Destruction d’un cœur, par Stefan Zweig, Le Livre de Poche

16 février 2017

Qu’apporte la lecture de Stefan Zweig au lecteur du 21è siècle ? La question est légitime une fois refermé ce recueil de trois nouvelles dont la première, Destruction d’un cœur, donne son nom à l’ensemble. Trois nouvelles de 1931, époque où Stefan Zweig n’a pas encore pris conscience des dangers de la montée du nazisme (il faudra attendre 1933 pour cela), nazisme contre lequel il ne prendra d’ailleurs jamais publiquement position (voir à ce propos le dossier de fin de volume établi par Isabelle Hausser).

Au-delà de leur date de publication, les trois nouvelles de ce recueil ont d’autres points communs. Destruction d’un cœur raconte l’histoire d’un riche bourgeois en vacances. Respirant mal, il se lève nuitamment pour faire quelques pas dans le couloir de l’hôtel, sans allumer la lumière. Il surprend alors sa fille sortant de la chambre d’un homme avant de se faufiler discrètement dans la sienne. Le père en est profondément remué. Il se réfugie dans la colère et le ressentiment, peste contre sa fille et sa femme pour qui il a travaillé toute sa vie afin qu’elle ne manquent jamais de ce maudit argent nécessaire à leur confort et à leur vie mondaine. C’est le cœur de cet homme qui est détruit, jusqu’au dernier souffle.

La Gouvernante est encore une histoire bourgeoise. Deux petite filles constatent le changement de comportement de leur gouvernante, désormais rêveuse et moins stricte. Les enfants s’amusent à l’espionner afin de découvrir d’où lui vient cette tristesse nouvelle. Elles la surprennent avec le cousin Otto. La gouvernante est enceinte, Otto fuit ses responsabilités, les maîtres de maison congédient l’employée qui ne supportera pas ce triple abandon. Confrontées à ces événements sans les comprendre complètement, les fillettes développent une haine de leurs parents et sortent brutalement de l’enfance, découvrant la dureté du monde et la proximité de la mort.

Bourgeoisie encore pour Le jeu dangereux qui se déroule dans un confortable hôtel italien où un homme d’un certain âge, pour ne pas dire d’un âge certain, adresse anonymement des lettres enflammées à une jeune fille. Le but : voir sur le visage de la jeunesse les effets des émotions provoquées par les premiers émois. La demoiselle va bien sûr tenter de découvrir qui est l’auteur de ces déclarations. Au soir de sa vie, le vieil homme joue avec le feu, pour le malheur de la jeune femme et pour connaître, une dernière fois peut-être, les effets que provoque la passion.

Le corps des femmes, le désir du corps des femmes, est présent dans les trois nouvelles. Evoqué avec la pudeur qui sied à l’époque, ce désir, Stefan Zweig le connaît bien, lui à qui Friderike, sa première épouse, à offert une indépendance absolue sur tous les plans.

La mort est également au centre des trois nouvelles, à des degrés divers : décrite dans Destruction d’un cœur, suggérée dans La Gouvernante et proche dans Le jeu dangereux. L’amour, la mort, Eros et Thanatos, concept fondamental de la métapsychologie qui se fonde sur les pulsions théorisées par Sigmund Freud. Freud dont Zweig prononcera l’éloge funèbre en 1939. Stefan Zweig a également consacré un essai au médecin viennois, La Guérison par l’esprit, publié la même année que les trois nouvelles dont il est question ici.

Le lecture de Zweig aujourd’hui nous apporte donc un éclairage sur l’exploration des sentiments humains par un écrivain alors en pleine célébrité. Elle donne aussi à voir le monde bourgeois de l’avant-guerre. Si la belle écriture de Zweig (et l’excellente traduction de son ami et agent littéraire Alzir Hella) facilite la lecture, le cadre bourgeois, les manières étriquées des protagonistes et la construction narrative semblent aujourd’hui un brin désuets.

 

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