La Nuit je mens, par Cathy Galliègue, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 18 juillet 2017

Il faut avoir beaucoup vécu, beaucoup souffert et, surtout, beaucoup aimé pour écrire un roman de cette trempe. La Nuit je mens est un roman d’amour, ou plutôt un roman d’amours. A commencer par l’amour inconditionnel, obsédant, total, celui de Mathilde pour Guillaume. Un premier amour à sens unique ou presque, une histoire qui n’est pas à l’eau de rose, mais qui relève plutôt de l’au-delà! Car Guillaume s’est donné la mort. Mais il continue de hanter la vie de Mathilde qui, dans l’intervalle, a rencontré Gaspard. Amour ou désamour fraternel ensuite. Mathilde et Constance sont jumelles, mais tout les oppose. Et lorsqu’il s’intéressera à Mathilde, Gaspard croira avoir affaire à Constance… Mais les jumelles se détestent et il faudra l’intervention de la mère de Gaspard pour qu’elles se rapprochent. Amour filial enfin. Cathy Galliègue décrit avec une grande finesse les rapports de Mathilde avec ses parents, ceux de Gaspard avec les siens et même, en passant, ceux qui n’unissent pas Guillaume à son père. «Un amour jusqu’au frontière de la folie» nous dit la quatrième de couverture. Pas si sûr! Car qu’est-ce que la folie? «La normalité ne serait-elle finalement qu’un compromis?» interroge fort justement Cathy Galliègue. Mathilde ne…

Vernon Subutex 3, par Virginie Despentes, éditions Grasset
CRITIQUE , ROMAN / 17 juillet 2017

Qu’avons-nous fait de nos rêves de vingt ans? Qu’en reste-t-il lorsque arrive la cinquantaine? C’est, en substance, les questions auxquelles répond Virginie Despentes avec la trilogie Vernon Subutex. Dans le premier tome, l’auteure jetait un regard acéré sur les années quatre-vingt. Vernon Subutex, disquaire en vogue, doit fermer sa boutique, crise du disque oblige. Il fait le tour de ses connaissances pour savoir qui peut l’héberger. Le deuxième volume nous livre un Subutex SDF, devenu une sorte de gourou entouré d’une bande hétéroclite dont chacun des membres est notamment décrit au travers des musiques qu’il écoute. Pour le troisième et dernier volet, Virginie Despentes donne le ton dès l’exergue en citant la chanson Lazarus de David Bowie. Si le roman est l’occasion de rendre hommage aux grands disparus de l’année 2016, Bowie, Prince et Lemmy, du groupe Motörhead, il est aussi l’occasion de mettre une croix sur bien des espoirs nés dans les eighties. L’amour, la fraternité, que Subutex va pourtant faire renaître lors des convergences, rendez-vous musicaux sauvages et déconnectés, mais aussi la politique, celle de la gauche en particulier. Le regard de Virginie Despentes sur l’état du monde est lucide et sans concession: homophobie et racisme décomplexés, peur…

Amarres, par Marina Skalova, éditions L’âge d’homme
CRITIQUE , RECIT / 3 juillet 2017

Avant ce récit, Marina Skalova n’a publié qu’un recueil de poésie. Et ce nouveau texte en est tout imprégné. Ce qui frappe d’emblée, c’est le rythme et le souffle de chaque phrase. Un rythme qui se déstructure en fin de récit pour imposer plus violemment encore au lecteur les ultimes émotions. Ce récit est un conte. Il nous raconte l’histoire de ce navigateur qui débarque sur une île qui n’est jamais nommée, mais qui pourrait être la Suisse. Une île dont il  a étudié les coutumes et appris la langue. La méfiance est popurtant au rendez-vous et l’intégration difficile, quasi impossible. Un artisan pourtant lui cède son atelier-logis, désireux de prendre la mer et de partir découvrir le monde. Malgré tout, le narrateur ne trouve pas sa place dans la communauté, se marginalise, achète ses provisions presque clandestinement. Pourtant un jour, un habitant qui a voyagé, vu d’autres contrées, l’invite à partager un repas. Le narrateur le quittera pourtant avec un sentiment étrange, un malaise. La pluie tombe abondamment et la tempête fait rage. Puis certains autochtones tombent malade et meurent. Le narrateur de ce très beau récit est confronté au refus de l’altérité, à la méfiance, au rejet et…

La Petite Fille dans le miroir, par Marie Javet, édition Plaisir de lire
CRITIQUE , ROMAN / 2 juillet 2017

