Frappe-toi le cœur, par Amélie Nothomb, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 24 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] «Marie aimait son prénom». Ainsi commence le nouveau roman d’Amélie Nothomb. Première phrase, premier étonnement. Les personnages s’appellent ici Marie, Brigitte, Véronique, Nathalie, Karine, Célia, Elisabeth, Olivia ou Diane. On est loin des Hazel, Léopoldine, Fubuki, Pannonique, Plectrude et Astrolabe croisées dans les romans précédents. Idem pour les garçons. Olivier, Alain, Nicolas, Hugues et Hubert ont été préférés à Prétextat, Palamède, Textor, Epiphane ou Zoïle. Autre étonnement, ce roman nous raconte l’histoire de Diane sur une période de trente-cinq ans, du 15 janvier 1972 au 6 février 2007. Jamais Amélie Nothomb ne nous avait fait suivre un personnage sur une aussi longue période. Le titre ensuite. Frappe-toi le cœur, titre emprunté à Alfred de Musset et à l’un de ses premiers poèmes. C’est Diane qui confie à Olivia qu’elle a choisi d’embrasser la carrière de chirurgienne à cause de ce poème: «Frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie». Le lecteur curieux ira découvrir la suite du poème. Elle éclaire singulièrement le roman d’Amélie Nothomb. «Ah! frappe-toi le cœur, c’est là qu’est le génie. C’est là qu’est la pitié, la souffrance et l’amour; C’est là qu’est le rocher du désert de la vie, D’où les flots d’harmonie,…

Jeux de dame, par Thierry Dancourt, éditions de La Table ronde
CRITIQUE , ROMAN / 23 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Paris. Berlin. Trieste. Nous sommes au début de l’année 1961, le mur de Berlin n’a pas encore été érigé, il le sera en août de la même année. A Paris, Pascal Clerville effectue une mission au Palais des colonies (devenu musée de l’histoire de l’immigration depuis 2007). Il rencontre Solange Darnal, une habituée du musée et, en particulier, de son Aquarium, situé en sous-sol. Alors qu’elle ne le connaît qu’à peine, Solange demande à Pascal s’il veut bien arroser régulièrement ses plantes vertes durant son absence, son appartement étant tout proche du Palais où il travaille. Il doit aussi démarrer régulièrement la voiture de Solange, une Volvo P1800, afin de maintenir la batterie en vie. En effectuant ces tâches, Pascal fait la connaissance de Madame Hutin, voisine de Solange et ancienne amie de la mère de Solange, Rose Darnal. Grâce à Madame Hutin, Pascal va en apprendre davantage sur cette Solange qu’il connaît si peu. Il va également découvrir, dans la boîte à gants de la Volvo, un passeport orné de la photo de Solange mais qui n’est pas établi à son nom… Solange, qui prétend travailler pour le Conseil économique et social, est à Berlin où…

L’absente de Noël, par Karine Silla, éditions de L’Observatoire
CRITIQUE , ROMAN / 23 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Noël, ses rituels et ses obligations familiales. Sophie, vingt ans, doit rentrer de Dakar où elle est partie dans un orphelinat, comme bénévole, avec son amie Pamela. Mais seule Pamela a pris place dans l’avion du retour à Paris. Qu’est-il arrivé à Sophie? Pour le savoir, sa famille au grand complet part à sa recherche. Et ça fait du monde. Virginie d’abord, la mère de Sophie. Elle a conçu ce premier enfant avec Antoine, homme marié à Fanny, une bourgeoise qui n’a jamais accepté cette fille adultérine, sujet tabou dans sa famille. Gabriel, mari de Virginie, et donc beau-père de Sophie, est celui qui veut réconcilier tout le monde, qui a remplacé Antoine, père trop souvent absent,  auprès de Sophie. Chloé, fille de Virginie et Gabriel les suit à contrecœur au Sénégal, persuadée que sa sœur a simplement fugué. René, le père de Virginie, n’a pas voulu rester à Paris. Il est, comme souvent, «un grand-père a l’opposé du père qu’il a été». C’est à lui que les enfants font confiance, à lui qu’ils se confient. C’est aussi le cas de Paul, le fils d’Antoine et Fanny, à qui René plait tout de suite.Paul qui se découvre…

A Paris! mais avec…, par Nathalie Infante et Thierry Dancourt, Les éditions Marie-Louise
CRITIQUE , JEUNESSE / 22 août 2017

