convoque donc Voltaire et Rousseau pour revendiquer le droit à l’athéisme. Le rapport à la femme est également abordé avec beaucoup de franchise, et le chapitre intitulé Autobus impérial en dit davantage que toutes les théories fumeuses sur l’intégration. Au moment où paraît ce…
Philippe Claudel pousse-t-il le bouchon trop loin ? Non ! Il pousse un peu, un peu seulement le curseur et jette sur notre société un regard au cynisme salvateur. D’aucuns ricaneront certainement à la lecture de ces vingt-cinq tranches de vie dans lesquelles les morts sont mangés par souci écologique, où les parieurs mettent en jeu leur femme pour deux mois d’esclavage sexuel et où les bobos se réparent à la tronçonneuse. Il y en a d’autres, et des pires ! Le tout, sous la protection bienveillante de l’Entreprise où tout se passe, tout se discute, tout se décide. Plus d’émotions, plus d’envies, plus le moindre recul. Juste une capacité à ricaner, à se moquer, à blâmer, puis à éliminer. Philippe Claudel est en Colère avec un C majuscule. Et ça fait un bien fou ! Enfin, est-on tenté d’écrire. Enfin, quelqu’un pointe le fond du problème d’un doigt accusateur. Alors oui, Philippe Claudel parodie (à peine lorsqu’un galeriste vend pour une œuvre d’art le SDF mort devant sa boutique), mais il nous pose surtout une question fondamentale. Où allons-nous si nous continuons comme ça ? «Je vais certes voter» écrit-il, «mais je le fais sans conviction. La couleur de ceux qui nous gouvernent ne…