Au cours de l’année 2017, j’ai lu 80 romans, 21 essais, 12 recueils de poèmes, 4 recueils de chroniques, 4 biographies, 4 recueils de nouvelles, 4 récits, 2 albums jeunesse, 2 pièces de théâtre, 1 livre d’entretiens, 1 bande dessinée et un livre de photos, soit 136 ouvrages pour un total de 27’709 pages. Tous ne sont pas chroniqués sur ce blog. Mais j’ai eu envie de me livrer au difficile et subjectif exercice des coups de cœur de l’année écoulée. Il a donc fallu choisir, donc renoncer et par conséquent souffrir. Mais à l’arrivée, voici le classement de mes cinq coups de cœur de 2017.
Le livre qui m’a le plus secoué en 2017 est celui de Gaëlle Nohant avec sa biographie romancée de Robert Desnos.
Il y a les livres qui vous plaisent, ceux après la lecture desquels vous n’êtes plus tout à fait pareil et ceux qui vous ébranlent, profondément, durablement. Légende d’un dormeur éveillé est de ceux-là! Quel torrent d’amour pour Robert Desnos a-t-il fallu à Gaëlle Nohant pour tisser ce subtil roman biographique, le surpiquer de citations qui font toujours sens et éclairent le récit?
Desnos n’a jamais adhéré à aucune chapelle, ni celle du surréalisme corseté par un Breton dictatorial, ni celle du communisme, chère à Aragon et omniprésente dans les réseaux de la naissante Résistance. Le poète est d’un bloc, droit dans ses bottes, quoi qu’il advienne. Hors la poésie, amis et amours mobilisent toute son âme, toutes ses pensées. L’amitié fraternelle pour Jean-Louis Barrault, ou celle plus taquine qui l’unit à Prévert. Les amitiés poétiques aussi avec ses frères en mots et souvent en convictions: Pablo Neruda, Federico Garcia Lorca ou Paul Eluard. Lire la suite.
Virginie Despentes a mis en point final magistral à sa trilogie Vernon Subutex. Un des livres forts de l’année, sans conteste.
Qu’avons-nous fait de nos rêves de vingt ans? Qu’en reste-t-il lorsque arrive la cinquantaine? C’est, en substance, les questions auxquelles répond Virginie Despentes avec la trilogie Vernon Subutex. Dans le premier tome, l’auteure jetait un regard acéré sur les années quatre-vingt. Vernon Subutex, disquaire en vogue, doit fermer sa boutique, crise du disque oblige. Il fait le tour de ses connaissances pour savoir qui peut l’héberger.
Le deuxième volume nous livre un Subutex SDF, devenu une sorte de gourou entouré d’une bande hétéroclite dont chacun des membres est notamment décrit au travers des musiques qu’il écoute.
Pour le troisième et dernier volet, Virginie Despentes donne le ton dès l’exergue en citant la chanson Lazarus de David Bowie. Si le roman est l’occasion de rendre hommage aux grands disparus de l’année 2016, Bowie, Prince et Lemmy, du groupe Motörhead, il est aussi l’occasion de mettre une croix sur bien des espoirs nés dans les eighties. L’amour, la fraternité, que Subutex va pourtant faire renaître lors des convergences, rendez-vous musicaux sauvages et déconnectés, mais aussi la politique, celle de la gauche en particulier. Le regard de Virginie Despentes sur l’état du monde est lucide et sans concession: homophobie et racisme décomplexés, peur chevillé au corps et qui va grandissant attentat après attentat, disparition des repères, des mythes, des utopies. Lire la suite.
Après Crépuscule du tourment I, Melancholy, Léonora Miano publiait en 2017 Crépuscule du tourment 2, Heritage. Une des plus belles voix de la littérature contemporaine.
Léonora Miano est décidément une auteure majuscule! Avec ce deuxième volet de Crépuscule du tourment, elle reprend la narration de la violence d’Amok à l’encontre d’Ixora. Mais du point de vue masculin cette fois. Après les quatre voix de femmes du premier volume, Léonora Miano explore l’âme et les pensées de trois hommes, Amok, Regal et Schrapnel (on pourrait y inclure Continent Africain, le sage qui se dit fou). Trois hommes que tout oppose en apparence, mais que tout rassemble. Car les événements les obligent à plonger au plus profond d’eux-mêmes pour apprendre à accepter qui ils sont vraiment, pour endosser enfin l’entier de leurs responsabilités.
Après la violence qu’il a exercée sur Ixora, Amok ne peut plus juger son père, ni le rejeter. Schrapnel revient de l’au-delà pour tenter de comprendre qui il a été, mais aussi et surtout pour s’adresser à Amok, son ami-frère, et l’aider ainsi à sortir de sa fange. Lire la suite.
Avec Le Cri du diable, le Fribourgeois Damien Murith renoue avec la pureté d’écriture de son premier roman, La lune assassinée.
Damien Murith a fait une entrée en littérature très remarquée en 2013 avec La lune assassinée, premier roman d’une trilogie qui s’achève avec Le cri du diable. On retrouve toute la force de l’auteur, cette écriture près de l’os, qui nous avait tant séduit dans le premier roman et qui s’était un peu diluée avec Les mille veuves. Ici, pas un mot de trop pour dire le village, l’homme malade et peut-être contagieux qui finit par mourir. Camille, sa veuve, est convoitée. Et lorsqu’elle demande de l’aide pour mettre au monde le veau, celui qui vient aider la vache à mettre bas met aussi ses mains sous la jupe de Camille et la langue dans sa bouche. Pour se défendre, Camille s’aide de la fourche, et tue.
Pour échapper à la vengeance, elle prend le train pour la ville, où une autre vie l’attend. Une autre vie où les hommes ne changent pas, fussent-ils peintres. Damien Murith travaille sa phrase jusqu’à l’épure. Lire la suite.
Autre auteur suisse de grand talent, Aude Seigne offre avec Une toile large comme le monde un roman contemporain extrêmement réussi.
Ils sont rares les romans qui se penchent sur Internet. Plus rares encore ceux qui imaginent sa disparition. Et lorsque c’est le cas, dans le Où la lumière s’effondre, de Guillaume Sire par exemple, il s’agit de constituer une armée de hackers pour parvenir à ses fins. Rien de tel chez Aude Seigne. Les hackers, en l’occurrence une hackeuse, ne sont que l’un des éléments du plan de la panne.
Huit. Ils sont huit à vouloir débrancher Internet, au sens propre. Car si le réseau des réseaux est le royaume du virtuel, il a besoin pour fonctionner d’infrastructures bien réelles : data centers, matières premières, câbles. Le roman s’ouvre d’ailleurs avec l’un des personnages principaux de cette histoire, un câble transocéanique qui porte le joli nom de FLIN. Véritable gourmandise pour les requins, autres personnages récurrents du roman d’Aude Seigne, FLIN représente symboliquement les milliers de câbles qui passent sous nos pieds et qui transportent des millions de mails à travers le monde en un cinquième de seconde. Lire la suite.
Je vous souhaite une excellente année 2018, riche en lectures et en découvertes.
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