Madame Pylinska et le secret de Chopin, par Eric-Emmanuel Schmitt, éditions Albin Michel
AUTOBIOGRAPHIE , CRITIQUE , RECIT / 24 août 2018

Dans Plus tard je serai un enfant, son livre d’entretien avec Catherine Lalanne, Eric-Emmanuel Schmitt avoue: «Si Méphistophélès, le ministre de Satan, apparaissait et me proposait d’effacer tout ce que j’ai déjà écrit pour devenir l’auteur d’un air de Mozart ou d’un prélude de Chopin, je lui dirais «oui» aussitôt». L’auteur confirme cette confidence dans son récit autobiographique, Madame Pylinska et le secret de Chopin. D’abord réfractaire au piano familial, un Schiedmayer droit et plutôt massif, le jeune Eric-Emmanuel Schmitt lui trouve toutes les grâces après que sa tante Aimée en fasse surgir «l’efflorescence d’un univers parallèle, l’épiphanie d’une manière d’exister différente». Grâce à Chopin, évidemment! Pas étonnant dès lors que ce récit s’inscrive dans Le Cycle de l’invisible, à la suite de Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame rose, L’Enfant de Noé, Le Sumo qui ne pouvait pas grossir et Les dix enfants que Madame Ming n’a jamais eus. Car il ne s’agit pas seulement de percer le secret de Chopin («Il y a des secrets qu’il ne faut pas percer mais fréquenter: leur compagnie vous rend meilleur»), il s’agit aussi et surtout de comprendre la vie. Pour apprivoiser Chopin, Eric-Emmanuel Schmitt fait…

Sous les branches de l’udala, par Chinelo Okparanta, éditions Belfond
CRITIQUE , ROMAN / 23 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] Sous les branches de l’udala est le premier roman de Chinelo Okparanta. Et déjà, l’auteure nigériane fait montre d’une absolue maîtrise. Son roman est une réaction à la loi signée le 7 janvier 2014 par le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, loi qui criminalise les relations entre personnes de même sexe, les exposant à des peines de prison pouvant aller jusqu’à quatorze ans. La sanction est pire encore dans les états du nord: lapidation pure et simple. Chinelo Okparanta nous raconte donc l’histoire d’Ijeoma. Histoire qui commence en 1968, en pleine guerre du Biafra. Le père d’Ijeoma renonce à gagner le bunker sensé le protéger des bombardements. Il y laisse la vie. Son épouse doit alors survivre et, pour y parvenir, elle place sa fille chez le professeur Ejiofor. C’est là qu’Ijeoma rencontre Amina, une enfant de son âge, sauvage et solitaire, que le professeur accepte d’héberger également, malgré son appartenance à une autre ethnie. Entre les deux jeunes filles naît une complicité qui se transforme vite en amour. Mais un jour, Ijeoma et Amina sont surprises en plein ébat amoureux. Dans le deuxième pays le plus religieux du monde, la reprise en main maternelle se fera…

Réelle, par Guillaume Sire, éditions de L’Observatoire
CRITIQUE , ROMAN / 22 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] Johanna rêve de gloire. Avec son amie Jennifer, de trois ans son aînée, elle s’inscrit à l’émission Graine de stars, Jennifer n’est pas retenue, mais Johanna interprète Dieu m’a donné la foi d’Ophélie Winter, lors de l’audition régionale. Là aussi, c’est l’échec. Mais une photo de son dossier de candidature, celle où elle se trouve sur les genoux de son père Didier, lui vaut, quelques années plus tard, un coup de fil de Thibault Stolz, producteur TV. Il souhaite que Johanna participe à une nouvelle émission de téléréalité importée des Etats-Unis: Big Brother. Après une véritable incarcération dans un hôtel parisien de grand luxe, la jeune provinciale est propulsée dans un loft avec les autres candidats. Parmi eux, Edouard, fils de famille bourgeoise et grand cinéphile,  fan de comédies romantiques. Entre eux naît une histoire d’amour qui se prolongera au-delà de l’émission de téléréalité et malgré la célébrité. Jusqu’à un certain point. Même si elle n’a pas gagné Big Brother, Johanna se voir proposer un poste de chroniqueuse dans une nouvelle émission. Mais elle doit maigrir et devient anorexique. Elle est aussi contactée par Les Enfoirés pour effectuer une longue tournée à travers la France, tournée au…

