«La femme est l’avenir de l’homme» écrivait Aragon. Elle est aussi son passé, son fondement, si l’on en croit L’Opium du ciel, le deuxième roman de Jean-Noël Orengo. Jérusalem est un drone né de la fusion de deux de ses semblables, Lovecraft, aéronef civil, et CSNR108, d’origine militaire.
Jérusalem est né d’un père et d’une mère d’adoption qui se sont rencontrés au «campement», un lieu hors du temps et de l’espace. Lovecraft était la propriété de la jeune S (comme fiché S), adolescente embrigadée par Daesh-Necronomicon. CSNR108 était piloté par Eurêka, une femme déterminée qui n’a pourtant pas réussi à actionner le dispositif d’autodestruction du drone alors qu’elle en a perdu le contrôle. S et Eurêka. Ce sont donc deux femmes qui sont à l’origine des parties constitutives de Jérusalem. Mais ceux qui vont lui donner son âme, sa faculté de penser, ses sentiments et son autonomie (y compris énergétique), ce sont ce père et cette mère d’adoption. Jean-Noël Orengo offre une mise en lumière à des personnages réels et un peu oubliés qui font ainsi leur entrée dans sa fiction. Raphael Patai est le père, Marija Gimbutas est la mère. Elle est l’une des plus grandes archéologues et anthropologues de son temps; il est anthropologue, ethnologue, spécialiste du Moyen-Orient et du judaïsme antique. Mais Jérusalem, le drone, se nourrira davantage encore de la pensée des amis de ses parents d’adoption: Martin Bernal, Jacques Bergier et, occasionnellement, Louis Pauwels. Tous ces personnages formateurs ont en commun d’avoir été tenus en marge de leurs communautés respectives, leurs travaux allant à rebours de la juste pensée scientifique ou religieuse. Raphael Patai en particulier, dont les travaux révèlent la croyance des anciens Hébreux en la déesse Ashérah, épouse de Yahvé. Le couple Patai–Gimbutas va d’ailleurs prénommer l’une de ses filles Ashérah. Une sœur pour Jérusalem, sœur qu’il va accompagner dans sa découverte de l’amour, et notamment de l’amour physique avec le jeune David.
De l’amour physique, il en est beaucoup question tout au long de ce roman érudit, foisonnant et parfois touffu. Les références sont légion, du fameux quart d’heure de célébrité promis par Andy Warhol, à une citation centrale de Dune, en passant par d’innombrables références historiques et religieuses. Au final, ce roman interroge le lecteur sur deux plans principalement. Il démontre d’abord que les femmes ont été exclues de la déité au profit des seuls mâles et que cette omniprésence de la gent masculine au panthéon des croyances est probablement la raison principale de la mésestime sociale que connaît la femme depuis des siècles. La fin du roman nous promet d’ailleurs de remettre les choses en bon ordre. Jean-Noël Orengo interroge ensuite le langage, les langues, les locutions et les phonèmes tout au long de son roman. «Nous savions que la langue génère la plupart des événements dont elle prétend s’inspirer», écrit-il notamment. Si elle n’a que peu de conséquences en ce qui concerne la fiction, les dégâts de cette phrase sont considérables lorsqu’on l’applique à l’histoire, et en particulier à celle des religions. De quoi ouvrir au lecteur de vastes espaces de réflexion.
La force du roman exigeant de Jean-Noël Orengo est là: il interroge le lecteur sans cesse, sur le monde et sur ce que la parole en fait.
L’Opium du ciel, par Jean-Noël Orengo, Editions Grasset, 268 pages
Pas de commentaire
Les commentaires sont fermés.