Ahlam, par Marc Trévidic, Editions JC Lattès

16 janvier 2016

Juge d’instruction au tribunal de grande instance de Paris au pôle antiterrorisme de 2006 à 2015, Marc Trévidic est, depuis 2015, premier vice-président au tribunal de grande instance de Lille. Depuis les attentats de Paris, on le voit sur tous les plateaux de télévision. Auteur de trois essais, Au cœur de l’antiterrorisme (2011), Terroristes : les 7 piliers de la déraison (2013) et Qui a peur du petit méchant juge? (2014), tous publiés chez JC Lattès, il publie aujourd’hui, chez le même éditeur, Ahlam, son premier roman.

Paul Arezzo, jeune peintre français, célèbre et riche, débarque aux Kerkennah, en Tunisie. L’inspiration l’a quitté, l’envie de peindre aussi. La faute à un chagrin d’amour dont il ne se remet pas. Nous sommes en 2000. La Tunisie est sous l’emprise du clan Ben Ali. Paul va nouer une vraie amitié avec Fahrat, un pêcheur, et avec sa famille. Nora, l’épouse de Fahrat, dont les charmes ne laissent pas Paul indifférent, tombe malade, une leucémie fulgurante que les hôpitaux tunisiens tarderont à prendre au sérieux. Paul fait transporter la jeune femme à Paris, mais il est trop tard. Elle meurt, loin des siens pour lesquels Paul n’est pas parvenu à obtenir un visa assez rapidement. Avant de mourir, Nora fait promettre à Paul qu’il s’occupera de ses enfants Issam, le garçon et Ahlam, la fille. Paul retourne aux Kerkennah, y achète la maison de la plage, la Bayt el bahr. C’est dans cette maison qu’il va faire l’éducation artistique des enfants de Nora et Fahrat. Issam montre des dispositions exceptionnelles pour le dessin et la peinture, Ahlam devient rapidement une pianiste accomplie. Paul poursuit aussi un autre but: réunir les arts (peinture, musique et poésie en particulier) dans un grand tout, un agencement global qui permettrait de dessiner la musique ou la poésie selon un système de couleurs longuement décrit et qui emprunte à la synesthésie graphèmes-couleurs.

Les enfants grandissent, leurs talents aussi. Si bien que Paul envisage de montrer au monde entier comment Issam peint, en direct, la musique de sa sœur. Mais Nourdine, le copain d’Issam, ne voit pas d’un bon œil les activités du jeune homme et n’aime pas ce peintre étranger, ce kafir (mécréant). Issu d’une famille salafiste, Nourdine a vu les membres de sa famille être arrêtés, torturés par le régime de Ben Ali. En janvier 2011, Ben Ali est chassé du pouvoir par une révolution populaire qui coupe l’herbe sous les pieds des salafistes qui attendaient leur heure. Soutenu par les Etats-Unis, En Nahdha devient le parti le plus puissant de Tunisie. Issam se laisse convaincre par Nourdine que la musique est un péché, que la peinture est un péché, que sa sœur Ahlam ne se conforme pas à la volonté du Prophète. Issam abandonne la peinture, annule ainsi les espoirs de réussite de sa sœur et de Paul. Ahlam s’engage fermement dans la Révolution de Jasmin, se bat pour le droit des femmes. Elle le payera chèrement, piégée par son propre frère.

Ce premier roman de Marc Trévidic est bien ficelé. L’histoire d’amour qui sert de fil rouge au livre permet au lecteur d’encaisser les explications politiques et de comprendre comment les salafistes ont, petit à petit, imposé leur loi dans un certain nombre de pays. Il permet de s’interroger sur les raisons d’un engagement radical de la part d’un jeune homme (Issam) intelligent et cultivé alors que sa sœur, qui a reçu la même éducation, s’engage au contraire pour la liberté et l’émancipation. Dans une langue accessible, Marc Trévidic permet aussi de comprendre ce qu’est l’islam radical, comment il est organisé (l’ancien juge antiterroriste est plutôt bien documenté) et jusqu’où il peut aller. Mais le roman va plus loin. Il nous interroge aussi sur l’égoïsme de Paul, sur les conséquences de la disparition du régime Ben Ali, une dictature. Pour une premier roman, c’est réussi.

Découvrez la bande son du roman de Marc Trévidic.

Pas de commentaire

Les commentaires sont fermés.