Pemis C, par Joseph Incardona, bsn Press
CRITIQUE , ROMAN / 10 novembre 2016

Avec Permis C, Joseph Incardona nous raconte le quotidien d’un Rital de douze ans, mère suisse, père sicilien. Dans une cité de la banlieue genevoise, André est confronté à la violence d’une bande de gamins juste un peu plus âgés et un peu plus costauds que lui. Balloté de déménagement en déménagement, le môme est toujours le nouveau de la classe en plus d’être le Rital, systématiquement chahuté ou, pire encore, tout simplement ignoré. Ses amis, eux, sont japonais (Akizumi) ou québécois (Etienne), c’est dans l’altérité que l’on se reconnaît. Akizumi disparaîtra de la vie d’André avant les vacances d’été, juste après que sa mère, Miyu la prostituée, ait initié André à l’amour physique. Après les grandes vacances, c’est Etienne qui sera lui aussi confronté à la bande, jusqu’au drame. Entre deux, les vacances et l’Italie qui apparaissent comme la liberté, la vraie vie. Joseph Incardona sait nous faire partager le quotidien de son héros, nous faire comprendre la violence à laquelle il est confronté, cette violence que peut, que doit subir l’autre, parce qu’il est différent, parce qu’il est étranger. Pemis C, par Joseph Incardona, bsn Press, 228 pages

Exil, par Frédéric Jaccaud, éditions Gallimard
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 9 novembre 2016

Le narrateur de ce roman a plusieurs visages. On le découvre chauffeur de callgirls de luxe, mais on apprend rapidement qu’il a eu une autre vie dans la Vallée, celle où le monde d’aujourd’hui se préparait il y a vingt ou trente ans. Au fil de l’histoire, on se demande qui est cet homme, quelle est sa part de vérité, sa part de fantasme. Rêve-t-il le monde dans lequel il vit? L’intrigue ne connaît pas vraiment de dénouement et le lecteur ne saura jamais ce que contient la carte magnétique remise par Peggy Sue au narrateur juste avant de mourir. Entre théorie du complot et réflexion philosophique sur le monde et sa dimension numérique, ce roman passe en revue les possibles évoqués ou explorés au cours des vingt dernières années. D’une belle écriture, Frédéric Jaccaud emmène son lecteur dans un monde où l’espérance n’a pas survécu. Exil, par Frédéric Jaccaud, éditions Gallimard, Série noire, 2016, 317 pages Enregistrer

Où la lumière s’effondre, par Guillaume Sire, éditions Plon
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 7 novembre 2016

Détruire Internet! Quelles seraient les conséquences? Pour Paul et Robin, programmeurs qui ont compté parmi les fondateurs du réseau des réseaux, l’idée est sujette à controverse. Paul est déterminé à détruire le Web, Robin s’y oppose. Et Robin maîtrise le code bien mieux que Paul. Paul se fait tirer dessus dès la première page du roman. Il s’agit donc, pour Robin, de prendre sa place. Mais il faut compter avec l’inspecteur Malone, dandy anglais qui en sait déjà beaucoup trop sur l’opération Pandora. Le roman se déroule sur vingt-quatre heures. Des heures au cours desquelles le lecteur suit Robin, notamment à l’hôpital où il rencontre Awa qui appartient, elle au monde non virtuel. Il y est rejoint par Julia, compagne de Paul qui a tout fait pour éloigner Robin de son ami. Robin possède les connaissances techniques qui manquent à Paul, mais il n’a pas son aura. Sera-t-il en mesure de prendre sa place pour exécuter la manœuvre de destruction d’Internet, à la tête d’une armée de dix mille hommes? Un roman construit sur une bonne, une très bonne idée. Le lecteur non initié est rarement laissé sur le bord du chemin. Les phrases sont courtes, le rythme haletant, au…

Sans état d’âme, par Yves Ravey, éditions de Minuit
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 5 novembre 2016

On retrouve dans ce roman l’ambiance de son prédécesseur, La fille de mon meilleur ami. Yves Ravey installe l’ambiance en quelques pages. Ses personnages sont toujours à la limite, entre la marge et l’intégration sociale. Dès les premières pages, on sait que Gu, Gustave Leroy, a tué John Lloyd, l’amoureux de Stéphanie qui, comme Mathilde dans le roman précédent, est serveuse dans une boîte de nuit. Paradoxalement, Stéphanie demande à Gu d’enquêter sur la disparition de son amoureux. Mais Mike, le frère de John, débarque dans la région. Personnage énigmatique, Mike parle peu, mais il est déterminé. La force d’Yves Ravey est d’obliger son lecteur à s’impliquer, à remplir les ellipses. Ou, Gu a tué John Lloyd, mais pourquoi? Pour garder sa maison? Pour garder Stéphanie? Ou pour une autre raison encore. Toute la saveur du polar servie par une écriture remarquable. Sans état d’âme, par Yves Ravey, éditions de Minuit, 2015, 126 pages.

