Djibouti, par Pierre Deram, éditions Folio
CRITIQUE , ROMAN / 7 septembre 2017

Je profite de la sortie en poche de cet excellent roman pour vous en reproposer la critique. Djibouti nous raconte la dernière nuit du lieutenant Markus, affecté à Djibouti depuis six mois. Ces dernières heures sont l’occasion pour le militaire de se remémorer les principaux épisodes de son séjour, mais aussi de vivre ses dernières heures dans cette ville de tous les extrêmes. Six courts chapitres qui permettent d’explorer les dérives de l’âme humaine, les faiblesses des solitaires et des amoureux, la singularité de l’amour. Mais le personnage principal de ce beau livre est sans aucun doute la ville de Djibouti. Chaleur, sécheresse, obscurité sont les ingrédients du climat qu’installe l’auteur. L’obscurité surtout. Il fait sombre, il fait noir, et lorsque la lumière des enseignes des bars brillent trop fort, les soldats jouent «Le jeu», celui ou l’on se bat les yeux bandés, sans savoir ou est l’adversaire ni d’où vont venir les coups, la vie en quelque sorte. Pierre Deram touche avec une justesse cruelle à nos écorchures, nos failles, nos faiblesses. Mais il montre aussi ce qui fait la beauté insoutenable du désespoir, ce qui raccroche, in extremis, à la vie, ou à ce qui y ressemble. Thérèse,…

Crépuscule du tourment, I : Melancholy, par Léonora Miano, éditions Pocket
CRITIQUE , ROMAN / 7 septembre 2017

Le superbe premier volet du diptyque de Léonora Miano paraît aujourd’hui en poche. Je vous en propose donc une nouvelle fois la critique. Crépuscule du tourment, le nouveau roman de Léonora Miano, paru chez Grasset, se situe une fois de plus entre ombre et lumière. Quatre femmes, quatre vies, quatre voix et donc quatre écritures constituent ce superbe roman choral. Toutes les quatre s’adressent au même homme, Dio. La première, Madame, parle à son fils. Amalda et Ixora s’adressent à celui qu’elles ont aimé, qu’elles ont cru aimer ou dont elles ont cru être aimées. Tiki, enfin, d’adresse à son frère. Quatre voix de femmes pour dire la condition de celles qui, dans ce pays subsaharien jamais nommé mais qui pourrait être le Cameroun, ne sont jamais les égales des hommes. Même la réussite de Madame ne lui épargne pas douleurs et blessure intimes, pas plus que la douceur feutrée de sa maison dans laquelle elle écoute Moonlight in Vermont d’Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. Léonora Miano saisit une fois de plus à bras le corps son sujet de prédilection : la colonisation et ses ravages, la traite négrière et son deuil jamais accompli. Mais elle va plus loin encore dans…

Ce que la vie m’a appris, par Perla Servan-Schreiber, éditions Flammarion
CRITIQUE , ESSAI / 6 septembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Avec Ce que la vie m’a appris, Perla Servan-Schreiber nous offre un petit livre de sagesse. Non pas un énième ouvrage de développement personnel, mais un témoignage. Celui d’une femme de 73 ans, sans enfant, entourée de petits-enfants et heureuse dans son couple. Son mot préféré, il revient régulièrement au fil des pages et elle lui consacre une chapitre, la joie! La joie ne s’apprend pas, nous dit l’auteure, mais elle est contagieuse. Le lecteur de cet opuscule sera gagné par la contagion. Parce que Perla Servan-Schreiber est partageuse. Partageuse de ses expériences de vie, mariée pour la première fois à 42 ans et vivant depuis lors un amour qui la comble. Partageuse de l’amour des chats et des chansons (elle en évoque de nombreuses au fil des pages). Perla Servan-Schreiber partage, propose, mais n’impose rien. Riche de sa double culture (elle est née et a grandi au Maroc), elle jette sur la vie un regard plein de bon sens. La marche, la méditation et la cuisine sont pour elle sources d’équilibre. En parcourant ces pages, le lecteur parcourt aussi la vie de celle qui a travaillé pour Elle et Marie-Claire, fondé et développé avec son mari,…

