Vingt-quatre, ils sont vingt-quatre capitaines d’industrie a participer à cette rencontre secrète, le 20 février 1938. Goering et Hitler sont venus personnellement leur parler des élections du 5 mars et solliciter leur bienveillante générosité pour financer le parti nazi qui n’a plus un sou vaillant.
Avec L’Ordre du jour, Eric Vuillard ausculte l’histoire officielle, celle qui «se déroule sous nos yeux comme un film de Joseph Goebels». Car, en effet nous dit Eric Vuillard, «ce sont des films que l’on regarde, ce sont des films d’information ou de propagande qui nous présentent cette histoire, ce sont eux qui ont fabriqué notre connaissance intime; et tout ce que nous pensons est soumis à ce fond de toile homogène.» L’auteur reprend, dans le détail, les événements qui ont conduit à l’Anschluss, le 12 mars 1938. Kurt Schuschnigg et Arthur Seyss-Inquart sont au cœur des événements. Schuschnigg organise le référendum du 11 mars sur l’indépendance autrichienne. Eric Vuillard nous explique en détail pourquoi le référendum est annulé et comment, un mois plus tard, le plébiscite demandant au peuple autrichien de ratifier le rattachement de l’Autriche au Reich, qui était par ailleurs déjà effectif, remporte 99% d’opinions favorables. Là encore, Eric Vuillard nous explique comment.
L’entrée de la Wehrmacht en Autriche est, contrairement à ce que nous disent les livres d’histoire, un vaste fiasco. Le lecteur a froid dans le dos en découvrant que, finalement, la deuxième guerre mondiale est le résultat d’un sacré coup de bluff: «Et ce qui étonne dans cette guerre, c’est la réussite inouïe du culot, dont on doit retenir une chose: le monde cède au bluff. Même le monde le plus sérieux, le plus rigide, même le vieil ordre, s’il ne cède jamais à l’exigence de justice, s’il ne plie jamais devant le peuple qui s’insurge, plie devant le bluff.»
Eric Vuillard jette une lumière nouvelle sur ce pan d’histoire. La richesse d’écriture permet au lecteur d’apprécier et de comprendre les finesses des manœuvres politiques, l’inimaginable culot des Allemands. L’auteur s’autorise aussi quelques digressions bienvenues sur les artistes de l’époque ou sur les grands musiciens, du peintre Louis Soutter à Anton Bruckner, en passant par les chefs d’orchestre Wilhelm Furtwängler et Arthur Nikisch. un livre puissant, qui nous fait comprendre que «Tel est l’art du récit que rien n’est innocent».
L’Ordre du jour, par Eric Vuillard, éditions Actes Sud, 2017, 150 pages. Prix Goncourt 2017
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