La fille de mon meilleur ami, par Yves Ravey, éditions de Minuit
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 3 novembre 2016

Le narrateur de ce court et brillant roman possède plusieurs identités et plusieurs cartes de visites. Il a promis à son meilleur ami, sur le point de mourir à l’hôpital militaire de Montauban, qu’il prendrait soin de sa fille Mathilde. Mathilde a passé des années en asile psychiatrique et on lui a retiré la garde de son fils, Roméo. Le narrateur accède à la demande de Mathilde qui tient absolument à revoir son fils, ne serait-ce qu’une heure ou deux. Il se rend donc au domicile de l’ex-mari de Mathilde et y rencontre Sheila. S’ensuit un imbroglio de négociations et de chantages auxquels vient s’ajouter la perspective d’un joli coup financier. Le narrateur parvient en effet à faire main basse sur la généreuse collecte destinée à soutenir els ouvriers de l’usine Rhône-Poulenc, en grève depuis des semaines. Le coup était presque parfait. Mais Mathilde, personnage typiquement borderline, a tendance à trop parler… La fille de mon meilleur ami, par Yves Ravey, éditions de Minuit (Minuit double), 2015, 143 pages

Les yeux fardés, par Lluis Llach, Editions Actes Sud
CRITIQUE , ROMAN / 21 octobre 2016

Les yeux fardés est un roman d’amour. Un amour comme il y en a peu. Cet amour, c’est celui qui unit Germinal et David, deux garçons nés en 1920 dans le quartier populaire de Barcelone qu’est la Barceloneta. Il y a deux filles aussi, nées la même année: Mireia, que son père, contrebandier, emmènera dans son exil à Buenos Aires, et Joanna, qui ne survivra pas au bombardement de Barcelone par l’aviation italienne. Roman d’amour sur fond d’histoire, amour entre deux garçons à une époque où les sentiments pour un être de même sexe étaient intolérables et intolérés. Si le roman commence lentement, il se termine sur un rythme élevé. Le procédé narratif y est pour quelque chose: Germinal, 87 ans, raconte à Lluis, réalisateur en mal de sujet, les années qui ont changé sa vie à tout jamais.  L’espérance, avec la proclamation de la République, les désillusions avec la guerre civile et le fascisme qui s’installe, l’errance, vingt ans durant pour fuir le souvenir de «l’Ami aimé». On trouve au fil des pages quelques uns des sujets qui ont nourri les chansons de Lluis Llach qui, à l’approche de la septantaine, fait une entrée plus que remarquée en littérature….

Toutes ces grandes questions sans réponse, par Douglas Kennedy, Editions Belfond
AUTOBIOGRAPHIE , CRITIQUE , ESSAI / 15 octobre 2016

Etonnant ouvrage que celui de Douglas Kennedy, entre confession intime, essai philosophique et autobiographie. On découvre de larges pans de la vie personnelle de l’auteur et, notamment, l’existence de Max, son fils autiste. La lecture de ces pages éclaire aussi d’une lumière nouvelle l’œuvre romanesque de Douglas Kennedy qui n’hésite pas à faire part de ses doutes (jusqu’à la tentation de la mort), de son rapport aux femmes ou à l’argent. Ce qui frappe le plus, ce sont les relations exécrables et d’une violence inouïe avec ses parents qui ne lui auront rien épargné. Les admirateurs du romancier aimeront ce livre qui suit le grand principe de la philosophie, à savoir poser les questions plutôt que d’y répondre. L’écrivain nous démontre pourtant que nous sommes, dans la plupart des cas, les artisans de nos propres malheurs. Les lecteurs les plus téméraires tenteront peut-être l’apprentissage du patin à glace, un apprentissage qui est pour Douglas Kennedy l’«hasardeuse poursuite d’un équilibre». On découvre enfin un Douglas Kennedy fin connaisseur de musique classique.   Toutes ces grandes questions sans réponse, par Douglas Kennedy, Editions Belfond, 362 pages

