Si un inconnu vous aborde, par Laura Kasischke, éditions Page à Page
CRITIQUE , NOUVELLES / 4 février 2018

Dans ces quinze nouvelles, Laura Kasischke emmène son lecteur par la main, jusqu’au bord de l’abîme. Puis le lâche. A lui de faire le reste du boulot. Dans l’Amérique de l’après 11 septembre ou de la crise des subprimes, un destin banal peut basculer d’un instant à l’autre : lorsque votre second mari percute et tue un jeune cycliste au carrefour près de la maison, lorsqu’un inconnu vous aborde à l’aéroport et vous demande de transporter pour lui un colis jusque dans le Maine, lorsque le père de votre fille, dont vous êtes sur le point de divorcer, se pointe les bras chargés de cadeaux. C’est le portrait de l’Amérique profonde que trace l’auteure. Pas de personnage hors du commun, pas de héros ni de tête brûlée dans ces pages. Rien que des gens qui traînent leur vie comme un boulet, dans la monotonie, celle du couple en particulier. En trois pages, Laura Kasischke est capable de vous faire entrer dans son univers, de vous mettre sous le nez la vie d’un semblable. Ces quinze nouvelles finissent souvent en l’air, comme on le dirait d’une phrase sans point final. Et c’est là tout leur intérêt. Le lecteur ne peut rester sur…

La fin de la solitude, par Benedict Wells, éditions Slatkine & Cie
CRITIQUE , ROMAN / 1 novembre 2017

[RENTREE AUTOMNE 2017] «Le souvenir. Un roman, composé de cinq récits. Tous sont liés et le sujet principal, c’est la façon dont les souvenirs nous déterminent et nous dirigent.» C’est Romanov qui explique à Jules ce sur quoi il travaille en ce moment. Il donne aussi une idée assez précise de La fin de la solitude, le roman de Benedict Wells, traduit par Juliette Aubert. Jules, sa sœur Liz et son frère Marty sont des enfants heureux entre un père inquiet, épris de photographie et une mère lumineuse qui chante Moon River en s’accompagnant à la guitare lors de chaque fête de Noël. Mais un 8 janvier, les parents de Jules, Liz et Marty quittent Munich pour aller rendre visite à des amis, à Montpellier. Leur voiture s’encastre dans celle d’une jeune avocate, laissant trois orphelins. C’est au pensionnat que les trois enfants poursuivent leur vie, à des étages séparés en raison des différences d’âge et de sexe: apprentissage de la solitude. Jules devient le meilleur ami d’Alva, une jolie rousse à lunettes qui, elle aussi, a subi un traumatisme: la disparition de sa sœur Joséphine, que tout le monde appelait Phine, et dont on n’a retrouvé que le blouson….

Les absents, levez le doigt!, par Pierre Bénichou, éditions Grasset
CRITIQUE , ESSAI , SOUVENIRS PERSONNELS / 15 septembre 2017

Une fois n’est pas coutume, je vais beaucoup vous parler de moi en parlant du magnifique livre de Pierre Bénichou, le premier qu’il publie, à l’âge de 78 ans. Pierre Bénichou a aujourd’hui une image de people, d’amuseur public. La faute aux Grosses Têtes dont il est l’un des piliers. Mais Pierre Bénichou a longtemps été rédacteur en chef du Nouvel Observateur. Et c’est dans les pages de l’hebdomadaire qu’il a initialement publié les textes ici rassemblés sous ce beau titre : Les absents, levez le doigt ! Vingt-six. Vingt-six doigts levés. Vingt-six textes pour dire adieu. La nécro, comme on dit dans les rédactions, est un exercice difficile, je n’en ai signées que fort peu en presque quarante ans de métier : Bob Marley (que je n’ai ni connu ni même rencontré), Bernard Grobet, patron emblématique du Griffin’s Club (j’aurais des dizaines d’histoires à raconter à son sujet) et Claude Richoz, mon père professionnel, inoubliable rédacteur en chef de feu le quotidien La Suisse. Pierre Bénichou signe donc vingt-six nécrologies de personnages, de personnalités qu’il a connues, fréquentées et dont la plupart étaient des amis. De A comme Aragon à V comme Ventura, il enterre avec affection et une plume superbe quelques…