Quatre-vingt-dix secondes, par Daniel Picouly, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 22 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] Le 8 mai 1902, jeudi de l’Ascension, il aura fallu Quatre-vingt-dix secondes à la nuée ardente pour prendre 30 000 vies. La nuée ardente, c’est cette éruption volcanique qui a littéralement rayé Saint-Pierre de la carte de la Martinique. Daniel Picouly raconte cette matinée du point de vue de la montagne Pelée. C’est elle qui parle, qui prépare son grand Boum! pour huit heures, mais qui ne saura le retenir au-delà de 7h52. Des pâles aurores à l’heure du drame, la montagne Pelée observe donc la vie des habitants. Malgré les premiers signes donnés par le volcan, ils n’ont pas quitté l’île, attendant le deuxième tour des élections législatives: «Clerc vote pour l’évacuation, car Clerc va perdre les élections dimanche prochain. Il le sait et veut faire reporter le deuxième tour. C’est de bonne guerre, mais de mauvaise politique.» Ils sont nombreux à minimiser le danger et Daniel Picouly est allé les chercher dans l’histoire martiniquaise: le maire, Rodolphe Fouché, le gouverneur Louis Mouttet, surtout connu pour avoir été le geôlier de Dreyfus en Guyane, Marius Hurard, le directeur du journal Les Colonies, ou encore Eugène Guérin, propriétaire de la principale usine sucrière de l’île. «La famille…

Fracking, par François Roux, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 22 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] L’Amérique s’apprête à élire son nouveau président. Au Dakota, Joe Jenson travaille dans l’industrie pétrolière. Un secteur en plein développement grâce à «l’échappatoire Halliburton» orchestré par Dick Cheney, ancien vice-président de l’administration Bush, rendant possible l’extraction de pétrole par fracturation hydraulique, le fracking. Karen et Peter Wilson ont ainsi vu leur propriété agricole envahie par les puits de forage, leurs parents ayant cédé les droits d’exploitation du sous-sol à leurs voisins, les Caubet, au milieu des années cinquante et pour une bouchée de pain. Les Wislon commencent à perdre des bêtes, écrasées par les énormes camions de chantier à dix-huit roues pour la plupart, contaminés par l’eau souillée pour les autres. Le fracking fait exploser les entrailles de la terre, à mille mètres de profondeur, et injecte quantité de produits nocifs, mêlés à l’eau et au sable sous pression, selon une recette aussi secrète que celle «du Coca-Cola et de la sauce Big Mac». La terre tremble à la fin de l’excellent roman de François Roux, et des fissures apparaissent à la surface du sol. Des fissures qui vont aussi se produire dans les vies, jusqu’ici bien tranquilles, des protagonistes. Dans celle de Joe Jenson d’abord, dont…

Vers la beauté, par David Foenkinos, éditions Gallimard
CRITIQUE , ROMAN / 20 août 2018

David Foenkinos renoue avec le monde de la peinture pour son très beau roman, Vers la beauté. On y croise d’ailleurs Charlotte Salomon, sujet de son roman paru en 2014. Antoine Duris est professeur d’histoire de l’art aux Beaux-Arts de Lyon. Mais il décide de démissionner et se fait engager comme gardien au Musée d’Orsay où une rétrospective Modigliani s’ouvre justement. Ca tombe bien, Antoine a consacré sa thèse au peintre. A Paris, le nouveau gardien évite autant que faire se peut toute forme de socialisation. Il vit dans le souvenir de l’amour de Louise et dans un spleen dont le lecteur ne connaîtra la raison qu’en toute fin de roman. Dans l’exercice de sa nouvelle fonction, Antoine ne peut s’empêcher de compléter les commentaires du guide qui conduit les groupes à travers le musée. Sa première intervention lui vaut une remontrance de la pourtant bienveillante Mathilde, directrice des ressources humaines. La seconde incartade sera fatale. Mathilde, qui n’est pas insensible à la personnalité très réservée et un peu rêveuse d’Antoine, le ramène à Lyon. En arrivant dans sa ville, Antoine conduit Mathilde dans un cimetière, sur la tombe de Camille Perrotin, morte à l’âge de 18 ans. C’est dans…

37, étoiles filantes, par Jérôme Attal, éditions Robert Laffont
CRITIQUE , ROMAN / 16 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] 1937. Alberto Giacometti est profondément blessé par une phrase de Jean-Paul Sartre, jeune philosophe en passe de publier son premier roman. Cette phrase lui a été répétée par Isabel, son amoureuse avec qui il s’apprête à rompre au moment ou une voiture américaine, conduite par une Américaine, lui fonce dessus. «Il lui est ENFIN arrivé quelque chose» commente Sartre. Furieux, Giacometti décide de casser la gueule à l’écrivain. Tout le très beau roman de Jérôme Attal s’articule autour de ce désir de vengeance. Le sculpteur piste Sartre, le manque sans cesse, mais rencontre des femmes. Séducteur dans l’âme, Giacometti courtise les infirmière de l’hôpital, en particulier celle qui ressemble à Bianca rencontrée à Maloja lors de vacances d’été. Elle avait seize ans. Et puis il y a Julia, que Giacometti sauve de la bastonnade administrée par un groupe de nazillons. La belle et mystérieuse Julia, toujours en instance de départ pour l’Amérique. A partir du désir de vengeance de Giacometti, Jérôme Attal trace une image précise, fine et perspicace du Paris de la fin des années trente. Il jette sa lumière sur un Giacometti très créatif, mais pas encore reconnu, soutenu par son frère Diego. Le jeune…