Très joli album jeunesse que celui proposé par Les éditions Marie-Louise, sous le pinceau de Nathalie Infante et la plume de Thierry Dancourt qui nous proposent de revisiter la capitale française, mais avec un regard neuf, poétique, curieux, cherchant le particulier sans tomber dans l’anecdotique. Une capitale sans ses contraintes, sans ses embouteillages et son bruit. Les lieux choisis sont paisibles, magnifiquement évoqués par le trait sensible de l’illustratrice. Les personnages aussi sont attachants et poétiques. Rémy Darcey qui s’est installé, venu d’Amiens, dans le quartier Seine Rive Gauche. C’est un solitaire qui a un penchant un peu trop prononcé pour les fleurs. Il fait la connaissance de Charles Montfort et de Lucien, le Prince des oiseaux. Darcey et Montfort vont rencontrer Modesty lors de l’une de leurs promenades et l’amour sera au rendez-vous. Le jeune lecteur découvrira quelques secrets de Paris (les ruches logées sur le toit de l’Opéra), enrichira son vocabulaire grâce au juxtapositions de synonymes chères à Monsieur Montfort, découvrira la force des lois, celles des hommes et celles de l’amour. Sans oublier les 81 chats qui se cachent dans les 53 pages de ce petit bijou. A Paris! mais avec…, par Nathalie Infante et Thierry Dancourt,…

Danser au bord de l’abîme, par Grégoire Delacourt, éditions JC Lattès
CRITIQUE , ROMAN / 21 août 2017

«Delacourt, c’est une sacrée bonne femme.» La déclaration est de l’auteur lui-même, référence à la Jocelyne de La liste de mes envies. Elle s’applique parfaitement à Emmanuelle, personnage central de Danser au bord de l’abîme. Ce roman tient à la fois de Madame Bovary (Emmanuelle est appelée Emma par tout le monde, sauf par sa mère) et de La Chèvre de Monsieur Seguin dont Grégoire Delacourt nous restitue le texte original (une lettre à Pierre Gringoire, poète lyrique parisien) en fin de roman. Danser au bord de l’abîme est le roman du désir, celui qui surprend Emma à la Brasserie André lorsqu’elle voit un homme s’essuyer la bouche avec une serviette de coton damassé. Un désir si fort, si vrai, si immédiat, si évident, qu’elle lui fera quitter Olivier, son mari, Manon, Louis et Léa ses enfants. Danser au bord de l’abîme n’est par le roman du désamour, mais bien celui du désir plus fort que tout. Grégoire Delacourt est obsédé par l’instant présent, celui qui permet de saisir sa chance, de faire basculer sa vie, de donner une chance au bonheur. Avec Emma, il brise aussi un tabou: il est moins facile de comprendre et d’accepter d’une femme qu’elle…

Le cri du diable, par Damien Murith, éditions L’âge d’homme
CRITIQUE , ROMAN / 15 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Damien Murith a fait une entrée en littérature très remarquée en 2013 avec La lune assassinée, premier roman d’une trilogie qui s’achève avec Le cri du diable. On retrouve toute la force de l’auteur, cette écriture près de l’os, qui nous avait tant séduit dans le premier roman et qui s’était un peu diluée avec Les mille veuves. Ici, pas un mot de trop pour dire le village, l’homme malade et peut-être contagieux qui finit par mourir. Camille, sa veuve, est convoitée. Et lorsqu’elle demande de l’aide pour mettre au monde le veau, celui qui vient aider la vache à mettre bas met aussi ses mains sous la jupe de Camille et la langue dans sa bouche. Pour se défendre, Camille s’aide de la fourche, et tue. Pour échapper à la vengeance, elle prend le train pour la ville, où une autre vie l’attend. Une autre vie où les hommes ne changent pas, fussent-ils peintres. Damien Murith travaille sa phrase jusqu’à l’épure. Le texte évoque plus qu’il ne décrit. Il n’en est que plus fort, plantant les crocs de la littérature dans le cœur du lecteur. Des personnages en ombres plus qu’en lumière, des destins contrariés, des…

Demain les chats, par Bernard Werber, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 14 août 2017

Faut-il considérer ce roman comme une fable ou un conte? Probablement. Car en plus de nous raconter l’histoire des relations entre chats et hommes depuis les origines, il nous interroge sur le monde d’aujourd’hui et sur l’incapacité de l’homme à vivre en paix. Bastet est une chatte qui a pour vocation d’établir la communication entre les espèces vivantes, en particulier avec sa servante, Nathalie. Oui, pour les chats nous sommes des serviteurs et des servantes! Malgré ses tentatives désespérées de communication, Bastet ne comprend que quelques uns des mots prononcés par sa servante. Mais un beau jour, sur le balcon d’en face, apparaît Pythagore, un siamois aux yeux bleus, bien plus intéressant que Félix, le gros matou qui ne pense qu’à manger et à dormir, même s’il a engrossé Bastet. Pythagore possède un Troisième Œil, à savoir un logement de clé USB protégé par un couvercle violet et situé sur son front. Sa servante, une scientifique, l’a éduqué grâce à ce dispositif. Ce qui permet à Pythagore de transmettre son savoir à Bastet. Et l’on découvre, s’il en était encore besoin, que l’on est souvent plus malheureux dans la connaissance que dans l’ignorance. «Finalement, Félix est heureux car il est…