L’humanité, apothéose ou apocalypse?, par Jean-Louis Servan-Schreiber, éditions Fayard
CRITIQUE , ESSAI / 4 septembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] «J’ai conçu ce livre, d’un journaliste et non d’un savant, comme un survol de ce qui se présente à l’humanité dans un moment de l’histoire où semblent culminer pour notre espèce les risques comme les opportunités.» Jean-Louis Servan-Schreiber est effectivement factuel, comme l’était encore le journalisme il y a quelques années. Il ne cède pas aux sirènes du journalisme actuel, victime du court-termisme que l’auteur dénonçait déjà en 2010 dans Trop vite! Afin de déterminer si l’humanité va (trop vite!) vers l’apothéose ou vers l’apocalypse, l’auteur passe en revue plus d’une vingtaine de thématiques, de la démographie au posthumanisme, en passant par les inégalités, la faim dans le monde, les robots, la fin du travail, le déficit de sens ou la finance. Jean-Louis Servan-Schreiber nous rappelle sans cesse qu’il y a deux manières de voir le verre: à moitié vide ou à moitié plein. Lui a tendance à le voir plutôt plein: «Bien que très loin d’une société idéale, nous sommes pourtant en train de vivre ce que l’humanité traverse de mieux depuis ses origines.» Mais point d’optimisme béat dans ces pages. Avec Djénane Kareh Tager, journaliste et amie, Jean-Louis Servan-Schreiber a mené une vingtaine d’entretiens avec…

La dernière des Stanfield, par Marc Levy, éditions Robert Laffont et Versilio
CRITIQUE , ROMAN / 1 septembre 2017

Que sait-on de la vie de nos parents avant notre naissance? Pas grand chose en dehors de ce qu’ils ont bien voulu nous raconter. Mais lorsqu’ils prennent quelques arrangements avec la vérité ou décident tout simplement de ne rien dire, les choses se compliquent. Lorsque vous vous prénommez Eleanor-Rigby et que vos frères et sœur ont pour prénom Maggie et Michel, vous savez en tout cas que vos parents sont des fans des Beatles. Eleanor-Ribby est au centre de ce roman savamment construit. Avec La dernières des Stanfield, Marc Levy démontre une fois de plus son talent de conteur. Tout commence par une lettre anonyme adressée à Eleanor-Rigby à propos d’un trésor qu’aurait caché sa mère, récemment disparue. Décidée, contre l’avis de sa famille, à suivre la piste du corbeau, Eleanor-Rigby quitte Londres pour Baltimore où elle va faire la connaissance d’un homme prénommé George-Harrison. Lui aussi a reçu une mystérieuse lettre et cherche à savoir qui est son père. Les voilà tous deux sur la piste des Stanfield, riche famille de Baltimore dont l’un des ancêtres a été le fondateur. La quête d’Eleanor-Rigby et de George-Harrison va les faire voyager dans le temps et dans l’espace, des résistants de…

La vengeance du pardon, par Eric-Emmanuel Schmitt, éditions Albin Michel
CRITIQUE , NOUVELLES / 30 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Il est des livres dont vous savez, en les refermant, qu’ils ont modifié quelque chose en vous. La vengeance du pardon est de cette caste. Quatre histoires, quatre bijoux que l’on porte au cœur comme une décoration ou une fleur à la boutonnière. Il y a d’abord l’écriture. Les trois premières pages de la nouvelle qui ouvre le recueil, Les sœurs Barbarin, sont une promesse, la promesse fleurie des rues de Saint-Sorlin. Promesse tenue, sans jamais faiblir, jusqu’au jardin final de Werner von Breslau, personnage central, avec la divine Daphné, de Dessine-moi un avion. Eric-Emmanuel Schmitt surprend sans jamais désarçonner. Le conteur ne masque pas le philosophe et le dramaturge rivalise de virtuosité avec l’écrivain. Les quatre nouvelles soufflent le chaud et le froid sur l’âme humaine. Des jumelles Barbarin à l’aviateur allemand en retraite, en passant par la naïve Mandine (véritable Cio-Cio-San moderne), le puissant et riche William Golden, Sam Louis le tueur en série ou Elise Maurinier la traductrice, c’est la question du pardon qui sous-tend ‘ensemble de l’ouvrage. Comment pardonner à l’autre, fut-il le meurtrier de votre propre fille? Comment se pardonner à soi-même lorsqu’on a mis fin aux jours d’un génie? Peut-on pardonner…

Vous connaissez peut-être, par Joann Sfar, éditions Albin Michel
AUTOBIOGRAPHIE , CRITIQUE , ROMAN / 29 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Vous connaissez peut-être, c’est la phrase que vous impose régulièrement Facebook pour vous suggérer de nouvelles amitiés virtuelles. Dans ce roman autobiographique, Joann Sfar nous raconte sa rencontre virtuelle avec la jeune et jolie Lili, et celle, bien réelle par contre, avec Marvin, un bull-terrier extrêmement malin, mais tueur de chats. «Tout est vrai sinon ce n’est pas drôle» nous prévient l’auteur. Si tout est vrai, ce n’est pas drôle du tout. Car ce que le lecteur prend d’emblée en pleine face, c’est l’immense souffrance de l’auteur, sa peur panique de la solitude. S’il s’inscrit dans la continuité de Comment tu parles de ton père, ce roman est beaucoup plus violent. Et plus foutraque dans sa construction. Joann Sfar nous y dévoile sa vie sexuelle dans le détail, mais parle aussi de ses débuts de prof aux Beaux-Arts et fait régulièrement référence à Gainsbourg, évidemment. Mais la véritable question que pose ce roman dérangeant est celle de la création. Comment continuer à raconter des histoires à des gens qui passent trois heures par jour devant des écrans? Quelle part de vérité et quelle part de fiction dans ce que délivrent les réseaux sociaux? Joann Sfar prendra la…