Crépuscule du tourment, I : Melancholy, par Léonora Miano, éditions Grasset
CRITIQUE , ROMAN / 24 août 2016

Crépuscule du tourment, le nouveau roman de Léonora Miano, paru chez Grasset, se situe une fois de plus entre ombre et lumière. Quatre femmes, quatre vies, quatre voix et donc quatre écritures constituent ce superbe roman choral. Toutes les quatre s’adressent au même homme, Dio. La première, Madame, parle à son fils. Amalda et Ixora s’adressent à celui qu’elles ont aimé, qu’elles ont cru aimer ou dont elles ont cru être aimées. Tiki, enfin, d’adresse à son frère. Quatre voix de femmes pour dire la condition de celles qui, dans ce pays subsaharien jamais nommé mais qui pourrait être le Cameroun, ne sont jamais les égales des hommes. Même la réussite de Madame ne lui épargne pas douleurs et blessure intimes, pas plus que la douceur feutrée de sa maison dans laquelle elle écoute Moonlight in Vermont d’Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. Léonora Miano saisit une fois de plus à bras le corps son sujet de prédilection : la colonisation et ses ravages, la traite négrière et son deuil jamais accompli. Mais elle va plus loin encore dans ce nouveau roman. Elle interroge l’histoire et la conscience de ceux qui se sont soumis : aux colonisateurs, aux sirènes marchandes du Nord, aux…

Les Lueurs, par Matthieu Mégevand, Editions L’âge d’homme
AUTOBIOGRAPHIE , CRITIQUE , RECIT / 20 mars 2016

Dix ans après les événements, Matthieu Mégevand revient dans ce récit sur la maladie qui l’a frappé alors qu’il n’avait que vint-et-un ans. La maladie? Un lymphome de Hodgkin, soit un cancer du système lymphatique. Le récit commence par les vacances de jeunes adultes dans le sud de la France. Premières manifestations de la maladie qui n’est pas encore perçue comme telle. Retour à Genève. Premiers examens, diagnostic. «Ce que me dit ce radiologue et qui ne laisse plus aucun doute: « Un écartement au niveau du cœur ». Cette phrase-là, elle résonne dans ma tête. Elle change toute ma vie.» Pour l’auteur, il s’agit d’explorer ce que la mémoire a retenu de ces événements qui ont changé toute sa vie. Qu’a retenu la mémoire, qu’a-t-elle oublié? Dès les premières pages, cet aveu : «Je dois le dire. Ce premier souvenir que je raconte: le mettre ainsi par écrit, le mettre en mot déjà me coûte. Cela m’inquiète, cela dénature tout.» L’auteur s’acharne pourtant, fouille dans les souvenirs et dans un carnet noir où sont consignés les poèmes, les pensées, le journal de l’époque. Mais Matthieu Mégevand va plus loin et fait de ce récit un véritable objet littéraire. A chaque étape…

Ahlam, par Marc Trévidic, Editions JC Lattès
CRITIQUE , ROMAN / 16 janvier 2016

Juge d’instruction au tribunal de grande instance de Paris au pôle antiterrorisme de 2006 à 2015, Marc Trévidic est, depuis 2015, premier vice-président au tribunal de grande instance de Lille. Depuis les attentats de Paris, on le voit sur tous les plateaux de télévision. Auteur de trois essais, Au cœur de l’antiterrorisme (2011), Terroristes : les 7 piliers de la déraison (2013) et Qui a peur du petit méchant juge? (2014), tous publiés chez JC Lattès, il publie aujourd’hui, chez le même éditeur, Ahlam, son premier roman. Paul Arezzo, jeune peintre français, célèbre et riche, débarque aux Kerkennah, en Tunisie. L’inspiration l’a quitté, l’envie de peindre aussi. La faute à un chagrin d’amour dont il ne se remet pas. Nous sommes en 2000. La Tunisie est sous l’emprise du clan Ben Ali. Paul va nouer une vraie amitié avec Fahrat, un pêcheur, et avec sa famille. Nora, l’épouse de Fahrat, dont les charmes ne laissent pas Paul indifférent, tombe malade, une leucémie fulgurante que les hôpitaux tunisiens tarderont à prendre au sérieux. Paul fait transporter la jeune femme à Paris, mais il est trop tard. Elle meurt, loin des siens pour lesquels Paul n’est pas parvenu à obtenir un visa…