Marie Javet aime les mises en abîme. Le titre de son roman est aussi celui du livre que publie son héroïne, June Lajoie, cloîtrée dans un palace d’Interlaken pour réviser son manuscrit. Mais June n’a pas toujours été June, elle a d’abord été Lizzie Willow, fille de très bonne famille américaine partie faire ses études à Montreux de 1986 à 1992. Durant cette période, et pour se défaire de l’étiquette «gosse de riche» qui lui colle à la peau, elle s’invente une troisième identité: Sybil. Tout ce passé va éclater au visage de la quadragénaire devenue écrivain à succès. Le détonateur est une apparition, celle d’une petite fille de huit ou neuf ans, dans le miroir de sa chambre d’hôtel. June veut connaître les raison de cette apparition et enquête. Elle va découvrir le drame de l’enfant, drame qui résonne avec celui de sa propre existence alors qu’elle jouait sa vie de Sybil. Marie Javet nous livre une histoire fort bien construite dans une langue qui, si elle ne révolutionnera pas la littérature du 21è siècle, reste de très bonne facture. Les lieux sont décrits avec justesse et des événements réels, comme le Leysin Rock Festival, ravivent les souvenirs des…

L’été des charognes, par Simon Johannin, éditions Allia
CRITIQUE , ROMAN / 25 juin 2017

Simon Johannin n’a que vingt-trois ans. Avec L’été des charognes, il signe un premier roman coup de poing qui laisse le lecteur ko. Tout commence par une scène de lapidation d’un chien. L’été des charognes porte bien son nom et les cadavres de chiens, de chats, de poules, de moutons et autres chevaux ne manquent pas. Il ne faut pas avoir mangé trop gras ou trop lourd avant d’attaquer la lecture de ce roman fulgurant. Le narrateur est un môme qui grandit dans un hameau du Tarn. Pas d’Internet et pas de portable, on s’occupe en se jetant des cailloux à la gueule ou en déterrant des os de cadavres d’animaux. On apprend aussi à boire très vite, et beaucoup. Au hameau, ce sont les mômes qui conduisent les voitures quand leurs parents sont trop bourrés pour le faire A la campagne, la vie est dure, la communication minimalistes et les roustes et les mandales font office d’éducation. Pas de misérabilisme ni de pleurnicherie pourtant dans l’écriture ciselée de Simon Johannin. Les cent quarante pages menées avec brio nous font passer de la prime enfance à l’école. Là, les mômes du hameau sont confrontés à ceux des gros villages de…

De l’enfance éperdue, par Pierre Voélin, éditions Fata Morgana
CRITIQUE , POESIE , ROMAN / 4 juin 2017

Belle plongée dans une enfance rurale et proche de la nature. Dans une langue magnifique, Pierre Voélin livre un portrait impressionniste et saisissant. Le lecteur s’imprègne de senteurs, de couleurs, d’humidité et de vent. A la limite entre enfance éperdue et enfance perdue – la vie à la campagne exige de grandir vite – ce beau livre flirte avec les époques. Est-il d’aujourd’hui, d’hier ou d’avant-hier? Peu importe, tout prend ici une dimension universelle et s’adresse à la part d’enfance qui subsiste en chacun de nous. De l’enfance éperdue, par Pierre Voélin, éditions Fata Morgana, 2017, 88 pages

Comment faire lire les hommes de votre vie, par Vincent Monadé, éditions Payot
CRITIQUE , ESSAI / 1 juin 2017

Lorsqu’on préside le CNL (Centre National du Livre), on aime lire, forcément. Et on a envie de faire lire! Vincent Monadé, inspiré par Olivier Poivre d’Arvor, livre un opuscule jubilatoire au titre évocateur: Comment faire lire les hommes de votre vie, aux éditions Payot. «Il n’y a rien de plus sexy qu’un homme qui lit» écrivait Marie Darrieussecq dans Il faut beaucoup aimer les hommes. Or, des hommes qui lisent, il n’y en a pas beaucoup, pas assez. Ou plutôt, il n’y en a pas beaucoup qui lisent de la littérature. Et Vincent Monadé d’empoigner le problème franchement et de saisir sa plume affûtée de pèlerin pour convertir les foules. Il s’adresse à vous, Mesdames, afin que vous convertissiez les hommes de votre vie à ce plaisir, pas toujours solitaire, qu’est la lecture. Tous les moyens sont bons et il ne faut pas hésiter à commencer, même modestement. Si Chéri lit L’Equipe, c’est déjà bon signe. Il a choisi le plus littéraire des quotidiens, celui où la fine plume de Vincent Duluc a succédé à celle d’Antoine Blondin à qui il arrivait de… boire son encrier! Le grand mérite du livre de Vincent Monadé est d’avoir été écrit avec le…

