De rien, c’est-à-dire de tout, par Bertrand Baumann, éditions de L’Aire
CHRONIQUES , CRITIQUE / 20 janvier 2018

Enseignant à la retraite, Bertrand Baumann nous livre un deuxième volume de ses notules, instants éphémères, réflexions humanistes, impressions d’un monde qu’il aborde dans une perpétuelle double posture : à la fois dedans, et souvent dehors. Traversant les années 2010 à 2014, De rien, c’est-à-dire de tout n’est pas un journal intime. Bertrand Baumann n’est pas un diariste, il l’avoue volontiers à l’occasion : des jours, parfois des semaines sans écrire. Quant à l’intime, s’il affleure parfois, il ne prend jamais la première place. L’amitié amoureuse pour Mathilda en est le meilleur exemple. L’auteur évoque plutôt qu’il ne décrit. «Mes notules sont la petite monnaie du temps, la petite monnaie de ma vie. Depuis quelques années, je vide ma crousille. Mais ma vie actuelle y dépose quelques pépites.» Ce pépites, ce sont des rencontres avec des personnes réelles, à l’instar de Niki qui veut absolument passer son permis de conduire pour s’en sortir dans cette Suisse qui la rejette, ou imaginaires, comme ce poivrot suicidaire sauvé par l’auteur. Bertrand Baumann est aussi un lecteur et un traducteur. Il nous livre de fines réflexions sur ses traductions de Robert Walser ou des Aphorismes de Lichtenberg, s’interroge sur le pouvoir des mots, sur leurs…

Article 353 du code pénal, par Tanguy Viel, Editions de Minuit
CRITIQUE , ROMAN / 12 avril 2017

Martial Kermeur a balancé par dessus bord Antoine Lazenec, promoteur immobilier. Le corps a été retrouvé sur la plage. Kermeur a tué, la chose est certaine dès les premières pages du roman. C’est dans le bureau du juge que se déroule tout le livre. Kermeur raconte l’histoire de ce projet immobilier, cette providence pour la presqu’île de Brest. Un projet qui aura mis six ans à ne pas se construire à l’emplacement de ce que les autochtones appellent le château. Château qui lui, par contre, a été démoli. Le juge parle peu, très peu. Si bien que Kermeur se confie, s’ausculte, se sonde comme il le ferait sur le divan d’un psychanalyste. Ancien ouvrier de l’arsenal de Brest, Kermeur a investi les cinq cent douze mille francs de sa prime de licenciement dans le projet de Lazenec. Et c’est sous ses fenêtres que le projet n’avance pas. Militant socialiste, ami de Martial Le Goff, le maire, socialiste lui aussi, Kermeur raconte les six ans de son attente, de son espoir et de sa désillusion. L’âge de son fils, Erwan, lui sert de point de repère. Il a onze ans quand tout commence, il en a dix-sept et se trouve derrière…

De sang et de lumière, par Laurent Gaudé, Editions Actes Sud
CRITIQUE , POESIE / 16 mars 2017

«Nous avons besoin des mots du poète, parce que ce sont les seuls à être obscurs et clairs à la fois. Eux seuls, posés sur ce que nous vivons, donnent couleurs à nos vies et nous sauvent, un temps, de l’insignifiance et du bruit.» Ainsi s’achève l’introduction à ce magnifique recueil de poèmes. Introduction dans laquelle Laurent Gaudé en appelle à une «poésie moite et serrée comme la vie de l’immense majorité des hommes.» Et cette poésie, l’auteur nous l’offre dans les pages qui suivent. En vers libres, Laurent Gaudé nous dit ce qui le blesse jusque dans sa chair, ce qui l’émeut, ce qui le révolte, ce qui l’abat, ce qui le relève aussi, à l’instar du monumental Serment de Paris qui termine l’ouvrage. «Ne laissez pas le monde vous voler les mots» écrit Gaudé dans Ecoutez nos défaites, son dernier roman. Sa poésie est cohérente, escamote l’insignifiance, fait taire le bruit. La traite négrière, la cause kurde, les plaies multiples d’Haïti ne sont plus des images de journal télévisé. Ce sont des mots pour dire les maux de notre monde. Des mots que ce monde ne nous volera pas tant que nous continuerons à leur accorder leur valeur…