Relever les déluges, par David Bosc, éditions Verdier
CRITIQUE , NOUVELLES , RECIT / 12 août 2017

C’est aux Illuminations de Rimbaud que David Bosc emprunte le titre générique de ces quatre nouvelles que l’auteur préfère d’ailleurs appeler des récits. Quatre récits pour quatre personnages. Frédéric II de Hohenstaufen d’abord, à qui Guillaume de Capparone «fait l’infamant cadeau de la liberté (car personne n’en veut, à cette heure, et le mot lui-même ne fait rêver que les fous).» Honoré Mirabel ensuite, paysan du Pertuis qui s’invente la découverte d’un trésor, ce qu’il fait croire autour de lui. Le leurre lui procure une liberté dont il sait qu’il devra payer le prix fort en cette année 1729. Miguel, homme de La Mancha, vit en 1938 et s’engage pour lutter contre les fascistes espagnols. Mais lorsque la liberté pour laquelle il se bat vient à manquer au sein de ses propres rangs, il choisit la montagne et la forêt. Denis, enfin, est proche d’un groupuscule anarchiste dans le Marseille des années 1980. Proche ne signifie pas inclus. Et c’est bien là le point commun à ces quatre personnages qui font, en pionniers et en solitaires, l’expérience de la liberté, ce bien dont personne ne veut. Ce court recueil, qui se promène à travers les siècles, dit aussi beaucoup du…

Hommage à Gonzague Saint Bris
ACTUALITE , ENTRETIENS / 8 août 2017

Gonzague Saint Bris a perdu la vie la nuit dernière dans un accident de voiture en Normandie, a annoncé à l’AFP l’assistante du romancier, confirmant une information du Point. Ce journaliste et critique littéraire, pour Le Figaro et Paris Match, avait publié le roman Les Vieillards de Brighton distingué par le prix Interallié. J’ai rencontré Gonzague Saint-Bris à trois reprises. La première fois, c’était en 2010, pour la publication de son livre consacré à Michael Jackson (lire ci-dessous). La deuxième fois, c’était en 2011. J’ai eu le plaisir d’animer une rencontre à la société de lecture de Genève où Gonzague Saint Bris était venu parler de sa biographie d’Alfred de Musset publiée par Grasset. La troisième et dernière fois, c’était toujours en 2011, Gonzague Saint Bris avait très gentiment accepté de participer au cercle de lecture que j’anime depuis douze ans maintenant à la Société de lecture de Genève. Avec les participants au cercle, il était venu s’entretenir de son Roman de Venise publié aux édition du Rocher. Nous avions terminé la soirée en tête-à-tête Aux Armures, autour d’une fondue. En modeste hommage au généreux Gonzague Saint Bris, je publie l’entretien mené en 2010 lors de la sortie d’Au paradis avec Michael…

Trois jours chez ma mère, par François Weyergans, éditions Folio, prix Goncourt 2005
CRITIQUE , PRIX LITTERAIRES , ROMAN / 31 juillet 2017

«Les histoires, on s’en moque, il y en a plein les journaux» disait Céline. Et donc, on se moque bien de l’histoire de ce roman, couronné par le prix Goncourt en 2005. De quoi s’agit-il en réalité? D’une incroyable mise en abîme, de matriochkas. François Weyergans raconte l’histoire d’un écrivain, François Weyergraf, qui ne parvient pas à terminer un roman intitulé Trois jours chez ma mère, et dont il nous livre les trois premiers chapitres. Chapitres qui racontent l’histoire d’un écrivain, François Graffenberg, qui ne parvient pas à terminer son roman, qui a pour titre… «Je me disais qu’on écrit que pour sa mère, que l’écriture et la mère ont partie liée» écrit Weyergans. Et nous voilà au nœud du problème. Comment se confronter à l’écriture, comment vivre avec elle au quotidien? Les François écrivent, dans le train ou ailleurs, dans leur tête souvent, en de permanentes digressions qui nous mènent du Québec à Manosque en passant par la Suisse ou le Japon. François Weyergans n’étale pas son érudition, qui est pourtant grande. Il la distille, ou plutôt, il l’instille. Paysages, cinéma, littérature, religion, antiquités, tout est bon, matière à malaxer pour le but ultime: écrire, encore et toujours. Philippe…