L’écrivain national, par Serge Joncour, éditions Flammarion
CRITIQUE , ROMAN / 29 mai 2017

«L’écrivain national». La formule revient à répétition dans la bouche du maire de Donzière où Serge, auteur, arrive pour une résidence d’écriture. A dix kilomètres seulement de cette petite ville qui ressemble plutôt à un gros village, un fait divers occupe les journaux locaux et nationaux. Aurelik et Dora, deux marginaux qui vivent à L’Epeau, sont soupçonnés d’avoir fait disparaître Commodore, dont ils sont les locataires. En voyant la photo de Dora dans le journal, l’écrivain est subjugué, irrésistiblement attiré. Aimanté par les lieux du drame, Serge s’embarque dans une quête un peu folle et qui lui vaudra bien des problèmes avec les libraires qui l’ont gentiment invité, avec le maire qui fonde tous ses espoirs sur une nouvelle usine, avec les acolytes d’Aurelik, et même avec la patronne de l’hôtel dans lequel il loge, la pourtant prévenante Madame Meunier. Les pages consacrées aux rencontres littéraires de l’auteur sont hilarantes. Serge Joncour lève le voile sur la face cachée et souvent sombre du métier d’écrivain et des vicissitudes de la promotion. Construit comme un polar, ce roman est celui de la passion et du désir. Serge Joncour excelle à décrire le mécanisme implacable du désir masculin dont la source n’est…

Repose-toi sur moi, par Serge Joncour, Editions Flammarion, Prix Interallié 2016
CRITIQUE , PRIX LITTERAIRES , ROMAN / 27 mai 2017

Aurore est l’archétype de la femme qui a réussi. Un mari américain, business angel en pleine ascension, deux enfants (jumeaux fille et garçon) et un talent de styliste reconnu. Elle fonctionne dans une sorte de routine et ne plus faire l’amour avec Richard depuis trois ans ne semble pas être un problème. Les problèmes se situent plutôt du côté de sa marque (son propre nom) et de Fabien, son perfide associé. Ludovic, le voisin d’Aurore est veuf. Mathilde est morte d’un cancer, trois ans auparavant. Du coup, il a quitté la ferme familiale pour laisser la place à sa sœur et à son beau-frère et s’est reconverti dans le recouvrement de dettes. Dans la cour de l’immeuble, une paire de corbeaux effraie terriblement Aurore. Ludovic va lui permettre de retrouver sa sérénité. Entre eux naît une passion d’abord physique, tactile, qui se transformera en amour. Ce sont deux solitudes qui se rencontrent. Aurore ne se confie à personne, pas même à Richard. Elle assume tout, toute seule. Ludovic non plus ne se confie à personne. Sa vie est entre parenthèses, même s’il la passe à rendre service à tout le monde. C’est donc tout naturellement qu’il va rendre service à…

Les yeux fardés, par Lluis Llach, Babel éditions
ACTUALITE , CRITIQUE , ROMAN / 21 mai 2017

A l’occasion de la sortie du beau roman de Luis Llach en poche, je republie la brève critique rédigée lors de la sortie du roman chez Actes Sud.. Les yeux fardés est un roman d’amour. Un amour comme il y en a peu. Cet amour, c’est celui qui unit Germinal et David, deux garçons nés en 1920 dans le quartier populaire de Barcelone qu’est la Barceloneta. Il y a deux filles aussi, nées la même année: Mireia, que son père, contrebandier, emmènera dans son exil à Buenos Aires, et Joanna, qui ne survivra pas au bombardement de Barcelone par l’aviation italienne. Roman d’amour sur fond d’histoire, amour entre deux garçons à une époque où les sentiments pour un être de même sexe étaient intolérables et intolérés. Si le roman commence lentement, il se termine sur un rythme élevé. Le procédé narratif y est pour quelque chose: Germinal, 87 ans, raconte à Lluis, réalisateur en mal de sujet, les années qui ont changé sa vie à tout jamais.  L’espérance, avec la proclamation de la République, les désillusions avec la guerre civile et le fascisme qui s’installe, l’errance, vingt ans durant pour fuir le souvenir de «l’Ami aimé». On trouve au fil…