Puisque tout passe, par Claire Chazal, éditions Grasset
AUTOBIOGRAPHIE , CHRONIQUES , CRITIQUE / 30 juillet 2018

Après avoir présenté durant vingt-quatre ans les journaux du week-end sur TF1, Claire Chazal est brutalement écartée de l’antenne en 2015. «Sale année 2015, qui aura vu la mort de ma mère, le départ de mon fils du nid que nous occupions tous les deux, et l’arrêt de ma carrière. Tout ça est dans l’ordre des choses, peut-être, mais je ne m’y résous pas.» Trois ans plus tard, Claire Chazal publie Puisque tout passe. Ces fragments de vie, de courts chapitres qui tissent une toile impressionniste de la journaliste et de la femme, jettent un éclairage étonnant sur le personnage public. Le lecteur découvre effectivement une femme inquiète, fragile, parfois mélancolique, souvent solitaire. Malgré la pudeur des propos, les blessures sont perceptibles, compréhensibles, les blessures amoureuses en particulier. Claire Chazal s’interroge beaucoup, sur son métier, sur sa vie, sur le temps qui passe et qui l’effraye, sur la mort (celles de son père et de sa mère, mais sur la sienne propre aussi, qui laissera son fils François orphelin). L’auteur revient aussi sur son enfance, ses amies (dont l’une est une presque sœur), ses parents issus de milieu modeste et devenus enseignants tous les deux à force de détermination. Claire…

La petite danseuse de quatorze ans, par Camille Laurens, éditions Stock
CRITIQUE , ESSAI / 28 novembre 2017

Il est des œuvres d’art qui provoquent en vous des émotions particulières. Ainsi de La petite danseuse de quatorze ans pour Camille Laurens qui lui consacre un remarquable essai. Le lecteur fait connaissance avec Marie Van Goethem, petit rat de l’Opéra qui a posé pour Degas. En cette fin de 19è siècle, les petits rats ne sont pas à l’Opéra par amour de la danse, mais pour effectuer un travail, payé deux francs par jour, c’est très peu, mais c’est le double d’un mineur ou d’un ouvrier du textile. Les jeunes filles (elles ont entre 12 et 16 ans) y cherchent aussi un protecteur, un de ces bourgeois venus s’encanailler au foyer de l’Opéra Garnier. Degas se mêle à eux de 1860 à 1890 environ, non pas pour le plaisir du corps, mais pour étudier les danseuses dans leur cadre. Degas expose La Petite Danseuse en 1881, lors de la sixième exposition des impressionnistes auxquels il est souvent associé. Mais il n’est pas victime de leur «cécité sociale» nous rappelle Camille Laurens. En 1881, La Petite Danseuse fait scandale. La statue est en cire, une aberration pour l’époque, et exposée sous verre. Mais Degas a surtout donné de Marie une…

Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce, par Lola Lafon, Babel éditions
CRITIQUE , ROMAN / 20 novembre 2017

«Une société qui abolit toute aventure, fait de l’abolition de cette société la seule aventure possible.» Tout le roman de Lola Lafon tient dans cette phrase. Emilienne, que tout le monde appelle Emile, est dans le coma suite à un épisode de mort subite. La narratrice, son amie, s’efforce de la ramener à la vie, se calque sur le rythme de son réchauffement corporel et de son retour à la conscience, retour marqué par les trous d’une mémoire défaillante. La narratrice continue pourtant à se rendre à la Cinémathèque, sans Emile, et aperçoit la jeune femme qu’elle avaient déjà repérée en raison de son assiduité à suivre les projections. C’est à celle qu’elle appelle La Petite Fille au bout du chemin que la narratrice va raconter l’amitié qui la lie à Emile, leur rencontre dans un groupe de parole du mardi, groupe constitué de femmes victimes de viols. A ce titre, ce roman dit mieux que tout autre la dévastation, la souffrance, la peur de celle qui a été violée, abusée. Les trois femmes de cette histoire ont connu l’enfermement, ou la tentative d’enfermement. La narratrice, que La Petite Fille au bout du chemin appelle désormais Voltairine, a connu le…

De ça je me console, par Lola Lafon, Babel éditions
CRITIQUE , ROMAN / 18 octobre 2017

Lorsque votre père vous envoie par mail une traduction française chantable de Bella Ciao et qu’il vous promet le texte du Chant des partisans au prochain envoi, ce père, forcément, ne ressemble pas aux autres. C’est lui aussi qui invente le jeu des De ça je me console qui doit permettre de classifier les chagrins et d’en résoudre la majeure partie. Emylina parle beaucoup de son père et, à la fin du roman, l’accompagne jusqu’au dernier souffle. «Les parents mentent, et puis ils meurent.» Ils mentent lorsqu’ils envoient Emylina à Milan, puis à Paris, pour l’éloigner de la Roumanie de Ceausescu. A Paris, Emylina danse et rencontre une jeune Italienne venue faire ses études en France. Les deux jeunes femmes vivent une relation forte, quasi fusionnelle. Et pourtant, quand l’amie italienne disparaît, soupçonnée d’avoir assassiné le patron du restaurant dans lequel elle travaillait, Emylina se rend compte de tout ce qu’elle ne sait pas de son amie. Etre libre, ne pas épouser le moule, ne pas croire à tout ce qui se dit ou s’écrit dans les médias nécessite une attention de tous les instants et une force de caractère hors catégorie. Ce superbe roman pose bien sûr la question…