Le grand mystère des règles, par Jack Parker, éditions Flammarion
CRITIQUE , ESSAI / 27 août 2017

Je vais finir par être incollable sur la question… Après l’excellent Ceci est mon sang d’Elise Thiébaut, je viens de terminer Le grand mystère des règles, de Jack Parker, déjà auteure du blog Passion Menstrues. Si les deux livrent abordent le même sujet, ils ne s’adressent pas au même public. Jack Parker s’adresse essentiellement à la jeune génération, celle qui fréquente assidument les réseaux sociaux, dont elle maîtrise parfaitement le vocabulaire et les codes. S’il est oins «scientifique» que celui d’Elise Thiébaut, le livre de Jack Parker ne manque cependant pas d’atouts. A commencer par le discours récurent de l’auteure: sentez-vous libre, cherchez ce qui vous convient, n’ayez pas honte, écoutez et apprenez à connaître votre corps. Liberté et respect sont ici les maîtres-mots. Pour gagner le jeune public à sa cause, Jack Parker à la très bonne idée de nous parler de la place des règles dans l’art. Elle est bien faible cette place au cinéma mais, comme souvent, l’art contemporain ouvre des voies et fait office de précurseur. Dans ce dernier domaine, l’auteure dresse même une liste d’artistes dont les œuvres peuvent éveiller la sensibilité et développer l’intérêt pour les menstrues. Davantage que militant, Jack Parker signe un…

Qui a tué Heidi?, par Marc Voltenauer, éditions Slatkine & Cie
CRITIQUE , POLAR , ROMAN / 25 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Vous avec aimé Le Dragon du Muveran? Vous allez adorer Qui a tué Heidi? Avec cette deuxième aventure de l’inspecteur Andreas Auer, Marc Voltenauer franchit un cap. Son intrigue est toujours aussi habilement menée, savamment construite, mais ses personnages gagnent en épaisseur. Andreas en particulier, dont le lecteur cerne mieux la personnalité, l’auteur levant un coin de voile sur sa part d’ombre. L’homosexualité d’Andreas Auer est également moins anecdotique que dans le premier roman, les réflexions d’un tueur à gages russe, Litso Ice (visage de glace) interpellant le lecteur sur sa propre perception du monde gay. Autre élément nouveau et subtilement amenée, la dimension ethnographique du roman. Gryon reste le lieu central de l’intrigue et c’est l’occasion pour Marc Voltenauer de familiariser le lecteur avec le folklore et les traditions suisses: concours de vaches, channe et jass font partie intégrante du tableau. Mais le roman ne se contente pas de rester à Gryon. Les affaires sérieuses commencent même à Berlin où un quadruple meurtre ouvre la voie à un projet immobilier d’envergure, à Gryon. Si l’on est confronté, comme dans Le Dragon du Muveran, à une affaire dictée par des ressorts psychologiques, s’y ajoute cette fois une…

La nuit des enfants qui dansent, par Franck Pavloff, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 24 août 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] Zâl est un slackeur, il se promène trente mètre au-dessus du sol, sur une étroite sangle bleue. Zâl est proche des étoiles et il parle aux oiseaux, des oiseaux qui font partie intégrante de son spectacle. Avec La nuit des enfants qui dansent, Franck Pavloff nous emmène dans une double, une triple et même une quadruple quête. La quête de Zâl, qui poursuit son absolu mystique en solitaire. La quête d’Andras, exilé hongrois qui cherche à sortir de son passé. La quête de Téa, fugueuse abusée par son beau-père et qui voit dans la sangle de Zâl un moyen de prendre de la hauteur. Quête des réfugiés syriens ou afghans qui transitent par la Hongrie où Andras entraîne Zâl, le ramenant ainsi où tout a commencé. L’entreprise est facilitée par le Sziget, l’un des plus grands festivals d’Europe qui accueille sur une île du Danube des artistes tels que Robbie Williams, The Saints, Manu Chao ou Assaf Avidan. La musique, il en est beaucoup question dans ce beau roman. Andras est le dernier descendant d’une lignée de facteurs d’orgue et L’Estate Jubilate de Mozart ou une passacaille de Bach vont jouer un rôle important dans la trame…