Khalil, par Yasmina Khadra, éditions Julliard
CRITIQUE , ROMAN / 26 août 2018

[RENTREE AUTOMNE 2018] Ils sont trois, trois qui ont grandi dans le quartier de Molenbeek, cette commune de Bruxelles qui a fait les gros titres de la presse après les attentats de 2015. Il y a Rayan, Driss et Khalil. «Rayan, Driss et moi avions appris à tenir sur nos pattes sous le même toit et nous nous étions cassé la figure sur le même carrelage. Ma mère nous avait élevés comme des triplés. A trois ans, Rayan fut confié à une crèche, Driss et moi restâmes à la maison.» Rayan est celui qui a réussi, sa mère y a veillé, consacrant sa vie à son fils. Sans jugement sur le comportement des uns et des autres, Yasmina Khadra laisse entendre que l’éducation joue un rôle prépondérant dans l’évolution des jeunes hommes. De la place qu’ils occuperont dans la société dépendra le respect qu’on leur témoignera. Rayan est celui qui a réussi. Il occupe un emploi d’ingénieur en informatique dans une société de management. Driss a rapidement décroché et, lorsqu’il doit refaire sa seconde, Khalil lui emboîte le pas et brûle son cartable une bonne fois pour toutes. C’est Lyès qui change le destin de Khalil: «Il m’avait éveillé aux…

Le baiser et la morsure, par Yasmina Khadra, entretiens avec Catherine Lalanne, Bayard éditions
BIOGRAPHIE , CRITIQUE , ENTRETIENS / 25 août 2018

On avait déjà beaucoup aimé Plus tard je serai un enfant, le livre d’entretiens de Catherine Lalanne avec Eric-Emmanuel Schmitt. La collection L’Atelier de l’enfance, chez Bayard, s’étoffe avec Le baiser et la morsure, entretiens de la toujours subtile et attentive Catherine Lalanne avec Yasmina Khadra. «J‘ai cessé d’être un enfant à l’instant où j’ai franchi le portail de la caserne.» L’aveu de l’auteur de Ce que le jour doit à la nuit est sans équivoque. Il a 9 ans lorsque son père l’emmène à l’hôpital militaire pour une visite médicale. Une semaine plus tard, il entre à la caserne pour devenir un cadet de la révolution. Mohammed Moulessehoul est issu d’une tribu de poètes, les Doui Menia, une lignée de pionniers qui s’est implantée dans la Saoura, au nord-ouest du Sahara algérien, au 13è siècle. L’écrivain raconte à Catherine Lalanne la grandeur, puis la chute de cette tribu face à l’armée française, en 1903. Mohammed Moulessehoul passe trente-six années de sa vie dans les rangs de l’armée algérienne. Il rêvait pourtant de devenir poète en lange arabe, comme son grand-père. C’est la lecture de L’Etranger, d’Albert Camus, proposée par son professeur Yvon Davis, qui va tout changer: «je ne…

Demain les chats, par Bernard Werber, éditions Albin Michel
CRITIQUE , ROMAN / 14 août 2017

Faut-il considérer ce roman comme une fable ou un conte? Probablement. Car en plus de nous raconter l’histoire des relations entre chats et hommes depuis les origines, il nous interroge sur le monde d’aujourd’hui et sur l’incapacité de l’homme à vivre en paix. Bastet est une chatte qui a pour vocation d’établir la communication entre les espèces vivantes, en particulier avec sa servante, Nathalie. Oui, pour les chats nous sommes des serviteurs et des servantes! Malgré ses tentatives désespérées de communication, Bastet ne comprend que quelques uns des mots prononcés par sa servante. Mais un beau jour, sur le balcon d’en face, apparaît Pythagore, un siamois aux yeux bleus, bien plus intéressant que Félix, le gros matou qui ne pense qu’à manger et à dormir, même s’il a engrossé Bastet. Pythagore possède un Troisième Œil, à savoir un logement de clé USB protégé par un couvercle violet et situé sur son front. Sa servante, une scientifique, l’a éduqué grâce à ce dispositif. Ce qui permet à Pythagore de transmettre son savoir à Bastet. Et l’on découvre, s’il en était encore besoin, que l’on est souvent plus malheureux dans la connaissance que dans l’ignorance. «Finalement, Félix est heureux car il est…

De sang et de lumière, par Laurent Gaudé, Editions Actes Sud
CRITIQUE , POESIE / 16 mars 2017

«Nous avons besoin des mots du poète, parce que ce sont les seuls à être obscurs et clairs à la fois. Eux seuls, posés sur ce que nous vivons, donnent couleurs à nos vies et nous sauvent, un temps, de l’insignifiance et du bruit.» Ainsi s’achève l’introduction à ce magnifique recueil de poèmes. Introduction dans laquelle Laurent Gaudé en appelle à une «poésie moite et serrée comme la vie de l’immense majorité des hommes.» Et cette poésie, l’auteur nous l’offre dans les pages qui suivent. En vers libres, Laurent Gaudé nous dit ce qui le blesse jusque dans sa chair, ce qui l’émeut, ce qui le révolte, ce qui l’abat, ce qui le relève aussi, à l’instar du monumental Serment de Paris qui termine l’ouvrage. «Ne laissez pas le monde vous voler les mots» écrit Gaudé dans Ecoutez nos défaites, son dernier roman. Sa poésie est cohérente, escamote l’insignifiance, fait taire le bruit. La traite négrière, la cause kurde, les plaies multiples d’Haïti ne sont plus des images de journal télévisé. Ce sont des mots pour dire les maux de notre monde. Des mots que ce monde ne nous volera pas tant que nous continuerons à leur accorder leur valeur…