La terre tremblante, par Marie-Jeanne Urech, Hélice Hélas éditeur
CRITIQUE , ROMAN / 7 août 2018

La terre tremblante est un conte, une fable. Bartholomé de Ménibus quitte son petit village après l’enterrement de son père. Il veut savoir ce qu’il y a derrière la montagne. Il commence l’escalade encore vêtu de son costume de dimanchedeuil. Bartholomé découvre que derrière la montagne, il y a une autre montagne, puis une autre encore. Il parviendra pourtant à la mer. Derrière chaque verticalité, un monde nouveau: celui des vaches-hublot, celui des cimetières de déchets nucléaires, celui des champs de cheveux, celui de l’élevage de porcs à la verticale, d’autres encore. Au cours de son périple, Bartholomé exercera toutes sortes de métiers dont celui de nettoyeurs de déchets de satellites dans l’espace. Au village, on l’appelle l’ange boiteux en raison de sa claudication. Bartholomé n’a jamais répondu à son amour. Mais elle part pourtant sur ses traces, avec sa luge et ses livres. Dans une double narration savamment construite, Marie-Jeanne Urech nous raconte une histoire d’amour tout en pointant du doigt les travers d’un monde globalisé. Derrière chaque montagne, une société tente de survivre. L’occasion pour l’auteure de porter un regard critique et écologique sur la modeste condition humaine. Le voyage de Bartholomé s’achève sur un continent de déchets,…

Puisque tout passe, par Claire Chazal, éditions Grasset
AUTOBIOGRAPHIE , CHRONIQUES , CRITIQUE / 30 juillet 2018

Après avoir présenté durant vingt-quatre ans les journaux du week-end sur TF1, Claire Chazal est brutalement écartée de l’antenne en 2015. «Sale année 2015, qui aura vu la mort de ma mère, le départ de mon fils du nid que nous occupions tous les deux, et l’arrêt de ma carrière. Tout ça est dans l’ordre des choses, peut-être, mais je ne m’y résous pas.» Trois ans plus tard, Claire Chazal publie Puisque tout passe. Ces fragments de vie, de courts chapitres qui tissent une toile impressionniste de la journaliste et de la femme, jettent un éclairage étonnant sur le personnage public. Le lecteur découvre effectivement une femme inquiète, fragile, parfois mélancolique, souvent solitaire. Malgré la pudeur des propos, les blessures sont perceptibles, compréhensibles, les blessures amoureuses en particulier. Claire Chazal s’interroge beaucoup, sur son métier, sur sa vie, sur le temps qui passe et qui l’effraye, sur la mort (celles de son père et de sa mère, mais sur la sienne propre aussi, qui laissera son fils François orphelin). L’auteur revient aussi sur son enfance, ses amies (dont l’une est une presque sœur), ses parents issus de milieu modeste et devenus enseignants tous les deux à force de détermination. Claire…

Affaires privées, par Marie Laberge, éditions Québec Amérique
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 27 juillet 2018

Avec Affaires privées, Marie Laberge renoue avec les deux attachants personnages de Sans rien ni personne (2007) et Mauvaise foi (2013). Vicky Barbeau travaille à l’escouade des crimes non résolus de la Sûreté du Québec, sous les ordres de Rémy Brisson. Son collègue français Patrice Durand travaille Quai des Orfèvres, à Paris. Ils vont être plongés tous les deux dans une enquête qui n’en est pas une, ponctuée de potentiels conflits d’intérêt. Isabelle Gosselin, ancien amour de Rémy Brisson, lui demande d’enquêter sur la mort de sa fille, Ariel, même si le rapport du légiste ne laisse aucun doute, la jeune fille de quinze ans s’est suicidée. Vicky quitte Montréal pour Québec et se rend dans la prestigieuse école privée dirigée par Jacynthe Pouliot. Très vite, Vicky découvre qu’un autre suicide a eu lieu dans le même établissement scolaire, trente-deux mois plus tôt. Andreane Sirois, douze ans, s’est jetée du toit de l’école. Après avoir interrogé quelques élèves et les professeurs, Vicky découvre l’incompétence de Nathalie Dubuc, une ergothérapeute qui officie comme psychologue scolaire. Elle s’aperçoit également que la cause des suicides des deux adolescentes est à cherche du côté du groupe théâtral. Un atelier dirigé successivement par Ginette Soucy,…