Légende d’un dormeur éveillé, par Gaëlle Nohant, éditions Héloïse d’Ormesson

23 octobre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Il y a les livres qui vous plaisent, ceux après la lecture desquels vous n’êtes plus tout à fait pareil et ceux qui vous ébranlent, profondément, durablement. Légende d’un dormeur éveillé est de ceux-là! Quel torrent d’amour pour Robert Desnos a-t-il fallu à Gaëlle Nohant pour tisser ce subtil roman biographique, le surpiquer de citations qui font toujours sens et éclairent le récit?

Desnos n’a jamais adhéré à aucune chapelle, ni celle du surréalisme corseté par un Breton dictatorial, ni celle du communisme, chère à Aragon et omniprésente dans les réseaux de la naissante Résistance. Le poète est d’un bloc, droit dans ses bottes, quoi qu’il advienne. Hors la poésie, amis et amours mobilisent toute son âme, toutes ses pensées. L’amitié fraternelle pour Jean-Louis Barrault, ou celle plus taquine qui l’unit à Prévert. Les amitiés poétiques aussi avec ses frères en mots et souvent en convictions: Pablo Neruda, Federico Garcia Lorca ou Paul Eluard.

Il y a l’amour innaccesible de ses jeunes années, son adoration pour la chanteuse Yvonne Georges qui toujours se refusera à lui mais pour qui il acceptera même de fumer l’opium. Et puis, il y a Youki, que le peintre Foujita lui confiera au moment de la quitter. Youki que Desnos aime déjà, dont il est déjà l’amant. Youki, l’apparente frivole que Desnos aimera jusqu’à la mort, et au-delà.

Pour la dernière partie de son roman, Gaëlle Nohant n’hésite pas à se glisser dans la peau de Youki et rédige son journal. C’est le journal de l’attente alors que Desnos a été arrêté puis déporté. Ces pages sont d’une beauté stupéfiante. Dans l’appartement de la rue Mazarine, Youki reçoit ceux qui espèrent avec elle le retour de Robert. Elle relit aussi les mots qu’il lui laissait lors de ses nuits d’échappée, des billets désormais éclairés d’absence. C’est à Robert que Youki s’adresse à travers ce journal. Elle se dévoile, se comprend enfin, découvre l’ampleur de son amour pour le poète.

C’est rue Mazarine encore que Youki reçoit ceux qui ont accompagné les derniers jours de Desnos, ses camarades de captivité décharnés, mais aussi ces deux étudiants en médecine tchécoslovaques qui recueillent son dernier souffle alors qu’ils œuvrent pour la Croix-Rouge. Le récit qu’ils font à Youki démontre que la déportation n’a en rien changé Desnos capables de se sacrifier pour un plus démuni, de regarder la mort en face. N’a-t-il pas attendu la Gestapo, rue Mazarine, afin d’éviter la torture à Youki?

Si la déportation et les camps de concentration ont réussi à faire plier le corps de Desnos, ils ne sont jamais parvenus à infléchir son esprit, ni son espoir en l’avenir. En plus d’être magnifique, Légende d’un dormeur éveillé est un roman utile et dont la lecture est indispensable en ces temps où les compromis ressemblent de plus en plus à des compromissions et où les idées nauséabondes recommencent à fleurir dans l’indifférence quasi générale. Que l’esprit de Desnos souffle sur nous!

Légende d’un dormeur éveillé, par Gaëlle Nohant, éditions Héloïse d’Ormesson, 2017, 531 pages

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